Rainer Maria Rilke
Publié le 09/12/2021
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Rainer Maria Rilke Il faut que soucis restent frais. (Rilke) "Tiens dit l'aumônier de l'Académie militaire de Wiener-Neustadt, l'élève René Rilke est donc devenu poète." L'aumônier regardait un mince volume qu'il venait de prendre des mains du cadet Kappus. Il en connaissait l'auteur, autrefois cadet, lui aussi. Le voilà désormais poète, et peut-être de qualité, puisque son lecteur fasciné n'avait pas remarqué qu'on s'approchait de lui. On n'était, pourtant, qu'en 1912. A l'heure où s'écrit ceci c'est une bien autre affaire. S'agit-il même encore d'un poète ? Des milliers de travaux qui le concernent, se dégage, bien plutôt, l'image d'un penseur et d'un prophète, annonciateur d'un nouvel "Évangile de l'homme". Les philosophies du jour le réclament : psychanalyse et existentialisme veulent l'accaparer, et des allusions au marxisme se glissent discrètement sous la plume des commentateurs. De plus en plus, on regarde ses vers, sa prose, sa correspondance comme des textes sacrés. Aussi leurs interprétations se font-elles, tout doucement, exégèse (Rilkedeutung). Un lexique rilkéen se prépare, et chaque jour surgit un problème nouveau : Rilke et Dieu, Rilke et le Christ, Rilke et l'ange, Rilke et l'anémone, Rilke et la rose (j'en passe et de moins bons). Son influence s'étend par-dessus terres et mers, toutes les littératures la ressentent.
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Rainer Maria Rilke
Il faut que soucis restent frais.
(Rilke)
"Tiens dit l'aumônier de l'Académie militaire de Wiener-Neustadt, l'élève René Rilke est donc devenu poète."L'aumônier regardait un mince volume qu'il venait de prendre des mains du cadet Kappus.
Il en connaissait l'auteur,autrefois cadet, lui aussi.
Le voilà désormais poète, et peut-être de qualité, puisque son lecteur fasciné n'avait pasremarqué qu'on s'approchait de lui.
On n'était, pourtant, qu'en 1912.
A l'heure où s'écrit ceci c'est une bien autreaffaire.
S'agit-il même encore d'un poète ? Des milliers de travaux qui le concernent, se dégage, bien plutôt, l'imaged'un penseur et d'un prophète, annonciateur d'un nouvel "Évangile de l'homme".
Les philosophies du jour le réclament: psychanalyse et existentialisme veulent l'accaparer, et des allusions au marxisme se glissent discrètement sous laplume des commentateurs.
De plus en plus, on regarde ses vers, sa prose, sa correspondance comme des textessacrés.
Aussi leurs interprétations se font-elles, tout doucement, exégèse (Rilkedeutung).
Un lexique rilkéen seprépare, et chaque jour surgit un problème nouveau : Rilke et Dieu, Rilke et le Christ, Rilke et l'ange, Rilke etl'anémone, Rilke et la rose (j'en passe et de moins bons).
Son influence s'étend par-dessus terres et mers, toutesles littératures la ressentent.
Il va de soi que pareil culte devait englober, à la longue, la personne physique de son objet.
Lorsque feu la femmede son éditeur l'aperçut, pour la première fois, son regard, nous avoue-t-elle, brusquement s'arrêta, avec une sorted'effroi étonné.
Qu'avait-il donc touché ? "Un visage à tel point surchargé de sentiment et comme béni par quelqueapostolat, en outre d'une telle humilité qu'elle en eut le souffle coupé." Il lui semblait qu'elle se trouvait devant leporche grand ouvert d'une cathédrale (et j'omets les angelots voltigeant autour du front de l'inconnu).
Quant à lavoix (qui ne devait émouvoir cette dame que plus tard), elle avait la molle couleur brun sombre, teintée de violet, dela giroflée.
Sa biographie ? Il y a, dans le Livre d'heures, un homme qui, attablé avec les siens au repas du soir, se lève soudainet s'en va à jamais, parce qu'une église attend quelque part.
C'est lui.
Né avant terme, à Prague, en 1875, il passeles premières années d'une enfance, somme toute, confortable, auprès d'un père, officier manqué, et d'une mèredéçue, qui les plantera là, en 1884.
