Quels commentaires vous inspire le qualificatif de « cancer social» qu'utilise Daniel Borstin pour décrire l'utilisation qui est faite aujourd'hui de l'image ?
Publié le 29/06/2020
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« 1 En dépit de la place prise par les intellectuels au premier plan de la scène contemporaine, nous ne sommes plus des hommes de pensée, des hommes dont la vie intérieure se nourrisse dans les textes. Les chocs sensoriels nous mènent et nous dominent ; la vie 5 moderne nous assaille par les sens, par les yeux, par les oreilles. L'automobiliste va trop vite pour lire des pancartes ; il obéit à des feux rouges, verts. Le piéton, bousculé, hâtif, ne peut que saisir au passage l'aspect d'un étalage, l'injonction d'une affiche. L'oisif qui, assis dans son fauteuil, croit se détendre, tourne le bouton qui 10 fera éclater dans le silence de son intérieur la véhémence sonore de sa radio ou dans la pénombre les trépidants fantasmes de la télévision, à moins qu'il ne soit allé chercher dans une salle obscure les spasmes visuels et sonores du cinéma. Un prurit auditif et optique obsède, submerge nos contemporains. Il a 15 entraîné le triomphe des images. Elles font le siège de l'homme dont elles ont mission, dans la publicité, de frapper, puis de diriger l'attention. Ailleurs,elles supplantent la lecture dans le rôle qui lui était dévolu pour nourrir la vie morale. Mais au lieu de se présenter à la pensée comme une offre de réflexion, elles visent à la 20 violenter, à s'y imprimer par une projection irrésistible, sans laisser à aucun contrôle rationnel le temps d'édifier un barrage ou de tendre seulement un filtre. Lucien Febvre avait donné aux temps modernes, issus de la Renaissance, le nom de «Civilisation du Livre». Cette appellation est dépassée et il semble nécessaire 25 de la remplacer, à partir du xxe siècle, par celle, que j'ai proposée, de «Civilisation de l'Image». Ce goût, cette hantise de l'image, cet esclavageparfois ont préparé à l'art son triomphe actuel : car lui aussi parle aux yeux, et les yeux, désormais affamés d'une nourriture continuelle, ont découvert les 30 prestiges du tableau. Là où jadis l'élite des amateurs éduqués y trouvait seule sa délectation, la foule du public se précipite. Les musées, les expositions multipliées appellent à l'admiration des chefs-d'oeuvres ; de même que dans l'économie moderne le billet de banque a été inventé pour suppléer l'or trop rare, les repro-35 ductions en couleur, développées de l'illustration du livre ou de la revue au fac-similé encadré, se répandent et transportent sur tous les murs, ceux de l'école ou de l'usine aussi bien que ceux de la demeure, la présence irremplaçable du peintre. [...] Si le succès de la peinture auprès des masses comme des élites 40 reflète la vogue obsédante des images, s'il semble flatter ce penchant et en être la conséquence, il en est en même temps la compensation et le correctif. Le professeur Daniel Borstin de l'Université de Chicago a publié, il y a peu, un livre sur l'image et pour qualifier sa hantise il a avancé le terme de« cancer social ». 45 Cette prolifération de l'image, envisagée comme un instrument d'information, précipite la tendance de l'homme moderne à la passivité : sans aller jusqu'à ces images que l'on a essayé de faire passer sur l 'écran cinématographique trop rapidement pour qu'elles soient remarquées, mais assez toutefois pour qu'elles s'impriment 50 dans notre inconscient avec un pouvoir de suggestion que rien n'entrave plus, on peut dire que cet assaut continuel du regard vise à créer une inertie du spectateur. Hors d'état de réfléchir et de contrôler, il enregistre et subit une sorte d'hypnotisme larvé. La réflexion est éliminée et