Qu'éprouve le spectateur de spécifique, qui fait qu'il retourne au théâtre ?
Publié le 22/12/2021
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Cette question porte sur le lien qui unit le spectateur à ce qui se passe sur la scène :
qu'éprouve le spectateur de spécifique, qui fait qu'il retourne au théâtre? La notion de
divertissement est importante, et semblerait pouvoir suffire : on va au théâtre comme on
va au cinéma, pour voir se jouer une histoire.
Mais cela n'explique pas la force du théâtre
et le fait qu'il n'ai pas été supplanté par le cinéma, par exemple.
I.
La nature énigmatique du plaisir à aller au théâtre, et de son importance
_ Dans l'Antiquité grecque, le théâtre avait une dimension politique qui est inexistante
dans nos sociétés actuelles :le théâtre était l'affaire de toute la communauté civique,
assister aux représentations constituaient une tâche citoyenne.
La scène était le lieu où
l'on célébrait la cité.
Les pièces se jouaient à deux occasions : le concours des
Lénéennes, qui donnait à voir surtout des comédies; et les grandes Dionysies.
On peut se
demander pourquoi la société grecque accordait une telle importance au théâtre : parmi
les quelques pièces qui nous sont parvenues, mis à part les Perses d'Eschyle, qui évoque
la victoire des Grecs sur les Perses lors des guerres médiques, aucune ne traite d'un
sujet qui célèbre explicitement Athènes.
La dimension de propagande n'est donc pas la
principale dans le fait que les citoyens grecs aillent au théâtre.
_ Dans sa pièce L'échange, Claudel dit décrit le théâtre et ses spectateurs ainsi :
« Ils regardent le rideau de la scène,
et ce qu'il y a derrière quand il est levé
Et il arrive quelque chose sur la scène comme si c'était vrai.
[...]
Et [l'homme] se regarde lui-même, les mains posées sur les genoux,
Et il pleure et il rit, et il n'a point envie de s'en aller.
»
Le plaisir qui lie l'homme au théâtre semble énigmatique : Claudel ne l'explique pas, il
est d'autant plus mystérieux que la trsistesse suggérée par « il pleure » devrait
contrarier ce plaisir, mais semble en faire partie.
Le théâtre n'apparaît pas non plus ici
comme un « divertissement », au sens pascalien : un loisir qui permet à l'homme de ne
pas penser, de se fuir lui-même : selon Claudel, l'homme « se regarde lui-même ».
Le
plaisir suggéré est encore plus étonnant : Pascal dans les Pensées affirme que l'homme
ne peut se considérer lui-même un instant sans éprouver de la douleur et de la
mélancolie.
Le théâtre semble bouleverser tout cela.
II.
Aller au théâtre : un acte de purgation psychologique et métaphysique
_ Dans l'extrait de Claudel, le plaisir du spectateur repose sur deux émotions : la joie et
la tristesse.
Mais le simple fait d'éprouver ces émotions au théâtre lui donne le plaisir qui
fait qu'il reste sur place.
Dans la Poétique, Aristote aborde la notion de mimesis, qu'on
peut traduire par :art de l'imitation.
L'art théâtral imite la réalité (« comme si c'était vrai
») mais en la transformant, en la grossissant, en la plaçant sur une scène éloignée de
nous : il nous amène ainsi à éprouver des émotions qui sont proches de celles de la vie
réelle (joie et tristesse) mais au théâtre.
_ Dans la suite de la Poétique, il parle de la notion de catharsis, liée à celle de mimesis :
on peut traduire catharsis par « purification » ou « purgation » : le fait d'éprouver les
émotions de la vie réelle, mais devant une scène fictive, libère le spectateur de ces
affects trop lourds à porter.
Au théâtre, il peut les éprouver sans crainte des
conséquences : rire parce que Sganarelle frappe son maître et l'enferme dans un sac,
sans être puni.
En voyant des pulsions meurtrières ou cruelles réalisées sur scène, cela
l'en libère : comme le dit Claudel, il se regarde agir sur la scène, aimer, tuer,
transgresser la loi, mais « les mains posées sur les genoux ».
Les deux affects éprouvés
par le spectateur en face d'une tragédie sont, selon Aristote, la terreur et la pitié.
On
comprend qu'ils attachent le spectateur sur son siège : la terreur peut être comprise au
sens de « suspens », et la pitié, la compassion, lie le spectateur au sort du personnage.
III.
Une émotion esthétique à laquelle il faut redonner sa valeur.
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