Pierre-Henri SIMON, Témoins de l'homme.
Publié le 30/06/2020
Extrait du document
«
Sans
trop simplifier les choses, il semble que l'on puisse distinguer
trois dispositions psychologiques du lecteur; plus simplement, trois
façons de lire.
La première est d'y chercher une diversion de la vie : on prend un livre,
le soir, quand on est fatigué d'une journée de travail, pour y trouver un
agrément de l'imagination, une pente facile de l'intelligence vers des
objets qui l'amusent, vers des problèmes artificiels propres à la détourner
des questions concrètes que lui posent durement le.t�9i9JO professionnel,
l'action sociale ou la méditation morale.
Ainsi fait, par exemple, le lec
teur de romans policiers -et je ne vais pas commencer par dire du mal
des romans policiers, et par me brouiller avec ceux qui en usent, je me
ferais du premier coup trop· d'ennemis ! J'admets pa�C9Jc?R?Sc que l'on
pratique cette méthode de lecture récréative, que l'on cherche à l'étenil�?
à beaucoup d'autres ouvrages, dont certains ne sont pas sans mérites : je
ne conteste nullement le talent de Georges Simenon, ou de Marcel
Pagnol, ou de Pier�? Benoit ( ...
).
Une seconde façon de lire, analogue à la première, mais plus raffinée,
est de demander à l'œuvre littéraire une pure jouissance esthétique : par
conséquent, encore, une diversion de la vie, mais à un niveau plus relevé,
où le plaisir est de goûter une belle musique de la phrase, de subtiles
consonances d'images, un ordre parfait de la pensée, quelles que soient
d'ailleurs la signification morale ou la tendance spirituelle des textes.
Ainsi lit Je dilettante, le fin lettré, et de préférence dans de beaux
volumes, dont il caresse amoureusement les reliures de plein cuir et dont
il collectionne les éditions de prix.
J'ai trop de bons amis qui pratiquent
cette liturgie pour contester ce qu'elle implique de distinction réelle, ce
- qu'elle produit de rare et de charmant dans les esp�Jc_ Je remarque
seulement -et je ne pense pas que des jeunes gens d'aujourd'hui me
contredisent qu'elle convient mieux à des périodes de calme et de bon
heur qu'à des époques de crise et d'inquiétude.
Que nos grands-pères,
avant 1914, aient savouré avec amour la prose d'Anatole France ou de
Pierre Louys, que nos pères et ceux d'entre nous qui avons assez d'âge
nous soyons complus, après 1920, aux raffinements d'un Valery Larbaud,
aux prouesses d'un Cocteau, aux jeux précieux d'un Morand ou d'un
Giraudoux, cela était naturel; mais il est naturel aussi qu'en ce milieu
tragique du xx• siècle, à moins d'imiter les patriciens de la décadence qui
composaient des acrostiches en attendant que passent les grands bar
bares blancs, nous ayons, à l'égard des livres, des exigences plus dramati
ques.
D'où la troisième façon de lire: celle qui nous met devant l'œuvre.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Selon Pierre-Henri Simon, « l'exploitation moderne des mythes antiques » se fait généralement de la façon suivante: l'auteur moderne cherche à «y trouver, pour l'intelligence de l'homme du xxe siècle, un prétexte de réflexion et un jeu de symboles, en l'amusant d'ailleurs par la virtuosité de la transposition » (Théâtre et destin, 1959).
- « Un texte dramatique est un texte littéraire conçu en vue d'être représenté : sa nature est double ; il n'existe pas sans un style, appréciable à la lecture, et pourtant ses valeurs propres ne peuvent pleinement jaillir que par le jeu du théâtre, par la représentation. » Commentez cette affirmation de Pierre-Henri Simon.
- Pierre-Henri SIMON, Questions aux savants
- Saint-Exupéry écrit dans Terre des hommes : « Etre homme, c'est précisément être responsable. C'est connaître la honte en face d'une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. C'est être fier d'une victoire que les camarades ont remportée. C'est sentir, en posant sa pierre, que l'on contribue à bâtir le monde. » Vous étudierez avec soin cette définition de la responsabilité, en indiquant dans quelle mesure elle rejoint votre expérience personnelle.
- Dans La Religieuse "Diderot se livre à ce qu'il nomme lui-même une effroyable satire des couvents, mais cette volonté polémique ne vaudrait que pour l'anecdote s'il n'y développait une véritable méditation sur les méfaits de la solitude et sur les effets pervers de la violence que l'homme exerce contre la nature et contre lui-même- spirituellement par le fanatisme, physiquement par la répression systématique des besoins du corps". Dans quelle mesure ce propos de Pierre Lepape (Diderot