Pour Montaigne, la vraie éducation doit être la conquête de la vraie liberté. Pensez-vous que cette formule de Pierre Moreau résume bien la pédagogie de Montaigne ?
Publié le 09/12/2021
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La principale préoccupation de Montaigne, tout au long des Essais, est la conquête d'une liberté qu'il considère comme le secret de la sagesse et du bonheur : c'est donc un souci qui doit normalement se retrouver au premier plan dans les passages consacrés à l'« Institution des Enfants ». Telle semble bien être l'opinion de M. P. Moreau, qui résume ainsi la pédagogie de Montaigne : « La vraie éducation doit être la conquête de la vraie liberté ». A travers l'enfant, c'est un homme libre que Montaigne veut former, et sur bien des points, l'éducation selon Montaigne conduit à une conquête de la « vraie liberté ». Mais on peut se demander aussi dans quelle mesure la liberté telle que l'entend Montaigne est bien la vraie liberté, et si son système d'éducation est viable et universel.
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INTRODUCTION
La principale préoccupation de Montaigne, tout au long des Essais, est la conquête d'une liberté qu'il considèrecomme le secret de la sagesse et du bonheur : c'est donc un souci qui doit normalement se retrouver au premierplan dans les passages consacrés à l'« Institution des Enfants ».
Telle semble bien être l'opinion de M.
P.
Moreau,qui résume ainsi la pédagogie de Montaigne : « La vraie éducation doit être la conquête de la vraie liberté ».
Atravers l'enfant, c'est un homme libre que Montaigne veut former, et sur bien des points, l'éducation selonMontaigne conduit à une conquête de la « vraie liberté ».
Mais on peut se demander aussi dans quelle mesure laliberté telle que l'entend Montaigne est bien la vraie liberté, et si son système d'éducation est viable et universel.
I.
LA LIBERTÉ SELON MONTAIGNE
Avant toute considération sur la pédagogie de Montaigne, il nous importe de définir ce qu'est la liberté selonMontaigne.
A mainte reprise, à travers de nombreux chapitres des Essais, Montaigne nous a parlé de cette liberté.C'est d'abord une affirmation d'indépendance matérielle par rapport aux autres hommes.
« Mon opinion est qu'il sefaut prêter à autrui, et ne se donner qu'à soi-même.
» Mais Montaigne place l'essentiel de sa liberté sur un planbeaucoup plus subjectif : c'est avant tout la possibilité d'être pleinement soi en toute circonstance, c'est arriver àune authenticité de la conduite qui rejoint la sagesse socratique.
Mais comment y parvenir ?
II.
L'APPRENTISSAGE DE LA LIBERTÉ
Les perspectives Montaigne distingue trois moments dans l'apprentissage de la liberté : d'abord une connaissancecomplète de soi-même, orientée vers la pratique de soi, qui nécessite un jugement sain et droit, une lucidité sansfaille ; ensuite, tout homme doit savoir juger ce qui est le mieux adapté à sanature.
S'il s'agit de « vivre selon soi »,il faut aussi, selon l'expression de Gide « suivre sa pente, mais en montant ».
Le bien entrevu pour lui, l'homme doitêtre capable de le vouloir, indépendamment de tous, afin d'arriver à cette « vraie et souveraine liberté, maîtresse detoutes les injures de la fortune » que Montaigne décrit au livre I des Essais.Les méthodes Maintenant que se trouvent définies les perspectives qui orientent la pédagogie de Montaigne, ilimporte de voir si les méthodes proposées par le moraliste répondent aux exigences de cette liberté qu'il entendépanouir chez l'enfant.
1.
Épanouissement physiqueLe premier point sur lequel il faut insister, c'est la conquête de soi que Montaigne voit réalisée dans ce qu'on peutappeler, au sens large du terme, une éducation physique.
Il faut que l'enfant commence par acquérir sonindépendance vis-à-vis de son corps : que l'essor de la pensée ou la hardiesse de l'entreprise ne soit pas entravépar un corps qui « ahane » constamment.
L'épanouissement physique est un premier pas fait vers la libération del'âme.
Comment Montaigne prévoit-il cet épanouissement ? D'abord en supprimant autour de l'enfant toutes lescontraintes matérielles, celles des collèges qui sont « une vraie geôle de jeunesse captive», comme celles dessanctions corporelles et des directives qui viennent brimer non seulement le corps, mais à travers lui l'âme del'enfant.« Otez-moi la violence et la force.
Il n'est rien qui abâtardisse et étourdisse si fort une nature bien née ».
Montaignerefuse ainsi toute tentative de contrainte physique, qui selon lui donne l'habitude de la soumission, entrave la plusnéfaste sans doute à la conquête de la liberté.
Que ce soit par une «sévère douceur» que l'enfant soit guidé! il n'enparviendra pas moins à s'aguerrir sur le plan physique comme sur le plan de la sensibilité, et même sur le plan moral ;mais cet endurcissement lui sera présenté sous forme de jeu librement choisi : « notre leçon, se passant comme parrencontre, sans obligation de temps et de lieu, et se mêlant à toutes nos actions, se contera sans se faire sentir ».Mais en toute occasion, il faudra que le précepteur se souvienne que « ce n'est pas une âme, ce n'est pas un corpsqu'on dresse, c'est un homme.
Il n'en faut pas faire à deux ».
L'enfant « accoutumé à tout » selon l'expression deMontaigne, acquerra ainsi, sans qu'il soit besoin pour cela d'un enseignement théorique souvent assez vain, lesprincipales qualités qui lui permettront de se libérer vis-à-vis d'autrui : l'endurance à la douleur et à la peine luivaudront de n'être heureux ou malheureux que par soi-même.
2.
Éducation du jugementLe second grand point du système pédagogique de Montaigne est l'éducation du jugement : il s'agit de former unesprit indépendant de tout préjugé, un esprit sain et droit, capable de voir chaque chose à sa juste valeur, et de seconnaître soi-même.C'est peut-être ici que le rôle du précepteur se révèle le plus important, le plus difficile aussi.
Car s'il faut créer chezl'enfant un jugement indépendant, ce qui n'est possible qu'en dehors de toute contrainte magistrale, il faut aussis'appliquer à former chez lui un jugement droit, donc parfois redresser par une « main de fer » certaines tendancesnaturelles.
La méthode de Montaigne se révèle infiniment souple, variant avec les esprits pour mieux porter sesfruits ; et si les principes sont donnés sous une forme générale, bien des conseils viennent au cours de l'exposé entempérer et en nuancer l'expression.
Le premier conseil donné au précepteur, c'est en effet de « faire trotterl'enfant devant lui pour juger de son train», de le «mettre sur la montre» : le précepteur devra donc savoir doser lapart de liberté et la part de contrainte nécessaires à l'enfant dont il a la charge.
Mais cette nuance déterminanteune fois posée, Montaigne se préoccupe d'une méthode générale pour la libre formation du jugement : c'est d'abordà travers une libre critique des lectures que l'enfant se créera un jugement indépendant ; Montaigne ici condamnetoute l'éducation scolastique qui ne vise qu'à faire des pédants, au lieu que le précepteur du chapitre 26 des Essaisdevra diriger habilement son élève pour qu'il fasse « un ouvrage tout sien » des « pièces empruntées d'autrui »,.
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