phobie
Publié le 06/12/2021
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phobie n.f. (angl. Phobia; allem. Phobie). Attaque de panique devant un objet, un animal, un aménagement particulier de l'espace qui jouent comme signaux d'angoisse.
Ce symptôme, qui peut apparaître pendant la petite enfance et dans certains états de névrose et de psychose, n'exclut pas que l'on puisse parler de structure phobique, que l'on pourra définir, avec Ch. Melman, comme une maladie de l'imaginaire.
SITUATION FREUDIENNE DE LA QUESTION DE LA PHOBIE: L'ANGOISSE DE
CASTRATION
La phobie est d'emblée une notion psychanalytique. S. Freud l'appelle hystérie d'angoisse. Malgré l'éclatement de cette notion en symptômes divers surgis dans l'hystérie, la névrose obsessionnelle, la psychose même, il se dessine une spécificité structurale de la phobie. Son enjeu, qui peut être étudié dans la très fréquente et passagère phobie infantile, est la symbolisation même, dans son lien difficile avec l'imaginaire.
L'hystérie d'angoisse, chez Freud, s'oppose à l'hystérie de conversion, où de grandes formes d'excitation liée à l'investissement libidinal d'une représentation refoulée conduisent à un symptôme somatique. Dans l'hystérie d'angoisse, l'angoisse due à une représentation angoissante liée à la sexualité apparaît en elle-même, produit une fuite qui oriente l'investissement vers une représentation substitutive qui joue le rôle à la fois de signal d'angoisse et d'écran devant la vraie raison de cette angoisse, qui est à trouver et à définir.
L'intérêt de cette question tient à ce que ni Freud ni J. Lacan, dans leurs élaborations si nouvelles à ce sujet, n'ont eu de position théorique immuable. Et l'on peut dire que, chez Freud, malgré la guérison du cas appelé «le petit Hans « (1905; trad. fr. in Cinq Psychanalyses, 1954), la situation de la phobie a été renouvelée en 1920 dans Inhibition, symptôme, angoisse sans être pour autant conclue. Quelle est donc la question spécifique de la phobie ? Peut-on tirer de l'exposé de l'élaboration nécessaire de cette question quelque chose qui nous guiderait vers ce que la phobie a d'original? Freud, dans l'analyse du petit Hans, expose un cas qui noue la question de la phobie, ici du cheval, à ce qu'on appelle phobie enfantile c'est-à-dire ce moment de
l'enfance, 3 à 5 ans peut-être, où souvent le sujet prend peur de façon irraisonnée devant certains animaux et certains espaces et où surgit ainsi le signal de ce que Freud théorise comme l'angoisse de castration. Cette phobie se résout le plus souvent avec la prise en compte par l'enfant de l'ordre qui régit non seulement sa sexualité, mais la transmission et la filiation.
Le petit Hans n'osait sortir dehors: il avait peur qu'un cheval attaché à une carriole ne le morde. Il semble qu'il ait craint surtout que ce cheval ne tombe et ne fasse alors un « charivari «. Freud ne mena pas directement la cure, mais indirectement, par les parents de Hans, qui étaient ses élèves. Cela n'est pas indifférent par rapport à cette interrogation fondamentale du phobique sur la transmission du savoir concernant le désir et la jouissance. Le petit Hans, comme tout phobique, si « infirme « qu'il soit dans sa claustration, est vif, intelligent, lucide et démystificateur. Il est volontiers ironique devant les théorisations parentales qui caricaturent pesamment les théories freudiennes sur le complexe d'Œdipe et l'angoisse de castration, tout en en reconnaissant la justesse, d'ailleurs. En effet tout le travail que Hans fait sur la différence sexuelle, sur la venue* des enfants et en particulier de sa soeur Anna si jalousée, sur son déni (allem. Verleugnung) devant le sexe de sa soeur élabore peu à peu autre chose que la panique devant ce substitut phallique qu'est le cheval dans la réalité extérieure; il admet peu à peu ce que l'angoisse de castration enjoint de symboliser et il est conduit à une certaine guérison.
