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pulsion

Publié le 06/12/2021

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pulsion n.f. (angl. Drive ou Instinct; allem. Trieb). Dans la théorie analy­tique, énergie fondamentale du sujet, force nécessaire à son fonctionne­ment, qui s'exerce au plus profond de lui.

Cette force ayant des formes multi­ples, il convient généralement de parler plutôt des pulsions que de la pulsion, hormis dans le cas où l'on s'intéresse à leur nature générale — aux caractéris­tiques communes à toute pulsion. Celles-ci sont au nombre de quatre : elles ont été définies par S. Freud


comme étant la source, la poussée, l'objet et le but. Elles déterminent la nature de la pulsion: d'être par essence partielle, ainsi que les différents deve­nirs des pulsions — leurs différents sorts (renversement, retournement, refoulement, sublimation, etc.).

L'HISTOIRE DU CONCEPT CHEZ FREUD

La pluralité pulsionnelle suppose la notion d'opposition ou de dualité. Pour la psychanalyse, les différentes pul­sions se rassemblent finalement en deux groupes qui fondamentalement s'affrontent. De cette opposition naît la dynamique qui supporte le sujet, c'est-à-dire la dynamique responsable de sa vie. Cette notion de dualité a toujours été considérée par Freud comme un point essentiel de sa théorie; elle est en bonne partie à l'origine de la diver­gence, puis de la rupture, avec C. G. Jung, qui se montrait, lui, de plus en plus partisan d'une vision moniste des choses.

Dans l'approche du concept de pul­sion, une première difficulté consiste à résister à la tentation psychologisante, la tentation de comprendre vite, qui tendrait par exemple à assimiler la pul­sion à l'instinct, à donner le nom de pulsion à ce qui resterait d'animal en l'être humain. Les premières versions, en français comme en anglais, des textes freudiens ont favorisé ce malentendu en proposant presque systématique­ment de traduire par instinct le terme allemand Trieb.

Une deuxième difficulté provient du fait que la notion de pulsion ne renvoie pas directement à un phénomène cli­nique tangible — quoi qu'on ait pu en dire —, pas plus qu'elle n'a d'implica­tions directes dans la technique analy­tique, dans le maniement du transfert ou la direction de la cure. Si le concept de pulsion rend bien compte de la cli­nique, c'est parce qu'il dirige un ensemble théorique forgé à partir des exigences de celle-ci, et non parce qu'il


témoigne d'une de ses manifestations particulières.

D'un point de vue épistémologique, le terme de pulsion apparaît assez tôt dans l'ceuvre freudienne, où il vient donner le rang de concept à une notion assez mal définie, celle d'énergie. Dès ce moment, ce concept prend très vite une position essentielle dans la théorie analytique, jusqu'à en devenir vérita­blement la clef de voûte, place qu'il occupera encore dans les derniers tex­tes de Freud. Mais cette place n'est pas seulement due au rôle fondateur de la métapsychologie qu'a le concept : elle est motivée aussi par la difficulté même du concept et par sa résistance intrin­sèque, en quelque sorte, à livrer à Freud ce qu'il en attend, à lui dévoiler certains horizons mystérieux. «La théorie des pulsions, écrit-il en 1915, est la ques­tion la plus importante mais aussi la moins achevée de la doctrine psycha­nalytique.«

Chez J. Lacan, la pulsion garde, voire accroît encore, cette place théorique. Elle est pour lui l'un des quatre con­cepts fondamentaux de la psychana­lyse, avec l'inconscient, le transfert et la répétition, et justement celui qui s'avère le plus délicat à élaborer. Elle constitue aussi le point limite où saisir la spécifi­cité du désir du sujet, elle en révèle, par sa structure en boucle, l'aporie, elle per­met de dresser une véritable topologie des bords et elle apparaît finalement comme l'un des principaux modes d'accès théoriques au champ du réel, ce terme de la structure lacanienne qui désigne ce qui est, pour le sujet, l'im­possible.