Deux ans plus tard, École des Cadets, puis, "pour cause d'état maladifpersistant", Académie de Commerce de Linz (1891-1892).
Retour précipité à Prague, à la suite d'une incartade.Baccalauréat en 1895, suivi d'une brève période d'activité littéraire et d'études déréglées.
Puis commence sa vieréelle, extraordinaire série de voyages mi-pèlerinage recueilli, mi-fuite éperdue que seule achèvera, en 1926, samort, due à une leucémie.
On a dressé l'itinéraire de cet étrange périple, où toute étape est abandonnée presquesitôt atteinte.
On y voit les noms d'innombrables localités d'Allemagne, d'Italie, de France, de Suède, de Russie,d'Espagne, de Belgique, de Suisse, d'Égypte, d'Algérie, de Tunisie.
Vienne n'y est qu'effleurée : fait capital qu'ilfaudra méditer.
En cours de route, bien des visages apparaissent : femmes aimantes, amis secourables : aucun neralentira la marche du pèlerin vers la lointaine église.
En 1901, il épouse une élève de Rodin, union dont naîtra unefille.
Mais l'année il a déjà déserté son foyer.
Sur l'amour et le mariage, il a son idée : l'amour est un surcroît desolitude et il n'y a pas de ménage heureux, sinon celui où chacun fait de l'autre le gardien de sa propre solitude.
Cet incoercible besoin d'évasion hors des êtres et des choses est un trait fondamental de sa nature.
Il y a en lui unréflexe rétractile.
S'il n'a certainement pas subi à l'école militaire un régime qui permette d'évoquer les Souvenirs dela maison des morts, en revanche les brutalités de ses camarades et ses fréquentes maladies l'y ont fait prendreconscience de sa débilité comme d'une tare.
Il frise l'hypocondrie, se compose des menus végétariens, craint lesdangers.
"Hypersensible" de naissance, il est, de plus, "irrémédiablement tourné vers le dehors".
Un bruit se produit-il, il ne l'entend pas, il est ce bruit.
Et loin de repousser les excitations extérieures, il appelle, au contraire, lestroubles.
Ainsi "exposé sur les montagnes du coeur", il court sans cesse le risque mortel de se disperser (zerstreuen)et de se dissoudre (auflôsen).
Privé de défense (schutzlos), il envie ce qui est à l'abri, protégé (geborgen).
"Il asouffert et fait souffrir", résume quelqu'un.
Mais à bien prendre, lui y gagnait : à l'opposé de Heine, qui faisait de sesgrandes douleurs de petites chansons, il en fera de grandes, de douleurs en apparence infimes, et ses angoissesnourriront son oeuvre : il faut que les soucis restent frais.
C'est qu'il n'y a contre maux et périls d'autre protection que leur transmutation, qui incombe au génie.
Il faut qu'ilssoient aufgebraucht (élaborés), mués en valeur d'art, ce à quoi ils ne se prêteront que portés à leur plus haut degréd'acuité.
De ce pouvoir magique de transposition qui l'habile et le sauve de la destruction, Rilke tire un orgueil tel que, plusd'une fois, on n'en croit pas ses yeux en le lisant.
Lorsqu'il vient à parler de cette "mission sacrée" ou de ce"sacerdoce" dont il s'estime investi, le ton prophétique qu'il adopte donne parfois le vertige.
Il se compare, parexemple, à quelque personnage insignifiant cueillant des simples dans les bois, pendant qu'alentour les troncss'élancent dans l'adoration.
"Mais un jour, dit-il, je préparerai mon breuvage, où, pour le seul amour de leurpuissance, seront unis les sucs les plus vénéneux et les plus mortels.
Et j'élèverai ce breuvage vers Dieu, afin qu'ilétanche sa soif et sente sa splendeur couler dans ses veines." Il achève ses Élégies "glorieusement" et, pendantqu'il y travaillait, il "clamait, estime-t-il, d'énormes commandements" et "recevait des signaux venus du cosmos",auxquels il répondait par "d'immenses salves tonitruantes"...
Bien entendu, celui que le sort destine à de pareils exploits ne peut être que l'instrument d'une volonté supérieure.
Il.
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