Cependant, le ressort de sa cure — et n'est-ce pas une indication pour les cures de phobies? — vint au moment où Freud dit à Hans: «Bien avant qu'il ne vînt au monde, j'avais déjà vu qu'un petit Hans naîtrait un jour qui aimerait tellement sa mère qu'il serait par la
suite forcé d'avoir peur de son père et je l'avais annoncé à son père.« A ce que Freud appelle avec humour «sa vantardise enjouée« correspond une intervention qui n'est pas une prédiction religieuse, même si le petit Hans demande brusquement à son père : «Le professeur parle-t-il avec le Bon Dieu pour qu'il puisse savoir tout ça d'avance ?« Certes, Freud indique le juste lieu de la peur de Hans: le cheval serait un substitut du père dans le triangle oedipien; mais encore fallait-il que cette historisation du conflit pût situer un savoir inconscient comme un ensemble (Lacan le nommera S(ift), comme le lieu de langage où Hans a sa place dans la transmission signifiante; si le cheval (allem. Pferd) vient en assonance avec Freud, c'est qu'il n'est plus seulement ce morceau d'espace qui surgit de l'horizon et qui tombe brutalement, dans sa crudité non symboli-sable, c'est que le petit Hans est entré dans le noeud qui lie filiation, nomination, transmission par les réseaux symboliques du langage.
Il va dès lors pouvoir retrouver le lieu fictionnel des théories sexuelles infantiles où peuvent s'historiser comme un jeu sérieux les différentes places où un sujet peut se tenir et où la castration peut prendre un autre sens qu'un danger de mutilation. Guérison imparfaite, dira Lacan, dans la mesure où c'est du côté d'une grand-mère qu'il trouvera, entre sa mère et lui, le tiers qu'il ne trouve pas chez son père et où la paternité qu'il situera sera surtout une paternité imaginaire. Il reste que la question du phallus et de ses lois a pu être posée et que la réponse donnée prend place dans un lieu dialectisé et non projeté dans la réalité extérieure de l'espace comme l'imminence d'un danger qui, n'obéissant à aucune loi, peut surgir à n'importe quel moment de n'importe où.
Dans Inhibition, symptôme, angoisse (1920), Freud renvoie la phobie à une
angoisse du moi et situe ainsi l'angoisse de la phobie directement en relation avec la menace de castration, tandis que l'angoisse hystérique se manifeste par la perte de l'amour du côté de l'objet et que l'angoisse de la névrose obsessionnelle se joue par rapport au surmoi. Il ne semble pas pourtant que ces précisions invalident l'idée d'une motion pulsionnelle refoulée qui reviendrait comme une perception de l'extérieur. Car, même si le concept freudien de projection, inventé et opératoire à propos de la paranoïa, ne convient pas vraiment à la phobie, dans la mesure où l'opposition de l'intérieur et de l'extérieur renvoie à une prégnance imaginaire qui ne peut organiser qu'en impasse les liens entre le langage et la façon dont le sujet s'y situe, on peut dire que la phobie pose la question même du refoulement. Cependant, si le refoulement originaire y est en place, il semble que le lien entre les mots et l'imaginaire, qui concerne l'espace et le regard, constitue une solution originale. S'ajoute donc la question suivante : la cure d'un phobique doit-elle conduire à une névroti-sation? S'il est vrai que le phobique a inventé tout un montage pour éviter la castration et la névrotisation qui marque la symbolisation qu'elle engendre, doit-on pour autant en éluder la raison, et peut-être le bénéfice, et ne pas tenter de repenser la question et les enjeux de la castration?