LA CONCEPTION FREUDIENNE

C'est en 1905, dans Trois Essais sur la théorie de la sexualité, que Freud utilise pour la première fois le terme de pulsion et qu'il en fait, du même coup, un concept déterminant. Mais, dès les années 1890, comme en témoigne sa correspondance avec W. Fliess et l'Es‑


quisse d'une psychologie scientifique, il est très préoccupé par ce qui donne à l'être humain la force de vivre et aussi par ce qui donne aux symptômes névrotiques la force de se constituer. Déjà il soup­çonne que ces forces sont les mêmes et que c'est leur détournement qui, dans certains cas, provoque les symptômes. À cette époque, il essaie de distinguer parmi ces forces deux groupes, qu'il appelle «énergie sexuelle somatique et «énergie sexuelle psychique «, et il introduit même la notion de libido. Puis son intérêt le porte davantage vers les théories du fantasme et du refoule­ment et il découvre les formations de l'inconscient. En 1905, donc, ayant dûment exploré le «comment« de la névrose, il revient à la question fonda­mentale qu'il se posait auparavant, celle du «pourquoi «, celle des énergies en oeuvre dans les processus névro­tiques.

Le problème est que justement les mécanismes de formation des symptô­mes névrotiques dissimulent la nature des forces sur lesquelles ils s'exercent. Aussi, pour accéder à l'intelligence de ces dernières, Freud est-il obligé d'em­prunter un chemin détourné. Il est deux domaines, pense-t-il, qui per­mettent d'observer «à ciel ouvert« —c'est-à-dire suffisamment libre de refoulement — ce jeu des pulsions qui constitue le moteur des névroses et le moteur du sujet humain. Ces deux domaines sont respectivement celui des perversions — où le refoulement n'est guère efficace — et celui des enfants, ces «pervers polymorphes« —avant que le refoulement n'y ait trop opéré.

L'étude des perversions va donc lui fournir le biais pour cerner les caracté­ristiques et les modes de fonctionne­ment des pulsions. Mais, incidemment, cela lui donne aussi les arguments à l'appui de la thèse sur la sexualité infantile — qui sera jugée parfaitement inacceptable à l'époque — et les


moyens d'élaborer une théorie géné­rale de la sexualité.

Dans les Trois Essais sur la théorie de la sexualité, Freud précise d'abord la nature de la pulsion sexuelle — la libido: il lui apparaît qu'il n'y a plus lieu de la partager entre les versants « soma­tique« et « psychique «. Au contraire, il lui semble qu'elle se répartit sur ces deux versants et entre eux et que c'est cette position frontière qui la définit au mieux, comme finalement toute pul­sion. «La pulsion, écrit-il, est le repré­sentant psychique d'une source continue d'excitation provenant de l'intérieur de l'organisme.« Il montre ensuite que, sur le plan sexuel, n'im­porte quel point du corps peut aussi bien être à l'origine d'une pulsion qu'à son aboutissement, comme en témoignent à l'occasion les «perver­sions d'objet «. En d'autres termes, n'importe quel lieu du corps peut être ou devenir zone érogène, du moment qu'une pulsion l'investit. Cette consta­tation a plusieurs implications: en pre­mier lieu, celle de la multiplicité des pulsions, puisque leurs origines et leurs buts sont fort nombreux; en deuxième lieu, celle de leur difficulté à tendre vers une fin commune, c'est-à-dire de leur difficulté, voire de leur quasi-impossi­bilité, à s'unifier, puisqu'elles peuvent se contenter de buts partiels et fort dif­férents les uns des autres; en troisième lieu, celle de la précarité de leurs deve­nirs, puisque ceux-ci se montrent fina­lement aussi variés et mouvants que les buts eux-mêmes.

Enfin, il propose de bien distinguer le groupe des pulsions sexuelles (qui, dans certaines conditions — entre autres quand elles ne sont pas «dé­viées« sur l'une des voies que l'on qua­lifie de perverses —, permettent à l'être humain de se reproduire) d'un autre groupe de pulsions, qui, lui, a plutôt pour fonction de maintenir en vie l'in­dividu. Ce second groupe englobe les pulsions qui poussent le sujet à se nour‑


rir, à se défendre, etc., c'est-à-dire les pulsions d'autoconservation, que Freud ne tarde pas à dénommer plutôt pulsions du moi pour insister non pas tant sur leur fonction (la survie) que sur l'objet de cette fonction: l'individu lui-même.

Freud définit ainsi les pulsions comme étant à l'interface du somatique et du psychique, souligne leur diversité (et donc leur pluralité), indique la fré­quence de leur inachèvement (et donc leur caractère partiel, leur manque d'unification et l'incertitude de leurs destins) et postule deux types princi­paux et opposés de pulsions : les pul­sions sexuelles et les pulsions du moi.

