Pourquoi recourir à des mythes forgés jadis pour s'adresser à une public contemporain ?
Publié le 21/12/2021
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«
L’usage massif de la matière mythique dans les oeuvres modernes pose un
paradoxe : Pourquoi recourir à des mythes forgés jadis pour s’adresser à une public
contemporain ? Ne vaudrait-il pas mieux créer une mythologie nouvelle pour une société
nouvelle ? Si tel est le cas, comment expliquer le très grand succès de la figure
mythologique, chez les auteurs aussi bien qu’auprès des spectateurs, en littérature autant
qu’au cinéma où même dans les médiums les plus modernes ?
Le mythe, solidaire de la définition de soi-même
L’intérêt le plus manifeste et le plus fréquemment rappelé de la reprise du mythe
antique n’est pas exclusivement littéraire : il s’agit en effet d’un intérêt à la fois
psychologique et historique.
L’étude des mythes nous renseigne avant tout sur les
cosmogonies, les structures mentales et intellectuelles des civilisations passées.
Aussi, le
traitement moderne d’un mythe ancien permet de lire le message apporté par le mythe
dans une perspective moderne, et se faisant d’enrichir le mythe d’interprétation nouvelles :
a ce titre, l’exemple célèbre du mythe d’Oedipe interprété par la psychanalyse fournit un
exemple de cette tendance de la pensée moderne à se construire elle-même en perspective
de son origine.
La mythocritique, en effet, se distingue de l’Histoire des mythes en ce qu’elle ne fait
pas la description de légendes anciennes, mais qu’elle traite le mythe au présent : ainsi,
lorsque Kierkegaard s’inspire du personnage de Don Juan pour écrire son Journal du
séducteur , son but n’est pas de traiter de la figure du séducteur ni de sa signification ; le
regard porté sur le héros est un regard porté sur soi-même.
De ce point de vue, le mythe
n’est pas dissociable de l’humain qui l’entende et le retranscrit.
Ce n’est pas par choix que
les auteurs modernes s’inspirent si fréquemment des figures mythiques : ces dernières
sont des motifs à partir desquels tout individu se construit, soit par admiration, soit par
répulsion.
Bien plus les mythes se constituent en un véritable langage symbolique, aussi
prégnants que le langage réel.
Ne parle-t-on pas d’une force herculéenne, d’un calme
olympien, d’un vrai déluge...
?
Le mythe comme outil littéraire
Moyen pour l’auteur d’entrer en discussion avec les figures apprises : la reprise du
mythe est un moyen pour l’auteur d’interroger sa propre culture, et donc ce qui le constitue
lui-même.
En quelque sorte, toute oeuvre littéraire est mythique en soi : elle s’écrit en
perspective de tout ce que l’auteur a connu.
Faire une oeuvre de langage, c’est toujours
réécrire. Le vol d’Icare de Raymond Queneau : roman d’un personnage de roman échappé
de son livre, qui s’efforce de vivre dans le Paris de la Belle Epoque, mais dont les activités
le poussent insensiblement vers l’aviation, et donc la répétition de la chute à laquelle il est
destiné.
Ainsi, la liberté de la figure mythique, celle de l’auteur et celle du lecteur ne
peuvent être conçues indépendamment de leur horizon mythique.
Ce qui est ordinairement appelé « mythe » peut donc être étendu à l’ensemble des
figures qui matérialisent un désir ou une émotion de l’individu.
La figure mythique perd
son caractère figé dès lors qu’elle est reprise et transformée par le monde moderne, qui
lui imprime spontanément les problématiques qui lui sont spécifiques.
Par exemple, le
poème médiéval épique La Chanson des Niebelungen , tiré du folklore germanique et adapté
à l’opéra par Wagner, prend une signification nouvelle dans le contexte de la fin du XIXe
siècle, et parle soudain en faveur d’une unité de la culture allemande, dimension qu’elle
ignorait complètement auparavant.
De même, force est de reconnaître une tendance du
cinéma américain à attribuer aux mythes qu’il interprète des enjeux nés de la pensée et
de l’organisation sociale protestante.
Le mythe, une chose vivante
La critique littéraire moderne aime à souligner la ressemblance phonique entre
l’étymologie grecque du mot « mythe », « mythos », avec le verbe latin « mutare », qui
signifie se déplacer, se modifier.
Les mythes, comme les sociétés, ne sont pas des figures.
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