philo "penser, c'est dire non" dm
Publié le 22/04/2024
Extrait du document
«
1.
Penser, c'est dire non.
Remarquez que le signe du oui est d'un homme qui
2.
s'endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non.
Non à quoi ? Au
3.
monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n'est que l'apparence.
En tous ces cas-là,
4.
c'est à elle-même que la pensée dit non.
Elle rompt l'heureux acquiescement.
5.
Elle se sépare d'elle-même.
Elle combat contre elle-même.
Il n'y a pas au
6.
monde d'autre combat.
Ce qui fait que le monde me trompe par ses
7.
perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c'est que je consens, c'est
8.
que je ne cherche pas autre chose.
Et ce qui fait que le tyran est maître de
9.
moi, c'est que je respecte au lieu d'examiner.
Même une doctrine vraie, elle
10.
tombe au faux par cette somnolence.
C'est par croire que les hommes sont
11.
esclaves.
Réfléchir, c'est nier ce que l'on croit.
Qui croit ne sait même plus ce
12.
qu'il croit.
Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien.
Au sens large du terme “penser”, la capacité de penser est ce qui différencie
l’Homme des animaux.
Or, l’acte de penser peut être synonyme de plusieurs
activités intellectuelles.
Premièrement, penser peut signifier une simple
prise de conscience.
C’est ainsi que lorsqu’on pense à quelque chose, on se le
représente en tête, sous forme d’idée, d’image.
Penser peut également avoir
une signification plus profonde, celle de réfléchir.
Le thème de ce texte
d’Alain est la raison, et plus précisément la réflexion, le fait de remettre en
questions ce que nous savons.
L’auteur défend d’emblée sa thèse en disant
que penser, c'est-à-dire exercer son esprit sur la matière de la
connaissance, signifie “dire non” , aller à l’encontre, nier.
Par “dire non”,
on entend ici une forme de lutte contre l’adhésion.
Mais doit-on toujours
nier? à quoi fait-il allusion? Comment explique-t-on ce lien entre la
négation et la pensée? Ainsi, selon Alain, penser reviendrait à remettre en
question les idées préconçues, d’examiner les différentes perspectives et de
rechercher des réponses plus justes.
L’acte de penser, c’est donc aussi celui
de juger par soi-même.
En effet, lorsque nous prenons position sur une
question, lorsque nous faisons des choix de liberté, nous sommes amenés à
questionner, réfléchir, et forger une opinion de nous mêmes, d’aller contre
ce qui nous à été inculqué et d’examiner les différentes perspectives.
La
pensée doit ainsi se confronter à elle-même, et nous ne pas se contenter
d’accepter passivement ce qui lui est imposé.
Mais en quoi le refus, la remise
en question et la lutte interne de la pensée contre elle-même, tels que
décrits par Alain, constituent-ils des éléments essentiels pour la
construction d'une pensée authentique ? Comment ce texte d'Alain met-il
en avant l'importance de la réflexion, du refus et de la lutte interne dans le
processus de construction d'une pensée libre et consciente? En somme,
qu’est ce que penser au sens de réfléchir? Nous pouvons établir le plan
suivant :
I.
Penser, une démarche de réflexion introspective :
L1.(“penser, c’est dire non”) à L.6 (“autre combat”).
II.
L’absence de réflexion peut avoir des conséquences néfastes:
L.6 (“ce qui fait que le monde”) à la fin.
La phrase "penser, c’est dire non" utilisée par Alain au début de son
texte peut sembler simple à première vue, mais elle suscite immédiatement
deux objections.
Au premier abord, cette affirmation semble réduire la
notion de pensée.
Par réductrice, on entend ici qu'elle néglige de prendre en
compte la possibilité que nous puissions être d'accord avec une opinion.
En
effet, lorsqu’on pense,on évalue les choses et on peut donc certes "dire
non" à celles qui sont fausses.
Mais cela n’est pas toujours le cas; quand
est-il de ce qui est vrai? Il semble évident que nous devons également dire "
oui" à ce qui est vrai.
Par exemple, des concepts fondamentaux comme
1+1=2 ne peuvent pas être niés.
Ainsi, à première vue, il n'y a aucune raison
de lier l'activité de penser au simple fait de nier.
De cette façon, nous pouvons établir que penser, ce n'est pas
nécessairement dire non, et inversement, dire non n'est pas nécessairement
penser.
Mais il semble évident que "dire non" ne soit pas suffisant pour
démontrer la pensée.
Qu'essaie de dire l’auteur par “dire non”? Cela fait
d’ailleurs écho à la Première Méditation de Descartes, qui explique que
l'acte de douter serait nécessaire pour parvenir à la vérité, et cela peut être
assimilé à un refus initial.