Quelques années après, en 1914, Freud met en avant une nouvelle no­tion, celle de narcissisme — l'amour que le sujet porte à un objet très parti­culier: lui-même. Ce nouveau concept lui fournit une clé supplémentaire pour aborder une partie du champ des psy­choses — des psychonévroses narcis­siques, comme il les appelle à l'époque — mais l'oblige aussi à reconsidérer cette opposition qu'il tenait pour fon­damentale entre pulsions sexuelles et pulsions du moi. En effet, à partir du moment où il admet qu'il existe un véritable rapport d'amour entre le sujet et son propre moi, il lui faut aussi admettre qu'intervient une libidinali-sation de l'ensemble des fonctions du moi — que celles-ci ne répondent pas simplement à la logique de l'auto-conservation mais sont également éro-généisées —, que la préservation du moi ne rentre pas uniquement dans le registre du besoin mais aussi, et finale­ment surtout, dans celui du désir. Dès lors, donc, que le moi est aussi objet sexuel, il en découle que la distinction entre pulsions sexuelles et pulsions du moi n'a plus lieu d'être. Freud la rem­place alors par celle de pulsions du moi et de pulsions d'objet. Très provisoire­ment car il lui apparaîtra assez vite que cette deuxième opposition n'est pas


plus tenable : c'est la théorie du narcis­sisme elle-même qui la dément puis­qu'elle montre précisément que le moi est un véritable objet pour le sujet. Moi et objet sont donc, en fait, à mettre sur le même plan, en tout cas pour ce qui concerne les pulsions.

Une autre étape, presque simulta­née, l'amène à parfaitement préciser les caractéristiques des pulsions. Elle intervient avec la Métapsychologie (1917), recueil initial de douze articles qui ont pour objet de livrer les fonde­ments de la psychanalyse. L'article princeps — l'un des cinq à ne pas avoir été détruit par Freud lui-même — est intitulé les Pulsions et leurs sorts. La pre­mière partie, après un très bel avertis­sement épistémologique, définit la nature de la pulsion : une force cons­tante, d'origine somatique, qui repré­sente «comme une excitation« pour le psychique. Sont énoncées ensuite les caractéristiques de la pulsion: source, poussée, objet et but. La source, on vient de le répéter, est corporelle; elle procède de l'excitation d'un organe, qui peut être n'importe lequel. La pous­sée est l'expression de l'énergie pul­sionnelle elle-même. Le but est la satisfaction de la pulsion, autrement dit la possibilité pour l'organisme d'ac­céder à une décharge pulsionnelle, c'est-à-dire de ramener la tension à son point le plus bas et d'obtenir ainsi l'ex­tinction (temporaire) de la pulsion. Quant à l'objet, c'est n'importe quoi qui permet la satisfaction pulsionnelle —qui permet au but d'être atteint. De tout cela, il ressort que les objets pul­sionnels sont innombrables mais aussi, et surtout, que le but de la pulsion ne peut être atteint que de manière provi­soire, que la satisfaction n'est jamais complète puisque la tension renaît très vite et que, en fin de compte, l'objet est toujours en partie inadéquat et sa fonc­tion jamais définitivement remplie.

Le caractère multiple et opposé les unes aux autres des pulsions est aussi


réaffirmé. Mais Freud est alors beau­coup moins net sur la nature de cette opposition, qu'il juge d'ailleurs peu important de préciser. La distinction moi/objet qu'il prônait lui semble déjà beaucoup moins pertinente et, s'il se réfère encore à celle de pulsions du moi/pulsions sexuelles, c'est davan­tage pour montrer que les deux grou­pes ont finalement chacun pour rôle de garantir la survie de quelque chose et que c'est cette chose qui les spécifie : survie de l'individu pour le premier, survie de l'espèce pour le second. Mais dès lors la pulsion sexuelle, qui témoigne d'une continuité du germen au-delà de l'individu, a une affinité essentielle avec la mort.

