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"Plainte" de Charles Cros.

Publié le 15/05/2020

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« "Plainte" de Charles Cros. Vrai sauvage égaré dans la ville de pierre,À la clarté du gaz je végète et je meurs.Mais vous vous y plaisez, et vos regards charmeursM'attirent à la mort, parisienne fière.Je rêve de passer ma vie en quelque coinSous les bois verts ou sur les monts aromatiques,En Orient, ou bien près du pôle, très loin,Loin des journaux, de la cohue et des boutiques.Mais vous aimez la foule et les éclats de voix,Le bal de l'Opéra, le gaz et la réclame.Moi, j'oublie, à vous voir, les rochers et les bois,Je me tue à vouloir me civiliser l'âme.Je m'ennuie à vous le dire si souvent :Je mourrai, papillon brûlé, si cela dure...Vous feriez bien pourtant, vos cheveux noirs au vent,En clair peignoir ruché, sur un fond de verdure. Introduction Depuis la Pléiade, nombreux sont les poètes qui confient leur souffrance à leurs écrits et tentent d'obtenirl'apaisement en implorant la femme aimée, source de leurs maux.

Lorsque Charles Cros publie « Plainte » dans LeCoffret de santal, en 1873, il s'inscrit dans ce lyrisme plaintif.

S'adressant à celle pour qui il se meurt lentement, iltente de lui faire comprendre qu'il voudrait vivre loin des fastes parisiens, en pleine nature, avec elle à ses côtés.

Cevoeu, fondé sur une tradition poétique, se heurte, malheureusement, aux goûts citadins de la jeune femme.

Aprèsavoir montré que sa douleur provient essentiellement de l'opposition de leurs caractères, nous étudierons l'itinérairehumain et poétique qu'exprime cette plainte. I.

La plainte du poète Elle repose d'abord sur le constat que sa difficulté à entraîner la femme aimée provient essentiellement de leuropposition fondamentale face à la vie. 1.

Ces deux conceptions 'sont nettement mises en valeur par le vocabulaire employé par le poète : il oppose le «sauvage » (v.

1) qu'il qualifie de « vrai » afin de montrer qu'il est plus attaché à la vie en pleine nature queréellement misanthrope et la « parisienne » dont la fierté est peut-être causée autant par son orgueil que par leplaisir d'habiter la capitale, symbole de la sophistication, de l'artificiel, de l'anti-nature.

Cette opposition structuretout le texte : il aime la « verdure », tout ce qui est naturel (« les bois verts »[v.

6] ou les « monts aromatiques », les rochers et les bois [v.

11]), elle ne se plaît que dans la « pierre » (v.

1), la« cohue et les boutiques » (v.

8).

Il aime le silence et la solitude, souhaite vivre dans un « coin », à l'écart (v.

8),elle préfère la foule, le bruit (v.

9), le bal, l'opéra, bref, tout ce qui est humain, créé.

Il végète sous « la clarté dugaz » (v.

2), dont l'utilisation pour éclairer Paris est récente, elle ne se sent heureuse que la nuit, grâce au gaz, àl'univers de fêtes du Paris — ville lumière que symbolisent ici le gaz, les plaisirs liés à la fête et à l'art (l'opéra, lesbals), la joie d'être une mondaine, de vivre parmi d'autres humains.2.

Cette opposition crée une tension difficile à supporter pour le poète.

Il désire partir dans un monde exotique(l'Orient, le pôle, encore peu exploré à cette époque), souhaite, en fait, partir loin ; l'anaphore* du mot (v.

7 et 8),son renforcement par l'adverbe « très » et le rejet du second sur le vers suivant révèlent à quel point les lointainslui semblent préférables à la vie parisienne.

Les répétitions sont essentielles dans ce poème : lorsqu'il s'agit de lui, ilinsiste sur les bois (v.

6 et 11), pour elle, il note l'importance du « gaz ».

Il souhaite partir dans un « coin », indéfini,il ne rêve pas d'un lieu précis mais seulement d'un départ, d'un éloignement (l'indéfini « quelque » en témoigne), ellen'aime que l'abondance urbaine comme l'indiquent le pluriel des « éclats de voix », des « boutiques », des « journaux» ou les termes génériques : « la foule », la « cohue », le « bal de l'opéra », la « réclame ».

Il se situe du côté del'essentiel, du naturel ; elle se place dans le superficiel, l'artificiel.

Cette tension est d'ailleurs très fortementmarquée par le « Mais » qui les oppose et intervient deux fois, sous l'accent, en tête de vers (v.

3 et 9).

C'est decette opposition que naît la souffrance du poète.3.

Cette incompatibilité de goûts torture le poète et le conduit à un constat simple mais tragique : il dépérit de nepouvoir se ressourcer, de ne pouvoir vivre comme un sauvage.

Il emploie pour le dire des images très fortes : cellede la plante déracinée qui ne peut s'acclimater à un environnement trop différent du sien : « je végète » ; celle dupapillon qui se brûle les ailes à vouloir trop s'approcher des lumières, qu'il s'agisse de celles de la ville ou du regardde la femme aimée Ces images aboutissent à une évidence, simplement exprimée dès le deuxième vers : « je meurs».

Cette mort est la conséquence directe (indiquée ici par le « et » de coordination) de cette impossibilité à. »

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