Rabelais gaegantua
Publié le 21/06/2024
Extrait du document
«
Une naissance incroyable
EL 11 : Rabelais, Gargantua, extrait chap.6
Objectifs : - étudier le caractère merveilleux et fantaisiste du récit de la naissance de
Gargantua ;
- étudier le sens profond du passage, au-delà du comique.
Éléments pour l’introduction :
- présentation rapide de l’auteur et de l’œuvre ;
- situation et présentation du passage : extrait du chapitre 6 ; après avoir présenté la
généalogie du héros et la grossesse hors normes de sa mère (11 mois !), le narrateur
raconte la naissance tout aussi étonnante de Gargantua.
Ayant mangé quantité de
tripes, Gargamelle a soudain mal au ventre.
On lui administre un médicament qui
resserre tous les orifices et le bébé, ne pouvant pas sortir par la voie basse naturelle,
est contraint à remonter et à sortir par l’oreille.
Pour prouver la vraisemblance de
cette naissance hors du commun, Rabelais évoque ensuite la Bible, la mythologie ou
encore l’histoire romaine qui abondent en récits extraordinaires.
Progression du texte :
L.1 à 8 : Une naissance fabuleuse (récit de l’accouchement = parodie de récit
héroïque -épique)
L.9 à la fin : adresse directe du narrateur au lecteur pour une réflexion sur la
crédulité
→ Intérêt de l’extrait : un récit merveilleux et fantaisiste, qui s’inscrit dans la tradition
des récits de géants dont s’inspire Rabelais, un récit dans la veine comique qui
caractérise l’œuvre, mais aussi un récit qui invite à la réflexion nécessite un autre
niveau de lecture, conformément à l’avertissement donné par l’auteur dans son
Prologue.
Projet de lecture possible : En quoi ce récit comique de naissance
fabuleuse permet-il à l’auteur de proposer à son lecteur une réflexion
profonde sur les croyances ?
Lecture linéaire :
1er mouvement (L.1 à 8) : Une naissance fabuleuse
L.1 à 4 : Une naissance ludique : description des derniers instants de l’enfant
dans le corps de Gargamelle avant d’apparaître.
-
-
Usage d’un vocabulaire médical (« placenta », « veine cave », « diaphragme »)
qui pourrait donner une dimension réaliste à cet accouchement.
(NB :
Rabelais était médecin)
MAIS trajectoire de l’enfant anormale, du bas vers le haut et non l’inverse :
motif du carnaval où toutes les valeurs sont inversées (NB : naissance de
Gargantua dans le contexte du carnaval : Rabelais la fait coïncider avec la fête
de saint Blazius, le 3 février)
Naissance extraordinaire, merveilleuse, par « l’oreille ».
-
-
Trajectoire décrite à travers des verbes d’actions (« traversa », « entra »,
« grimpant », « continua son chemin », « sortit ») dont l’enfant est le sujet,
comme s’il était voué d’une volonté avant même de naître.
On trouve aussi une sorte de géographie du corps avec ses reliefs et ses
cours d’eau (« traversa », « grimpa », parties du corps représentent
métaphoriquement un paysage.), ce qui donne une dimension merveilleuse à
cette naissance.
Fait apparaître aussi le thème du gigantisme.
Le choix de la gauche peut-il être interprété comme un premier faux pas
pour l’enfant ?
La mise en scène du choix entre deux voies, l’une menant à la vie, l’autre à la mort,
s’insère dans une double tradition biblique et mythologique.
NB.
1 : Le thème biblique des deux chemins – via vitae et via mortis – se
rencontre, entre autres, dans Matthieu VII 13 :
=> « Entrez par la porte étroite.
Large, en effet, et spacieux est le chemin qui mène à
la perdition, et il en est beaucoup qui s’y engagent ; mais étroite est la porte et
resserré le chemin qui mène à la Vie, et il en est peu qui le trouvent ».
NB.
2 : Cette thématique est aussi en rapport avec le symbolisme antique du Y.
Le
tronc commun de cette lettre pythagorique symbolise la jeunesse : sa bifurcation
évoque le choix que l’homme doit faire entre la voie de gauche, menant à Voluptas
(c’est la voie large), et celle de droite, qui conduit à Virtus : c’est la voie étroite.
Cette
allégorie est intimement liée au thème du choix d’Hercule : Hercule, au seuil de l’âge
adulte, doit faire le choix entre le Bien et le Mal – décision qui sera déterminante pour
le reste de sa vie.
+ note en bas de document
Récit d’une naissance qui fait la part belle au corps et à toutes ses
manifestations, mais qui inscrit déjà le héros dans un destin exceptionnel,
comme la suite du récit va le confirmer.
L.5 à 9 : Un enfant hors du commun
- Comparaison (l.5) qui dissocie l’enfant de la normalité par son cri inhabituel.
- Opposition aux autres puisque muni d’une « haute voix » et déjà doué de parole.
Paroles rapportées directement qui renforcent l’effet de surprise et peuvent provoquer
le rire du lecteur.
L’enfant s’inscrit d’ores et déjà dans la lignée des beuveries
décrites auparavant.
- Aux « mies » se substituent « À boire » (X3) : certains spécialistes de Rabelais y
voient une critique bouffonne des tenants d’un langage naturel.
(Pantagruel
défend l’idée d’un langage arbitraire et conventionnel dans le roman du même nom).
