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Pierre Marivaux

Publié le 09/12/2021

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Rien n'est plus mince que le fil d'un rasoir, rien ne tranche moins (si on en voit seulement l'épaisseur) sur ce qui entoure. Rien n'est cependant plus fort, ni plus tranchant. Ainsi de l'oeuvre de Marivaux. Elle semble mince, à qui voit mal ; elle semble se confondre avec ce qui l'entoure, à qui est myope. Marivaux paraît avoir si bien la couleur de son temps, qu'on l'en distingue à peine. Il brille si gracieusement, que l'on s'aperçoit malaisément de ce qu'il a de redoutable. On se sert de son théâtre pour inventer un mot : le marivaudage, qu'on en vient à confondre avec le vrai génie de Marivaux. On finit par croire que ses pièces sont de bijouteries, que leur fini est un peu court, leur poli de seule politesse, leur élégance un peu vaine, leur précision comme futile. Ce théâtre sans un grand mot, on s'abuse jusqu'à y voir un théâtre sans grande substance. Ces personnages bien élevés qui sortent du salon pour entrer sur la scène, qui ont l'air de danser un ballet courtois, réglé avec toutes les précautions du goût et toutes les ressources de la finesse, qui préfèrent sourire plutôt que de hurler, dont les chagrins badinent et dont les désespoirs tracent des arabesques vives et maigres, ces personnages qui ont trop l'air de n'être que des personnages, deux siècles hésitent, jusqu'à nous, à les prendre au sérieux. Peut-on croire qu'Arlequin souffre, que Silvia pleure, que ces marionnettes italiennes se soutiennent par d'autres ressorts que les fils ingénieux dont le montreur feint de tenir le bout ? Il faudra longtemps pour que Marivaux échappe à sa légende et que la vraie lumière de son oeuvre se lève enfin.

« Pierre Marivaux Rien n'est plus mince que le fil d'un rasoir, rien ne tranche moins (si on en voit seulement l'épaisseur) sur ce quientoure.

Rien n'est cependant plus fort, ni plus tranchant.

Ainsi de l'oeuvre de Marivaux.

Elle semble mince, à quivoit mal ; elle semble se confondre avec ce qui l'entoure, à qui est myope.

Marivaux paraît avoir si bien la couleur deson temps, qu'on l'en distingue à peine.

Il brille si gracieusement, que l'on s'aperçoit malaisément de ce qu'il a deredoutable.

On se sert de son théâtre pour inventer un mot : le marivaudage, qu'on en vient à confondre avec levrai génie de Marivaux.

On finit par croire que ses pièces sont de bijouteries, que leur fini est un peu court, leur polide seule politesse, leur élégance un peu vaine, leur précision comme futile.

Ce théâtre sans un grand mot, ons'abuse jusqu'à y voir un théâtre sans grande substance.

Ces personnages bien élevés qui sortent du salon pourentrer sur la scène, qui ont l'air de danser un ballet courtois, réglé avec toutes les précautions du goût et toutes lesressources de la finesse, qui préfèrent sourire plutôt que de hurler, dont les chagrins badinent et dont les désespoirstracent des arabesques vives et maigres, ces personnages qui ont trop l'air de n'être que des personnages, deuxsiècles hésitent, jusqu'à nous, à les prendre au sérieux.

Peut-on croire qu'Arlequin souffre, que Silvia pleure, que cesmarionnettes italiennes se soutiennent par d'autres ressorts que les fils ingénieux dont le montreur feint de tenir lebout ? Il faudra longtemps pour que Marivaux échappe à sa légende et que la vraie lumière de son oeuvre se lèveenfin. Il n'y a rien dans sa vie même qui puisse aider à le mieux découvrir.

De sa naissance à sa mort, Marivaux est de sibonne compagnie qu'il n'en accepte quasiment aucune ; il ne livre de lui-même rien, ou presque.

Il est plus faciled'écrire la biographie de Marianne ou de Lelio, du Paysan parvenu ou d'Arlequin, que celle de Pierre Carlet Chamblainde Marivaux.

On lui suppose des amours, on lui prête des passions, on lui imagine des soucis.

Mais il ne donne priseni au romanesque, ni même à la curiosité.

On ne s'aperçoit presque pas qu'un homme ne dit mot, quand il écouteattentivement, écrit-il quelque part.

Il semble que sa vie se soit passée à écouter attentivement.

On s'est à peineaperçu qu'il était là.

Il a fait de la littérature sa vie.

Normand, comme Corneille, il n'a pas un destin plus héroïque quecelui de l'auteur du Cid.

Il a de la fortune, il la perd.

Il se marie, sa femme meurt.