La deuxième partie de l'article porte sur les vicissitudes des pulsions —leurs sorts, comme Lacan propose de traduire le terme Triebschicksale. Ce ne sont guère des sorts heureux; et, d'ail­leurs, ils ne doivent leur existence qu'au fait que les pulsions ne puissent atteindre leur but. Freud en dénombre cinq — qui sont cinq façons pour la pulsion d'organiser, en quelque sorte, le ratage de la satisfaction. La première est le processus le plus courant dans le champ des névroses, celui qui est res­ponsable de la formation des symp­tômes: le refoulement. La deuxième, propre aux pulsions sexuelles, reste peut-être la plus mystérieuse : elle est aussi exemplaire de la distance qui peut séparer une origine pulsionnelle de son devenir dernier: c'est la sublimation. Les trois autres — le renversement dans le contraire, le retournement sur la personne propre et le passage de l'activité à la passi­vité — sont en fait constitutives de la grammaire organisant le champ des perversions et plus particulièrement des bascules qui s'opèrent d'une posi­tion perverse à une autre. Enfin, pour être tout à fait exhaustif, il faudrait encore en ajouter deux autres, évoqués dans Pour introduire le narcissisme (1919), qui semblent plus spécifiques aux psy­


choses : l'introversion et les régressions libidinales narcissiques.

En 1919, dans Au-delà du principe de plaisir, à partir des indices fournis par la répétition, Freud finit par faire l'hypo­thèse d'une pulsion de mort. (—> article suivant.) Il l'oppose aux pulsions de vie et fait de cette dualité le couple fonda­mental sur lequel repose toute la théo­rie pulsionnelle. Les pulsions sexuelles, du moi ou d'objet, viennent alors se ranger, suivant leur fonction, dans l'une ou l'autre de ces deux catégories, avec cette notion importante que la survie de l'espèce peut être antagoniste de celle de l'individu. A partir de là, le principe général du fonctionnement psychique est réaffirmé, à savoir que l'appareil psychique a pour tâche de réduire au minimum la tension qui croît en lui, notamment du fait des pul­sions. Mais ce fonctionnement est à présent lui-même subsumé à la pulsion de mort, c'est-à-dire à une tendance générale des organismes non seule­ment à réduire l'excitation vitale interne mais aussi, par là, à revenir à un état primitif inorganisé, soit en d'autres termes à la mort première. Et en 1924, dans le Problème économique du maso­chisme, Freud étayera cette vision des choses en y voyant l'expression du principe de nirvana.

LA CONCEPTION LACANIENNE

Lacan, en particulier dans le livre XI du séminaire les Quatre Concepts fondamen­taux de la psychanalyse (1973), s'emploie à radicaliser ces conceptions. Le fait que les pulsions ne se présentent jamais que comme pulsions partielles lui paraît déterminant en ce qu'il intro­duit le lien nécessaire entre sexe et mort et en ce qu'il fonde une dyna­mique dont le sujet est le produit. Ce sujet est aux prises avec deux logiques volontiers antagonistes : celle qui le fait différent de tout autre vivant, et donc avant tout préoccupé de sa propre sur­vie, et celle qui le veut un parmi les autres et donc au service, même s'il ne


s'en rend pas compte, de son espèce. Par ailleurs, en revenant sur les caracté­ristiques des pulsions, Lacan va insister sur le fait que le propre de l'objet pul­sionnel est de n'être jamais à la hauteur de l'attente. Ce caractère de l'objet a toutes sortes de conséquences : d'abord, de rendre le but pulsionnel impossible à réaliser directement, et cela pour des motifs non pas contin­gents mais structuraux; ensuite, de situer la raison de la nature partielle de la pulsion dans cet inachèvement; puis, aussi, de pouvoir décrire le trajet de la pulsion: en ratant son objet, celle-ci décrit en quelque sorte une boucle au­tour de ce dernier, qui la ramène à son point d'origine et la dispose à réactiver sa source, c'est-à-dire la prépare à enta­mer alors un nouveau trajet quasi iden­tique au premier; enfin, de permettre de rajouter deux autres objets pulsion­nels à la liste établie par Freud : la voix et le regard.

Ce caractère partiel de la pulsion, ce ratage et cet inachèvement incitent encore Lacan à inscrire là l'origine du morcellement corporel fondamental du sujet et à dénoncer le leurre que représente la notion d'une génitalité unifiée, c'est-à-dire d'un stade subjectif où les pulsions seraient toutes réunies pour répondre d'une seule voix à une fonction globale, par exemple de pro­création. Cet état, dit-il, ne peut être qu'un idéal, en flagrante contradiction avec les principes qui régissent les pul­sions; et c'est la notion même de stade, pris dans une perspective de progres­sion génétique, qu'il récuse alors.

 

Ajoutons enfin que le concept de pulsion de mort, comme indiquant l'au-delà du principe de plaisir, fournit à Lacan le meilleur point de départ pos­sible pour introduire son propre con­cept de réel.

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