Pierre GASCAR, Dans la forêt humaine: «La recherche du passé» traduit-elle, selon vous, «l'existence [...] d'un regret, d'une nostalgie » ?
Publié le 13/07/2020
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« J'ai toujours trouvé surprenant que la psychologie néglige ce fait capital: à savoir que la plus grande source de diversité entre les hommes ne réside pas dans leurs sentiments, leurs idées, leurs caractères, mais d'abord dans leurs rapports avec le temps. La notion de la durée, c'est-à-dire du passé et de l'avenir, semble être à la base de toute vie morale. [...] Je vis beaucoup dans le passé. Pas tellement dans le mien, qui, à beaucoup d'endroits, manque d'attraits,maisdansceluidel'humanité,autant que mon expérience et ma culture me permettent de le connaître. J'ai la passion de l'Histoire, et je vois là d'autant moins une simple fantaisie de mon esprit que cette passion se développe, depuis quelque temps, chez beaucoup de mes semblables et semble être ainsi un des phénomènes psychologiques les plus révélateurs de notre époque. Il faut cependant noter la constance de ce phénomène, au cours des siècles. Les hommes de là Renaissance vivaient en pensée dans l'Antiquité classique. « Le monde n'a plus aucun intérêt, depuis la fin de Rome», disait, en termes voisins, Saint-Just traduisant le sentiment de tous les dirigeants révolutionnaires. Entre 1820 et 1830, on ne rêvait que du Moyen Age; on observe, vers la fin du XIXe siècle, un certain engouement pour les Mérovingiens... Toute culture n'est évidemment que passé. Et, ce passé, voici qu'il s'anime, devient théâtre vivant, grâce à l'Histoire écrite ou en images. Plus instruite, la quasi-totalité de la population y a aujourd'hui accès et se rue vers les âges révolus. On s'entichait (1) d'une seule époque, jadis. Toutes y passent, maintenant, car la multiplication des publications et des produits audio-visuels permet aux historiens de nous offrir un choix plus étendu. Il n'est pas douteux que la recherche du passé, cette recherche avide dont témoigne le prodigieux succès des récits historiques, quelle que soit leur qualité, traduit l'existence, dans toutes les classes de la société, d'un regret, d'une nostalgie. Les événements reculés dans le temps ont une réalité plus achevée que ceux que nous venons de vivre et qui s'étirent jusque dans le présent, y altérant leur signification, s'y diluant. Notre vécu individuel ou collectif reste mal dégagé de ce qui le prolonge. Le miracle cependant, c'est que ce temps de tous les jours relie directement notre présent, si trouble, si confus, si brouillé, aux grandes images épurées de l'Histoire, où nous lisons la promesse de notre propre transfiguration. Pour cela, il faut toutefois que subsistent mille petits éléments qui, dans notre existence quotidienne, révèlent la présence de ce lien. Or, voici que, les uns après les autres, ils disparaissent. Projetés par la révolution scientifique et technique de ces dernières années dans une civilisation absolument étrangère, sur de nombreux points, à la précédente, nous éprouvons le besoin de nous replacer, par n'importe quel moyen, dans une continuité. Au siècle dernier et au début de celui-ci encore, le présent, en dépit des transformations profondes qui raccompagnaient, restait étroitement rattaché au passé (j'entends par là ce qui se situe au-delà de la génération précédente). Depuis la dernière guerre, une véritable coupure s'est opérée dans le temps. On reconnaîtra que l'invention de la machine à vapeur ou l'utilisation de l'électricité ne constituaient pas des nouveautés de nature à apporter dans la vie physique et morale de l'homme des bouleversements semblables à ceux que la maîtrise de la puissance nucléaire, la prospection de l'espace et les progrès de l'électronique (pour arrêter ici l'énumération) y ont provoqués. Menace d'une destruction totale de l'espèce humaine, preuve, demain, de l'existence d'autres êtres vivants, dans l'univers, création de machines presque aussi intelligentes que l'homme... On peut dire, pour employer un mot à la mode, que toutes nos inventions jusqu'à la dernière guerre font figure d'innocents «gadgets». Nous vivons un autre âge, pas plus difficile à vivre peut-être que ceux qui l'ont précédé, car nous jouissons d'un bien-être qui parvient à endormir nos appréhensions, mais parfaitement autonome. Et c'est sans doute ce dont nous nous satisfaisons le moins. Pierre GASCAR, Dans la forêt humaine (1976). (1) s'entichait : se passionnait QUESTIONS 1. Résumé (8 points) Vous résumerez le texte en 175 mots. Une marge de 10 % en plus ou en moins est admise. Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre de mots employés. 2. Vocabulaire (2 points) Expliquez le sens dans le texte des deux expressions suivantes: « altérant leur signification » « images épurées de l'Histoire » 3. Discussion (10 points) «La recherche du passé» traduit-elle, selon vous, «l'existence [...] d'un regret, d'une nostalgie » ? ...»
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