L'IDÉE LACANIENNE DU SIGNIFIANT
PHOBIQUE
Lacan, dans le séminaire sur la Relation d'objet (1956-57), étudie quasi mot à mot l'analyse du petit Hans relatée par Freud. Il nous fait passer de la considération stérile de l'objet phobique à l'idée opératoire de signifiant phobique. Ce signifiant phobique, par exemple le «Pferd« pour Hans, y est défini comme signifiant à tout faire, véritable métaphore du père qui per‑
met à l'enfant de symboliser le Réel de la jouissance phallique, qu'il découvre et qui fait surgir les enjeux oedipiens.
L'objet phobogène est situé alors par Lacan comme ce qui, dans l'espace, sert à masquer l'angoisse fondamentale du sujet. «Pour combler quelque chose qui ne peut se résoudre au niveau du sujet, au niveau de l'angoisse intolérable, le sujet n'a d'autre ressource que de se fomenter la peur d'un tigre de papier« (ibid.). La question est alors de savoir ce qui lie l'objet phobogène au signifiant phobique; mais cela ne semble pas directement abordé chez Lacan, bien que ce ne soit qu'à partir de la théorie lacanienne de l'objet a, et en particulier de ce qu'il dit du regard, que le problème de cette articulation puisse être résolu.
Dans le Séminaire XVI «D'un autre à l'Autre« (1968-69), Lacan prend position sur la question de savoir si on peut parler d'une «structure phobique « : «On ne peut pas y voir une entité clinique «, dit-il, «mais plutôt une plaque tournante, quelque chose qui doit être élucidé dans ses rapports avec ce à quoi elle vire le plus communément, à savoir les deux grands ordres de la névrose, l'hystérie et l'obsession, mais aussi bien la jonction qu'elle réalise avec la perversion«.
En effet, il se pose une question: comment distingue-t-on l'objet phobique de l'objet fétiche ? Ils entretiennent tous deux un rapport direct avec l'angoisse de castration, ils ont valeur de signifiants, mais sont tous deux imaginarisés ; ils représentent tous deux une certaine positivation du phallus et ménagent un accès à la jouissance phallique.
Cependant, on peut trouver chez Lacan, dès 1963, dans un unique séminaire, le Séminaire des Noms-du-Père (— Nom-du-Père), une indication qui va spécifier peut-être l'objet phobique : «Il n'est pas vrai que l'animal paraisse comme métaphore du père au niveau de la phobie, la phobie n'est qu'un
retour.« Retour à un totem? Ce n'est pas sûr et, si Lacan revient sur cette question, c'est pour affiner la question du lien entre Nom-du-Père et phallus dans l'objet phobique: il semble bien, comme le souligne Melman, que l'animal phobique représente le phallus et non le père. Pouvons-nous dire que l'objet phobique fait une sorte de « crase « entre la valeur signifiante du phallus et un appel au Nom-du-Père symbolique qui se résout souvent selon une paternité imaginaire ? Ces questions prendront un tournant important dans le séminaire R.S.I. (1974-75), où justement l'imaginaire est situé à part entière, égal aux deux autres registres Réel et Symbolique et comme eux élément indispensable au nouage. Le 17 décembre 1974, Lacan redéfinit l'angoisse comme «ce qui de l'intérieur du corps ex-siste... quand il se trouve que se rend sensible l'association à un corps... d'une jouissance phallique «. Il dit encore : «Si le petit Hans se rue dans la phobie, c'est évidemment pour donner corps à l'embarras qu'il a de ce phallus et pour lequel il s'invente toute une série d'équivalents diversement piaffants sous la forme de la phobie dite des chevaux; [...] c'est à lui rendre cette angoisse, si l'on peut dire, pure, qu'on arrive à la faire s'accommoder de ce phallus.« S'indique ici une direction de la cure : passer d'une po-sitivation du phallus à ce qui en est exactement la fonction, l'opérateur symbolique
LES CONSÉQUENCES CLINIQUES ET THÉORIQUES DE UCEUVRE DE LACAN SUR LA CONCEPTION DE LA PHOBIE
L'oeuvre de Lacan permet d'avancer sur les différentes questions posées par la phobie — et, sans doute, de poser l'hypothèse d'une structure propre à la phobie ; hypothèse importante car, assez souvent, de grands phobiques
sont situés et traités comme des psychotiques.