- La comparaison « comme s’il invitait tout le monde à boire » annonce le caractère
convivial du personnage ; c’est une invitation, dans un écho, à la joie, qui
confirme l’arrière-plan joyeux du récit dans sa globalité.
On assiste donc à la
naissance d’un bon vivant.
- Hyperbole (intensif « si » + « tout le pays ») et subordonnée de conséquence
soulignent le gigantisme du personnage avec la démesure sonore de sa voix.
- Précision géographique réaliste (L.9) avec une déformation comique du mot
« Bibarais » (en réalité « Bivarais » -jeu de mot avec biberon ?).
indications
géographiques qui peuvent perturber le lecteur car on assiste à un mélange
d’éléments réalistes et merveilleux pour décrire cette naissance.
Déjà un personnage doué de volonté, cheminant courageusement et faisant
des choix : registre héroï-comique -puisque déjà supérieur au héros Hercule.
Récit dune naissance extraordinaire qui annonce les thèmes du gigantisme,
de la convivialité, de la joie qui parcourent le roman, mais aussi mêle
éléments réalistes et merveilleux.
2e mouvement : (L.9 à fin) : une adresse directe au lecteur pour
une réflexion sur la crédulité
Passage de la fiction à l’univers réel du lecteur (ambivalence de la relation entre
fiction et réalité permanente chez Rabelais)
L.9 à 11 : Reproches et leçon au lecteur
-
interruption surprenante du récit de la naissance par la voix du narrateur
(« je ») qui doute de la crédulité du lecteur auquel il s‘adresse directement à
la deuxième personne (« vous »)
=> Lecture active : le narrateur invite le lecteur à réagir.
+ Unification des
mondes réel (celui du lecteur) et fictionnel.
- Adjectif « étrange » = euphémisme (il s’agit d’une naissance extraordinaire) qui
est un premier signe de l’ironie de l’auteur.
- L.9-10 : attitude doublement paradoxale du narrateur puisqu’il prend soin
de s’interroger sur la réaction du lecteur tout en affirmant par la négative « ne
(s)’en soucie(r) guère ».
Apparente désinvolture : il se contredit ensuite dans
une concession (« mais », l.10), en manifestant implicitement, dans une sorte
de proverbe au présent de vérité générale (+ adv.
« toujours »+ « un » indéfini
à valeur générale) son désir d’être cru… (l.10.11 : « un homme de bien….
»).
Proverbe qui a valeur d’argument d’autorité incontestable.
- Apparaît ici le thème de la croyance (3 X le verbe) et on devine l’ironie de
cette phrase où le narrateur semble réprimander le lecteur et lui faire la leçon
afin qu’il croie à cette naissance merveilleuse.
Ironie puisqu’on sait que
Rabelais condamne les croyances irrationnelles, les superstitions.
Or ici
il s’agit bien d’une « étrange nativité » (c’est le terme employé par Rabelais, ce
qui lui permet de faire un parallèle avec la naissance de Jésus dans la Bible),
donc d’un phénomène surnaturel.
On peut entendre derrière cette voix la
critique de ceux qui prétendent incarner l’autorité, à la fois religieuse et
intellectuelle, représentés ici par le « on » indéfini et la périphrase « ce qui
est écrit » (l.11) → Ce qui est mis en doute ici : la question de la croyance en
Dieu ? Une remise en cause de la fiction ?
- l.10 : « un homme de bien, un homme de bon sens » (c’est-à-dire un homme
intelligent, qui sait faire preuve d’esprit critique) apparaît donc ironiquement
comme celui qui n’a justement aucun sens critique et ne fait que « croire »
(x3) (gober ?) « ce qu’on lui dit et ce qu’il trouve écrit » (=l’autorité), même ce
qui est de l’ordre de l’extraordinaire.
= Antiphrase ironique : Le narrateur semble inviter le lecteur à croire n’importe quoi
sous prétexte que c’est écrit alors que c’est le contraire qu’il veut démontrer (>
remise en cause de la nativité du Christ telle qu’elle est évoquée dans la Bible).
L.11 à 19 : argumentation ambivalente d’Alcofribas
-
L.11-12 : interpellations du lecteur à travers une énumération de questions....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Gargantua, de Rabelais (1534) : “Rire et savoir”.
- Commentaire composé Le quart livre de Rabelais
- Rire de tout ce qui se fait ou se dit est d’un sot ; ne rire de rien est d’un imbécile. » affirme Érasme. En quoi votre lecture de Gargantua de Rabelais permet-elle de confirmer ce point de vue ?
- En y mêlant de la fantaisie romanesque, Rabelais nous a donné dans l'abbaye de Thélème son idéal de vie. Des gens « libères, bien nés et bien instruits » y font « ce qu'ils veulent ». C'est-à-dire qu'ils lisent, étudient, écrivent en vers et en prose, chantent, se donnent des concerts, jouent et chassent, etc. Vous vous demanderez dans quelle mesure Montaigne se serait accommodé de la Thélème de Rabelais.
- « Fidèle à Horace et sa conception utilitaire de l'art, Rabelais s'est cette fois clairement fixé pour but, tout en nous faisant rire et en riant lui-même de concert avec nous, de nous instruire et de nous éduquer ». Pensez-vous que cette réflexion puisse s'appliquer au Gargantua ?