Phèdre, Jean Racine, Acte II scène 5 : Vers 634 - 711 (commentaire)
Publié le 15/05/2020
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Phèdre, Jean Racine, Acte II scène 5 : Vers 634 - 711 (commentaire)
Au VIIIème siècle, l'Eglise occupe une place très importante dans la société et impose un catholicisme trèsrigoureux.
Le jansénisme, courant chrétien, affirme que l'Homme est faible, agité par des passions et ne peut êtresecouru que par la grâce de Dieu.
Cette morale sévère se reflète dans la pièce de Jean Racine, Phèdre et plusparticulièrement dans la tirade de l'héroïne, acte II scène 5.
En effet, Phèdre se croyant veuve, avoue son amourdémesuré et incontrôlable à Hippolyte, son beau-fils.
Malgré une passion violente, responsable d'effetsphysiologiques, le personnage touché par la fatalité reste digne de son statut social.
L'amour de Phèdre pour Hippolyte est source de violence, tout d'abord de décrépitude physique et morale.
En effet,Phèdre se trouve dans un état de forte souffrance intérieure comme le montre les interjections « ah ! cruel ! […]entendu ! ».
Le rythme irrégulier des vers 670 (1/2/6) et 684 (6/2/4) appuie cette idée de tourmente intérieurequ'elle ne peut cacher dans son discours.
L'expression « je t'aime » qui encadre le vers 673 reflète symboliquementla situation bloquée et étouffante : Phèdre est prisonnière de son amour et ne peut rien y faire.
Sa passion esttellement intense qu'elle la conduit à la folie, on relève notamment le champ lexical du dérangement mental : «fureur » « fol amour…trouble ma raison » qui souligne la profondeur de l'émoi ; la passion l'emporte sur la raison.
Cetamour impossible provoque également des effets physiques.
Effectivement, sa flamme intérieure la détruitcomplètement au vers 690 « j'ai langui, j'ai séché dans les feux, dans les larmes ».
De plus, le rythme emphatique dece vers marque son désespoir, elle se trouve dans une situation inextricable comme l'attestent la gradation « langui– séché » et l'oxymore « feux- larmes ».
L'idée de la décadence physique et morale atteint son paroxysme à la finde la tirade lorsque Phèdre personnalise son cœur « impatient » « je le sens qui s'avance » : elle est déjà sans vie, ilne reste plus qu'à le concrétiser.
Ainsi ce passage nous montre les ravages d'une passion obsessionnelledestructrice.Aussi, Phèdre éprouve des sentiments violents.
D'emblée, la démesure de la passion transparaît dans la tirade auxvers 670/671 par les adverbes d'intensité « trop entendu » « assez ».
Elle utilise une multitude de tournuresexclamatives qui notent son profond désespoir.
L'allitération en dentales [d] et [t] « t'en ai dit…te tirer d'erreur »témoigne de la brutalité du propos.
Ceci est également appuyé par le rythme disloqué du vers 707 « frappe » et parl'emploi de l'impératif sans complément.
Phèdre éprouve des sentiments extrêmes et contradictoires (« haine »/ «amour ») qui ne font que s'accroître devant l'absence de réaction d'Hippolyte.
D'ailleurs, celui-ci ne la regarde pascomme l'illustre la tournure répétitive « tes yeux… tes yeux », alors Phèdre fait des suppositions « ou…ou…ou » faceau silence de son beau-fils.
Désespérée, cette dernière le supplie de réagir en utilisant des termes relatant l'instant« il suffit – un moment » mais Hippolyte reste distant et indifférent.
Elle l'engage alors à la tuer : « voilà mon cœur :c'est ici », et grâce aux déictiques et au présent d'énonciation, on peut aisément visualiser ses gestes.
Poussée àbout par cette interpellation restée vaine, Phèdre lui prend son épée vers 710/711 « prête-moi ton épée…donne »pour en finir.
Ce geste symbolique dévirilise Hippolyte qui, désormais, ne peut plus rien changer à la situation etexprime la seule solution qui reste à Phèdre pour se délivrer de cet amour : la mort.
Phèdre est donc rongée par sa passion qui l'emporte sur la raison, mais malgré cela, elle reste digne de son statutsociale, garde sa noblesse.
Dans un second temps, Phèdre fait preuve d'une certaine grandeur, notamment par la distance lucide qu'elle adoptepar rapport à elle-même, dans un souci d'objectivité.
En effet, dès le vers 672, elle dresse un bilan de la situationcomme l‘introduisent l'interjection « Eh bien ! » et la conjonction de coordination « donc » ; ainsi elle prend du recul.Ce détachement est confirmé par le passage à la troisième personne du vers 672 où elle se désigne par « Phèdre »et par l'emplacement de ce nom à la césure.
Nous retrouvons le même procédé d'éloignement au vers 702 « laveuve de Thésée ose aimer Hippolyte » : elle prend de la distance en regardant sa faute en face.
Aux vers 693/694notamment, elle insiste sur ce qui fait son déshonneur par la répétition avec le déterminant démonstratif « cetaveu… cet aveu ».
Par ailleurs, Phèdre explique ses tentatives de lutter avec le complément circonstanciel de but :« pour mieux te résister » qui dévoile son objectif : ne pas succomber.
Elle exprime ce qui a guidé ses actions enemployant des verbes de volonté au passé composé « j'ai voulu » « j'ai recherché ».
On remarque notamment lagradation « peu de t'avoir fui…t'ai chassé ».
Phèdre assume d'abord seule son mal, par la fuite, puis réagit enchassant l'innocent.
Elle a également tenté d'utiliser la colère comme bouclier comme le montre le vocabulairepéjoratif « odieuse » « inhumaine » « haine », mais ces tentatives furent des « inutiles soins », la passion étant laplus forte.
Ainsi, Phèdre analyse ses actions et sa passion avec clairvoyance, et affiche sa volonté de lutter.Par ailleurs, des valeurs nobles habitent Phèdre.
En effet, l'héroïne reconnaît la nature criminelle et pécheresse deson amour « ne pense pas que je m'approuve moi-même » et avoue tout de suite ses sentiments v 673 « j'aime ».Elle a sa faute en horreur et condamne son comportement avec un vocabulaire du jugement « lâche complaisance »« si honteux » qui illustre cette auto-condamnation.
Les adjectifs « indignes » et « trop vil » reprennent cettecertitude qu'elle commet une faute morale impardonnable.
De plus, le vocabulaire de l'aversion « je m'abhorre…tu medétestes » affiche un double mépris.
La locution adverbiale d'intensité « encor plus » exprime tout le dégoût que luiinspirent ses sentiments passionnels.
Et devant l'indifférence et le mépris d'Hippolyte face à ses aveux, Phèdrel'incite à se venger.
Puisqu'elle est dans le péché, elle appelle à la vengeance aux vers 699 et 701 « venge toi […]punis-moi… délivre l'univers » sous forme d'ordre en utilisant des impératifs.
Pour susciter une réaction de son beau-fils toujours impassible et insensible, Phèdre tente de le manipuler en usant d'un registre qui lui est familier : elleemploie une métaphore guerrière aux vers 700/701 « héros…délivre l'univers…monstre » afin de parvenir à ses fins..
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