Pinel, Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale (extrait)Le Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale (paru pour la première fois en 1801) est l'un des ouvrages majeurs de Philippe Pinel.
Publié le 18/05/2020
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Pinel, Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale (extrait)
Le Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale (paru pour la première fois en 1801) est l’un des ouvrages majeurs de Philippe Pinel.
Considéré comme le fondateur de la psychiatrie en Europe, celui-ci considère l’aliénation mentale comme une maladie au même titre que les maladies organiques, mais dont les conséquences sont destroubles psychiques.
On lui doit notamment la classification des maladies mentales en manies, mélancolie, démence et idiotisme.
Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale de Philippe Pinel
Exemple propre à rendre sensible la différence entre la Démence et la Manie
175.
On ne sauroit mieux connoître la démence qu’en la mettant en opposition avec la manie délirante, pour bien saisir leurs dissemblances.
Dans celle-ci laperception des objets, l’imagination, la mémoire peuvent être lésées ; mais la faculté du jugement subsiste souvent, c’est-à-dire l’association des idées.
Le maniaque,par exemple, qui se croit Mahomet, et qui coordonne tout ce qu’il fait, tout ce qu’il dit avec cette idée, porte en réalité un jugement, mais il allie deux idées sansaucun fondement, c’est-à-dire, que son jugement est faux ; et sous ce point de vue, que deviendroient la plupart des hommes si leurs jugemens erronés étoient un titrede réclusion dans les Petites-Maisons ? Au contraire, dans la démence, il n’y a point de jugement, ni vrai ni faux ; les idées sont comme isolées, et naissent les unes àla suite des autres ; mais elles ne sont nullement associées, ou plutôt la faculté de la pensée est abolie.
J’en puis citer encore pour exemple un aliéné que j’ai eusouvent sous mes yeux.
Jamais une image plus frappante du chaos que ses mouvemens, ses idées, ses propos, les élans confus et momentanés de ses affectionsmorales.
Il s’approche de moi, me regarde, m’accable d’une loquacité exubérante et sans suite.
Un moment après, il se détourne et se dirige vers une autre personnequ’il assourdit de son babil éternel et décousu, il fait briller ses regards, et il semble menacer : mais comme il est autant incapable d’une colère emportée que d’unecertaine liaison dans les idées, ses émotions se bornent à des élans rapides d’une effervescence puérile qui se calme et disparoît d’un clin d’œil.
Entre-t-il dans unechambre, il a bientôt déplacé et bouleversé tous les meubles ; il saisit avec ses mains une table, une chaise, qu’il enlève, qu’il secoue, qu’il transporte ailleurs, sansmanifester ni dessein, ni intention directe ; à peine a-t-on tourné les yeux, il est déjà bien loin dans une promenade adjacente, où s’exerce encore sa mobilitéversatile ; il balbutie quelques mots, remue des pierres, et arrache de l’herbe qu’il jette bientôt au loin pour en cueillir de nouvelle ; il va, vient et revient sur ses pas ;il s’agite sans cesse sans conserver le souvenir de son état antérieur, de ses amis, de ses proches, ne repose la nuit que quelques instans, ne s’arrête qu’à la vue dequelque aliment qu’il dévore, et il semble être entraîné par un roulement perpétuel d’idées et d’affections morales décousues qui disparoissent et tombent dans lenéant aussitôt qu’elles sont produites.
176.
Les faits qui viennent d’être rapportés, joints à d’autres traits distinctifs de la démence, pris de la section précédente, donnent ses vrais caractères spécifiques, qui peuvent être énoncés de la manière suivante, lorsqu’elle est portée au plus haut degré : succession rapide, ou plutôt alternative non interrompue d’idées isolées etd’émotions légères et disparates, mouvemens désordonnés et actes successifs d’extravagance, oubli complet de tout état antérieur, abolition de la faculté d’apercevoirles objets par les impressions faites sur les sens, oblitération du jugement, activité continuelle sans but et sans dessein, et nul sentiment intérieur de son existence.
Source : Pinel (Philippe), Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale, Paris, Brosson, 1809.
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