le réflexe, avec son automatisme, tend à 55 la supplanter ; il est simplement conditionné à un degré supérieur à celui que réalisait l'expérience fondamentale de Pavlov. On pourrait dire que l'image, par l'emploi qui en est fait aujourd'hui, vise à étendre au psychisme les règles célèbres que Taylor avait édictées pour l'action, en la pliant aux lois de la machine. Cette 60 triple règle s'énonçait : « Identité, répétition, rapidité ». On pourra vérifier que la publicité, la télévision ou le cinéma se plient à ces principes et les appliquent à l'emploi qu'ils font de l'image, quand ils entendent se servir d'elles pour imprimer aux esprits une orientation déterminée. René Huyghe, Les Puissances de l image. Questions 1. Résumé (40 points) Vous résumerez ce texte en 180 mots (écart toléré: 10 %). Vous indiquerez dans votre copie le nombre de mots employés. 2. Vocabulaire (10 points) Expliquez le sens, dans le texte, des expressions suivantes : - « les trépidants fantasmes de la télévision » (l. 11-12) ; - « hypnotisme larvé» (l. 53). 3. Discussion (50 points) Quels commentaires vous inspire le qualificatif de « cancer social» qu'utilise Daniel Borstin pour décrire l'utilisation qui est faite aujourd'hui de l'image ? ...»
«
ÉPREUVE
3
Écoles européennes
Langue de base Cours
commun
Ju in 1991
TEXTE En dépit de la place prise par les intellectuels au premier plan de
la scène contemporaine, nous ne sommes plus des hommes de
pensée, des hommes dont la vie intérieure se nourrisse dans les
textes.
Les chocs sensoriels nous mènent et nous dominent ; la vie
5 moderne nous assaille par les sens, par les yeux, par les oreilles.
L'automobiliste va trop vite pour lire des pancartes ; il obéit à des
feux rouges, verts.
Le piéton, bousculé, hâtif, ne peut que saisir au
passage l'aspect d'un étalage, l'injonction d'une affiche.
L'oisif
qui, assis dans son fauteuil, croit se détendre, tourne le bouton qui
10 fera éclater dans le silence de son intérieur la véhémence sonore
de sa radio ou dans la pénombre les trépidants fantasmes de la
télévision, à moins qu'il ne soit allé chercher dans une salle
obscure les spasmes visuels et sonores du cinéma.
Un prurit
auditif et optique obsède, submerge nos contemporains.
Il a
15 entraîné le triomphe des images.
Elles font le siège de l'homme
dont elles ont mission, dans la publicité, de frapper, puis de diriger
l'attention.
Ailleurs, elles supplantent la lecture dans le rôle qui lui
était dévolu pour nourrir la vie morale.
Mais au lieu de se présenter
à la pensée comme une offre de réflexion, elles visent à la
20 violenter, à s'y imprimer par une projection irrésistible, sans
laisser à aucun contrôle rationnel le temps d'édifier un barrage ou
de tendre seulement un filtre.
Lucien Febvre avait donné aux
temps modernes, issus de la Renaissance, le nom de «Civilisation
du Livre».
Cette appellation est dépassée et il semble nécessaire
25 de la remplacer, à partir du xxe
siècle, par celle, que j'ai proposée,
de «Civilisation de l'Image».
Ce goût, cette hantise del 'image, cet esclavage parfois ont préparé
à l'art son triomphe actuel: car lui aussi parle aux yeux, et les yeux,
désormais affamés d'une nourriture continuelle, ont découvert les
30 prestiges du tableau.
Là où jadis l'élite des amateurs éduqués y
trouvait seule sa délectation, la foule du public se précipite.
Les
musées, les expositions multipliées appellent à l'admiration des
chefs-d' œuvres ; de même que dans l'économie moderne le billet
de banque a été inventé pour suppléer l'or trop rare, les repro-
35 ductions en couleur, développées del 'illustration du livre ou de la
revue au fac-similé encadré, se répandent et transportent sur tous.
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