Quels rapports Valéry établit-il ici entre le langage usuel et le langage poétique ? Quelle analyse fait-il de l'originalité du langage poétique ? Que pensez-vous des idées exprimées par Valéry dans ce texte ?
Publié le 09/12/2021
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Tout à l'heure, je parlais de la production du charme, et voici que je viens de prononcer le nom de miracle; et, sans doute, ce sont des termes dont il faut user discrètement à cause de la force de leur sens et de la facilité de leur emploi ; mais je ne saurais les remplacer que par une analyse si longue, et peut-être si contestable, que Von m'excusera de l'épargner à celui qui devrait la faire comme à ceux qui devraient la subir. Je demeurerai dans le vague, me bornant à suggérer ce qu'elle pourrait être. Il faudrait faire voir que le langage contient des ressources émotives mêlées à ses propriétés pratiques et directement significatives. Le devoir, le travail, la fonction du poète sont de mettre en évidence et en action ces puissances de mouvement et d'enchantement, ces excitants de la vie affective et intellectuelle, qui sont confondus dans le langage usuel avec les signes et les moyens de communication de la vie ordinaire et superficielle. Le poète se consacre et se consume donc à définir et à construire un langage dans le langage ; et son opération, qui est longue, difficile, délicate, qui demande les qualités les plus diverses de l'esprit, et qui jamais n'est achevée comme jamais elle n'est exactement possible, tend à constituer le discours d'un être plus pur, plus puissant et plus profond dans ses pensées, plus intense dans sa vie, plus élégant et plus heureux dans sa parole que n'importe quelle personne réelle. Cette parole extraordinaire se fait connaître et reconnaître par le rythme et les harmonies qui la soutiennent et qui doivent être si intimement et même si mystérieusement liés à sa génération que le son et le sens ne se puissent plus séparer et se répondent indéfiniment dans la mémoire. Valéry, Variétés II, Gallimard.
Quels rapports Valéry établit-il ici entre le langage usuel et le langage poétique ? Quelle analyse fait-il de l'originalité du langage poétique ? Que pensez-vous des idées exprimées par Valéry dans ce texte ?
INTRODUCTION
Dans ce texte, un peu obscur à la première lecture, Valéry tente de définir la
tâche du poète en dégageant le rôle du langage poétique. Son analyse s'amorce à
partir de la notion de «charme» — au sens premier du terme — qui résume assez
bien la conception que se fait Fauteur de la poésie. Il exprime à cette occasion
les rapports qui unissent et différencient à la fois le langage usuel et le
poème. C'est à une réflexion fondamentale sur la poésie que se livre l'auteur.
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Tout à l'heure, je parlais de la production du charme, et voici que je viens de prononcer le nom de miracle; et, sans doute, ce sont destermes dont il faut user discrètement à cause de la force de leur sens et de la facilité de leur emploi ; mais je ne saurais les remplacerque par une analyse si longue, et peut-être si contestable, que Von m'excusera de l'épargner à celui qui devrait la faire comme à ceux quidevraient la subir.
Je demeurerai dans le vague, me bornant à suggérer ce qu'elle pourrait être.
Il faudrait faire voir que le langagecontient des ressources émotives mêlées à ses propriétés pratiques et directement significatives.
Le devoir, le travail, la fonction du poètesont de mettre en évidence et en action ces puissances de mouvement et d'enchantement, ces excitants de la vie affective etintellectuelle, qui sont confondus dans le langage usuel avec les signes et les moyens de communication de la vie ordinaire etsuperficielle.
Le poète se consacre et se consume donc à définir et à construire un langage dans le langage ; et son opération, qui estlongue, difficile, délicate, qui demande les qualités les plus diverses de l'esprit, et qui jamais n'est achevée comme jamais elle n'estexactement possible, tend à constituer le discours d'un être plus pur, plus puissant et plus profond dans ses pensées, plus intense danssa vie, plus élégant et plus heureux dans sa parole que n'importe quelle personne réelle.
Cette parole extraordinaire se fait connaître etreconnaître par le rythme et les harmonies qui la soutiennent et qui doivent être si intimement et même si mystérieusement liés à sagénération que le son et le sens ne se puissent plus séparer et se répondent indéfiniment dans la mémoire.
Valéry, Variétés II,Gallimard.
Quels rapports Valéry établit-il ici entre le langage usuel et le langage poétique ? Quelle analyse fait-il de l'originalité du langage poétique? Que pensez-vous des idées exprimées par Valéry dans ce texte ?
INTRODUCTION
Dans ce texte, un peu obscur à la première lecture, Valéry tente de définir la tâche du poète en dégageant le rôle du langage poétique.Son analyse s'amorce à partir de la notion de «charme» — au sens premier du terme — qui résume assez bien la conception que se faitFauteur de la poésie.
Il exprime à cette occasion les rapports qui unissent et différencient à la fois le langage usuel et le poème.
C'est àune réflexion fondamentale sur la poésie que se livre l'auteur.
I.
LES RAPPORTS DU LANGAGE USUEL ET DU LANGAGE POÉTIQUE
Ces rapports sont résumés dans cette formule : « la poésie constitue un langage dans le langage ».
Autant dire que le langage usuel estessentiel, que c'est à partir de lui que la création poétique est possible.