Mais cela ne signifie pas que dire non équivaut à
penser, car on peut dire non sans réellement penser.
Par conséquent, on
déduit qu’il serait absurde de systématiquement refuser toute proposition,
car cela ne reflète pas une pensée active.
Alain illustre sa thèse en
comparant l'acquiescement passif au fait de s'endormir, et le refus actif à un
réveil.
Bien que penser soit un état et non une action au sens strict, Alain
établit que cela implique une certaine forme d'activité.
Ainsi, le
rapprochement opéré par l’auteur entre le fait de penser et celui de dire non
pourrait être formulé comme suit : dire non est une forme d’activité.
La
pensée est une activité individuelle, donc “penser, c’est dire non.”.
Cependant, cette métaphore et ce syllogisme ne semblent pas suffisants
pour justifier ses propos, c’est ainsi que la phrase suivante explique plus
précisément qu'il faut “dire non” à quoi.
En effet, nous venons d’établir que
cela révèlerait de la bêtise de tout simplement nier, et que nous ne pouvons
pas nier certaines choses.
Ainsi, Alain montre par une question rhétorique
en émettant trois hypothèses: “non à quoi? Au monde, au tyran, au prêcheur
? ” qu’il ya bien évidemment une catégorie de choses précises auxquelles il
faut conférer une réflexion particulière.
Mais à quoi fait il allusion en
employant les termes “au monde”, “au tyran” et “au prêcheur”?
Par « monde », on peut comprendre ce qui est susceptible d'être perçu par
les sens, mais aussi la société par laquelle l’individu est entouré.
Le penseur
qui dit non pourrait alors être celui qui se méfie des apparences sensibles et
des perceptions.
Mais si on comprend “le monde” comme synonyme pour la
société, le penseur, c’est celui qui « dit non » aux opinions communes,
celles qui sont transmises par le milieu social où l'individu évolue.
c’est
donc celui qui s’oppose à la “ doxa”, la foule.
Mais la suite du texte nous
permet de déduire que Alain parle bien de ce qui est susceptible d'être perçu
par les sens : « Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses
brouillards, ses chocs détournés… " En effet, Alain entend ici le monde des
apparences.
Le terme suivant “au tyran” fait référence à la politique.
En
effet, par “dire non” aux “tyrans”, nous pouvons penser aux penseurs, aux
intellectuels et aux écrivains engagés qui s’opposent aux injustices.
Par cela,
on entend ici qu’ils osent “dire non”, et osent aller à l’encontre des
injustices, et forgent cette opposition à travers la pensée, la réflexion, au
lieu d'être d’accord.
C'est ainsi que des auteurs comme Victor Hugo ont pris
la plume pour dénoncer des injustices telle que la misère et pour prendre la
défense des opprimés, le parti des gens du peuple qui souffrent des
mauvaises conditions de vie.
Par ailleurs, Alain montre que ce combat, “dire
non”, prend aussi une religieuse, en évoquant le “prêcheur”, celui qui
prétend parler au nom de Dieu.
Cela peut d’ailleurs faire penser à des figures
de philosophes athées tels que Nietzsche , philosophe allemand et critique
virulent de la religion et défenseur de l'athéisme qui a développé des idées
sur la volonté de puissance, la mort de Dieu et la création de nouvelles
valeurs.
Bien que cela soit convaincant, Alain interrompt cette explication en disant
que ce n’est pas à cela qu’il faut dire non, que cela n’est “que l’apparence”.
Par “cela n’est que l’apparence”, on entend ici que penser ne signifie pas
“dire non” au monde extérieur, aux opinions politiques et aux croyances
religieuses.
En effet, Alain justifie que “penser, c’est dire non” signifie que
“c’est à elle-même que la pensée dit non”.
Ainsi, selon Alain, penser c’est
aller à l’encontre de soi-même, de ses propres convictions, réfuter ce que
l’on sait et ce en quoi nous croyons , penser c’est donc “rompre l’heureux
acquiescement”.
Le choix de l’adjectif “heureux” souligne à nouveau le
caractère passif de l'acquiescement contre celui du désaccord qui se révèle
ici une pensée active, de quelqu'un qui est confronté à des idées, des valeurs
ou des choix contradictoires et qui ressent une tension, une division
intérieure.
C’est ainsi que nous comprenons du texte d’Alain que penser, c’est réfléchir,
et donc effectuer un retour sur soi-même.
En effet, penser signifie « penser
ses propres pensées ».
On entend par cette phrase que penser n’est pas
simplement savoir quelque chose et y croire, mais plutôt se forger un avis,
une idée propre à soi sur un sujet, d'où le caractère double de la....
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