Personnalité morale : théorie de la réalité / théorie de la fiction
Publié le 06/03/2024
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«
Personnalité morale : théorie de la réalité / théorie de la fiction
INTRODUCTION : Une personne morale est un sujet de droit autre qu’un être humain.
Ici le sujet est un « groupement doté, sous certaines conditions, d’une personnalité
juridique plus ou moins complète ».
(CORNU)
Le groupement est considéré comme ayant une personnalité juridique distincte de celles
des membres qui le composent mais à la différence des personnes physiques pour
lesquelles la capacité de jouissance est la règle l’aptitude des groupements personnifiés à
jouir de droits est encadrée par le principe de spécialités des personnes morales.
En effet,
il ne doit accomplir que les actes juridiques correspondant à son objet cependant il est vrai
que l’objet peut être défini de manière large ou être modifié.
La summa divisio en la matière repose sur la distinction personne morale de droit
public/personne morale de droit privé Nous n’envisagerons qu’ici brièvement les
personnes morales publiques en disant qu’elles sont investies d’une mission d’intérêt
général et disposent de prérogatives de puissance publique.
Pour être complet il faut
évoquer l’existence de personne morale de droit mixte telles les établissements publics
industriels et commerciaux (EPIC ; gestion commerciale et compétence des tribunaux de
commerce) ou les ordres professionnels qui sont organiquement des personnes morales de
droit privé mais qui sont investis de prérogatives de puissance publique.
Malgré cela il y a d’autres groupements et d’entités qui foisonnent dans notre société : la
communauté de biens entre époux, la famille, l’entreprise en tant que telle c’est à dire en
tant qu’elle repose sur la coopération du capital et du travail ; aussi pouvons nous
constater l’apparition de structures nouvelles, -momentanées ou permanentes-,
interentreprises.
L’exemple des groupes de sociétés en est l’une des principales
illustrations.
Nous pouvons donc nous apercevoir qu’il n’y a pas d’approche globale de la notion de
personnalité morale.
Quelle est la nature de la personnalité morale ?
Cette question suscita une des plus belles controverses (de1850 à 1920 environ) que le
droit ait connues ; car était en cause des questions fondamentales sur les notions de
personnes, de patrimoine, de volonté, du rôle de l’Etat (la question des congrégations
religieuses -séparation Eglise/Etat- ; avec la théorie de la fiction le législateur peut refuser
la personnalité aux groupements qu’il ne désire pas reconnaître).
Initialement le code civil ignorait la personnalité morale et ce n’est que par une loi du 4
janv.1978 avec notamment l’article 1842 que la notion y est apparue.
Mais on ne trouve
énoncée dans la loi aucune théorie générale de la personnalité morale alors que de telles
dispositions existent dans les législations allemandes et suisses.
De fait, cette théorie existe, résultat d’une systématisation doctrinale et jurisprudentielle :
la théorie de la personnalité morale est écrite non dans la loi mais dans les ouvrages de
doctrine et les arrêts de jurisprudence.
Nous verrons donc les solutions proposées par le droit positif mais auparavant seront
examinées les différentes théories qui ont alimenté la controverse passée.
I.
LA CONTROVERSE DOCTRINALE
1
La question de la volonté des PM était au centre de la controverse eu égard aux
répercussions du débat sur les notions de sujet de droit et de droit subjectif.
S’interroger sur
la personnalité morale mène à expliquer comment des groupements juridiquement
autonomes de leurs membres se voient attribuer des droits propres.
Nous verrons ensuite
que l’approche nouvelle de la notion de droits subjectifs proposée par Ihering fut une étape
décisive.
1.
Théories de la PM fondées sur la volonté
Il est question ici de la Willenstheorie développée par Savigny.
Le raisonnement est le
suivant : comme le droit subjectif est un pouvoir de volonté ; le seul sujet de droit possible
est l’individu.
A partir de cette hypothèse , on aboutit à trois grands systèmes relatifs à la
nature des personnes morales.
2.
La théorie de la fiction légale (théorie dite classique)
Cette théorie est mise en forme par Savigny et sera notamment adoptée dans ses grandes
lignes par Aubry et Rau.
Le système repose sur une coïncidence entre personnalité
humaine et personnalité juridique
« Tout droit est la sanction de la liberté morale inhérente à chaque homme.