Il existe des phobies d'animaux et des phobies de l'espace (agoraphobie, claustrophobie).
Or, il semble que Lacan puisse nous aider à résoudre cette distinction. C'est l'un des enjeux de l'étude de Melman (op. cit.), qui pose la phobie comme «une maladie de l'imaginaire «. Reprenant les descriptions anciennes de M. Legrand du Saune (1878), il remarque en effet combien ce sont les espaces organisés par la perspective qui sont phobogènes : places désertes où rien n'arrête le regard, belvédères, points de vue vertigineux. Notons alors que l'animal, cet « automaton«, surgit souvent de ce qui a fonction de point de fuite, comme si ce point — induit par un rapport à l'espace réglé par l'image spéculaire, vue et articulée par une parole dans le miroir — n'était plus rat-tachable à une géométrisation mais pouvait surgir comme un lambeau d'espace, doué de sa propre autonomie. La psychanalyse lacanienne, depuis le Séminaire XI, 1963-64, «les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse« (1973), sait reconnaître dans le point de fuite d'un tableau la place du regard. Or, il s'agit expressément de cela dans la phobie: l'espace produit comme un danger menaçant, le réel même du regard et non plus sa place. Pour quelles raisons ? On peut arguer d'une relation à l'imaginaire l'acuité intelligente des phobies, si notable et si impuissante à les guérir, peut s'éclairer de cela. Melman peut écrire en opposant au phobique le névrosé, qui paie par la castration un tribut symbolique au grand Autre pour la jouissance : «C'est [...] comme si le sujet payait à l'Autre [...] un tribut de l'ordre de l'imaginaire avec l'invention de l'animal phobogène [...] la phobie se présente donc comme si l'amputation de l'espace venait de façon inattendue constituer le tribut que le phobique était amené à payer.« Tout névrosé,
certes, connaît des lieux inaccessibles, marqués d'une interdiction; «mais le problème c'est que, pour le phobique, ce tribut n'a jamais de limite: cela peut venir s'étendre jusqu'au bord de son domicile; autrement dit, il peut en quelque sorte tout donner« (ibid.). Ce qui permet à Melman de dire, en reprenant la problématique borroméenne de Lacan, qu'il y a un rapport singulier dans la phobie entre Imaginaire et Réel. Alors que d'habitude c'est le rond du Symbolique qui fait trou, que celui de l'Imaginaire fait consistance, que celui du Réel fonde l'« ek-sistence «, tout se passe dans la phobie comme si c'était l'Imaginaire qui était marqué de la dimension du trou. Cela ne va pas sans conséquences : cela explique le jeu, l'équivoque chez le phobique entre le caractère fini ou infini de la jouissance à laquelle il a affaire, jouissance phallique ou jouissance de l'Autre. Cela démontre la prégnance de la relation moïque au semblable, en particulier au nécessaire accompagnateur, dès lors qu'il y a cette suspension, cette économie de la castration dans la relation au phallus qui ne pose pas véritablement la différence des sexes. Cette relation à l'infinitude, payée par l'angoisse il est vrai, donne au phobique cette acuité sur lui-même et le monde qui est son charme bien que cette acuité ne suffise pas à le guérir. C'est là la difficulté des cures de phobiques, et les succès véritables mais temporaires des rééducations comportementalistes trouvent là leurs arguments. Cependant, elles laissent entier le problème éthique posé par une guérison: passe-t-elle par une névrotisation? Comme le dit Mel-man: «Est-ce que le Nom-du-Père est la cheville nécessaire pour obtenir la castration ou bien est-ce qu'elle est la cheville du symptôme ?«