Il a une fille, et c'est le seulpersonnage de Marivaux qui semble n'avoir jamais marivaudé, puisqu'elle entre au couvent.

Il a une interprète, Silvia,on suggère qu'il dut en être amoureux.

Il aurait bien eu raison, mais nous n'en savons rien.

Il fut de l'Académie,comme d'autres aussi, moins estimables.

Il meurt, laissant trente-deux pièces de théâtre, six romans, etd'innombrables articles de journaux.

Les archives, ni les anecdotes, les mémoires ni les correspondances n'ont rien ànous apprendre sur Marivaux.

Il est tout entier contenu dans son oeuvre. OEuvre en apparence singulière, dans ce qu'elle nous présente simultanément les chefs-d'oeuvre de l'abstractiondramatique et les modèles du romanesque concret.

Rien de plus elliptique, de plus essentiel, de plus dénué (enapparence) de chair que le théâtre de Marivaux.

Rien de plus minutieux, de plus voluptueusement réaliste et détaillé,rien de plus charnu que Marianne ou le Paysan parvenu.

Les comédies de Marivaux donnent l'illusion d'un artintemporel, indatable, de l'éternel dialogue des éternels amants.

Tout au contraire, les romans de Marivauxpermettent de reconstituer avec une précision admirable la vie même de son temps, dans ce qu'elle a de plus fugitifet de plus quotidien.

Les héros de théâtre, chez Marivaux, semblent vivre dans cet univers de la fable et du rêve,où une perpétuelle vacance de l'esprit et du coeur permet d'oublier les servitudes de l'histoire et les trivialités de lasociété.

Ses héros de romans, si nous les suivons pas à pas, nous entraînent dans le train-train le plus mesquin desjours, nous enseignent ce qu'était la vie d'une marchande à la toilette, d'un cocher, d'une lingère, d'un valet dechambre, d'un financier du XVIIIe siècle.

Je vous peins non pas un coeur fait à plaisir, mais le coeur d'un homme,d'un Français qui a réellement existé de nos jours.

Marivaux est à la fois, croirait-on, l'auteur de pièces algébriqueset dépouillées, et celui de romans touffus et volontairement historiques, c'est-à-dire enfoncé dans l'histoire. Mais c'est peut-être un malentendu qui nous a fait croire que les pièces de Marivaux se situent à Cythère, et sesromans à Paris.

Le malentendu vient de ce que l'art dramatique, pour lui, est l'art de la suggestion, et l'artromanesque celui de l'imprégnation ; les pièces de Marivaux ne sont jamais achevées lorsqu'il a terminé de les écrire.Elles ne vivent et ne s'épanouissent qu'à la clarté vivante de la représentation ou par cet effort délicieux du lecteurqui consent de s'efforcer à être moins lecteur que spectateur.

Voici le plus pur des théâtres purs, celui où lesgestes autant que les paroles les silences autant que les répliques, les mouvements autant que les cris, les entréeset les sorties, les suspens, les hésitations des virgules, les oeillades et les soupirs, tout est absolument nécessaire àl'intelligence du texte.

Il est vrai que Marivaux écrit une langue admirable, que son style est ravissement pur, queson théâtre est d'abord une exquise et cruelle cérémonie du langage, qu'il est avant tout un grand écrivain.

Mais nuldramaturge n'a mieux compris ni plus allégrement accepté la belle servitude du théâtre, qu'une pièce n'existe qu'enfonction de la représentation.

Le seul valable critique de la Double Inconstance aujourd'hui, ce n'est ni Giraudoux niMarcel Arland, ni l'auteur de Lire Marivaux et de cette notice, c'est Julien Bertheau mettant en scène la pièce à laComédie-Française, c'est Micheline Boudet et Robert Hirsch l'interprétant, ce sont les hommes de théâtre donnant(enfin) sa vie totale à cette précise allusion à un chef-d'oeuvre qu'est le texte d'une comédie de Marivaux. Il nous appartient d'entrevoir à la lecture ce que peut être cette vie totale de la pièce.

Mais il faut se faire lecomplice de l'auteur, qui ne consent jamais de nous aider beaucoup.

Il porte à son extrémité la technique del'économie.

Prenons-y garde : dans ce théâtre dont l'amour est l'objet d'étude essentiel, le mot amour n'estquasiment jamais prononcé.

Quand Dorante et Angélique se sont enfin rejoints, au dénouement du Préjugé vaincu,"Que signifie ce que je vois ?" demande le père de la jeune fille.

Ce qu'il voit, le lecteur ne le voit pas.

Et ce que lespectateur va murmurer : Mon père, je l'aime enfin, Marivaux l'esquive et le tait.

Angélique répond seulement : Oui,. »

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