D'autre part le langage poétique se nourrit du premier tout enconstituant un ensemble radicalement différent.
Reste à savoir comment ce phénomène est rendu possible.
Valéry l'explique ainsi : « lelangage contient des ressources émotives, mêlées à ses propriétés pratiques et directement significatives ».
La langue usuelle poursuit eneffet un but pratique évident : permettre aux hommes de communiquer dans la vie courante, mais elle est également chargée d'unepuissance d'émotion habituellement inemployée.
Le langage poétique se constitue à partir de cette seconde faculté pour s'adresser à lavie sensible et émotive des individus.
Le langage usuel constitue donc la matière dont la poésie se nourrit mais qu'elle transcende par lechoix de son inspiration.
Leurs rapports présentent donc l'inconvénient d'être unilatéraux : l'élément sublimé abandonne les autres.
Valéryn'envisage donc pas le devenir de la poésie.
Pourtant nous pouvons penser que celui-ci joue un rôle dans la langue usuelle : nous enavons un exemple dans l'expression enfantine qui, à son insu, redonne bien souvent au langage familier ses résonances poétiques,suscitant alors l'émerveillement des adultes.
On peut considérer que le poète suit, consciemment cette fois, le même chemin, et rend sanoblesse à ce qui n'était que pratique.
II.
LE LANGAGE POÉTIQUE EST UN «CHARME»
Mais Valéry préfère analyser le langage poétique en lui-même.
Ll envisage d'abord son rôle en lui attribuant le pouvoir du « charme » etmême du « miracle ».
Il fait ainsi appel aux puissances surnaturelles dans leur aspect le plus bénéfique.
La poésie participerait donc dumystère même de la création, et sa naissance, ainsi que ses effets, seraient d'inspiration divine.
Nous retrouvons dans cette analyse, unelongue tradition qui fait du poète un magicien, un « voyant », un être en relation avec les forces surnaturelles qui animent le monde.Conscient de l'audace de cette interprétation, Valéry nous explique prudemment qu'il préfère « demeurer dans le vague ».
Cependant laseconde partie du texte éclaire assez bien la valeur qu'il attribue à ces deux termes.Il décrit successivement « l'être » que constitue ce langage poétique et la façon dont il se révèle.
L'aspect le plus frappant de cetteévocation est la création de l'homme par le langage : « son opération — (celle du poète) — tend à constituer le discours d'un être pluspur...
» etc.
Donc le poète recrée l'homme, non pas comme personne réelle, mais fictive, en quelque sorte « théorique », et celui-ci atteintpresque la perfection.
Cette vision expliquerait la distance que l'on constate couramment entre la profondeur de l'émotion que suscite lepoète génial et la personnalité réelle de celui-ci.
De Ronsard à Baudelaire les exemples foisonnent d'individus peu attachants en eux-mêmes et qui écrivirent la poésie la plus bouleversante.Ce langage poétique se présente donc comme une «parole extraordinaire ».
Il se différencie du langage usuel par l'union profonde qu'ilréalise de sa valeur significative et de sa forme esthétique : «le rythme et les harmonies...
si intimement...
liés à sa génération que leson et le sens ne se puissent plus séparer ».
Par là encore il réalise une création supérieure à celle qui nous est donnée d'emblée : demême qu'à un homme déchiré entre des aspirations et des possibilités contradictoires, succède un homme épanoui dans l'harmonie deson être, le langage ainsi révélé réconcilie discours et musique, et c'est dans cette transformation que réside le « charme » évoquéprécédemment.
III.
CRITIQUE DE CETTE CONCEPTION
Si la vision que Valéry nous propose rend au langage poétique sa puissance émotionnelle, certains aspects de sa pensée demeurentcependant quelque peu obscurs.Valéry différencie fondamentalement langage poétique et langue usuelle : cependant si cette dernière contient en elle-même des «ressources émotives », nous devons admettre qu'elle n'est pas d'une nature étrangère à celle de la poésie.
La preuve en est qu'unlangage très proche de celui de la conversation peut susciter en nous les mêmes émotions que la poésie la plus épurée.
En fait ces deuxlangages sont différents plus par le but qu'ils poursuivent que par leur nature et il ne convient pas dès lors de refuser à l'un ses lettres denoblesse.Mais l'aspect le plus contestable de cette analyse tient sans doute à l'évocation de cet être extraordinaire, né, selon Valéry, du langagepoétique : comment cette personne fictive douée de perfection pourrait-elle toucher si profondément les hommes divisés que noussommes ? En fait, c'est souvent par la profondeur de la souffrance, donc de l'imperfection, qu'elle exprime, que la poésie atteint à lapuissance d'émotion la plus forte.
Si le langage poétique est bien harmonie, l'être qu'il crée nous frappe par sa déchéance.
Il nous plongealors au cœur d'une contradiction qui est aussi la révélation de notre existence.
CONCLUSION
Ce texte de Valéry est bâti plus sur des intuitions que sur une analyse rigoureuse, ainsi qu'il l'annonce dans les premières phrases.
Ilcomporte donc certaines faiblesses mais il a aussi le mérite de découvrir un aspect fondamental du langage poétique : son harmonieprofonde est au service d'une recherche de l'homme sur lui-même..
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