Aussi, l’idée
primitive de personne ou sujet du droit se confond avec l’idée de l’homme, et l’identité
primitive de ces deux idées peut se formuler en ces termes : chaque individu, et l’individu
seulement à la capacité du droit » Savigny
Mais il reconnaît que le droit positif peut élargir la catégorie des sujets de droit au-delà
des personnes naturelles en créant artificiellement une personne juridique : « transporter
la capacité du droit hors de l’individu » Savigny
Ici naît la personnalité morale.
Quant à la mise en œuvre des droits ainsi dévolus à cette
être artificiel qui n’a pas de volonté propre ; Savigny fait appelle à un « remède
artificiel » : la représentation.
En effet, dans les statuts seront désignés des personnes
physiques qui voudront pour elle ; autrement dit qui lui fourniront une volonté.
En résumé pour Savigny les personnes morales ont bien une volonté mais une volonté
artificielle (par opposition à une volonté naturelle qui existerait dans le groupe à titre de
caractère propre) attribuée fictivement à la collectivité grâce à la représentation.
La
personne morale serait un véritable incapable .La volonté ne se trouve donc pas au
fondement de la personnalité morale elle n’est utile qu’à résoudre le problème induit par
la reconnaissance de sujets de droit fictif.
Une autre conséquence de ce système est que la fiction est nécessairement l’œuvre de
l’Etat car attribuer la personnalité juridique à une collectivité est un fait extraordinaire
Mais si l’Etat est l’auteur de cette personnification comment expliquer qu’il soit luimême une personne morale…
3.
Les théories négatrices de la personnalité morale
Le postulat des auteurs de cette théorie est le même que celui des tenants de la fiction.
Sous l’influence de la Willenstheorie ils affirment que le sujet de droit a nécessairement
une volonté ainsi ils ne reconnaissent pas une volonté collective issue du groupement luimême distincte des volontés individuelles des membres du groupement.
Mais eux vont
rejeter la notion de personne morale en ce qu’elle attribue des droits à une personne
distincte des individus associés.
Les seuls sujets de droit étant les personnes physiques ;
les prétendues personnes morales ne seraient pas les sujets même artificiels des droits qui
leur sont indûment attribués.
Ils ramènent les droits du groupe à ceux de ces membres
individuels.
Pour eux il ne s’agirait que de conséquences patrimoniales que veulent les
membres du groupement.
2
On retrouve ici Planiol et sa théorie du patrimoine collectif, pour lui est propriétaire des
biens apparemment appropriés par la personne morale, non le groupement, mais
l’ensemble de ses membres : « L’idée de personnalité fictive est une conception simple,
mais superficielle, qui cache aux yeux la persistance jusqu’à nos jours de la propriété
collective, à côté de la propriété individuelle.
On s’imagine à tort que les sociétés
modernes n’ont plus qu’une seule forme de propriété , celle que tout le monde connaît, la
propriété d’un champ ou d’une maison appartenant à un particulier… ; sous le nom de
personnes civiles, il faut donc entendre l’existence de biens collectifs à l’état de masses
distinctes, soustraites au régime de la propriété individuelle.
Par conséquent, les
prétendues personnes n ‘en sont pas : ce sont des choses.
»
Cependant à la différence de l’indivision aucun de ses membres n’a de droit individuel sur
ces biens mais tous ont un droit global et collectif.
Cette analyse est critiquable car elle ne rend pas compte de l’aspect extrapatrimonial de la
PM qui peut ester en justice, avoir un nom, une nationalité, un honneur.
Ensuite il ne
s’agit que d’une vision économique ; elle n’explique pas les associations désintéressées ni
les PM de droit public qui ne se résument pas en un domaine public.
Enfin elle donne une
vision inexacte de l’appropriation que réalise la personne morale.
M.
Malaurie nous donne
cet exemple : ainsi il est faux de dire que chaque Français a une fraction de la propriété du
Louvre, propriété nationale.
En réalité ces biens appartiennent à l’Etat , personne morale,
dont il est le membre ; la personne morale existe : elle est un écran.
A côté de la théorie du patrimoine collectif on retrouve la théorie du patrimoine
d’affectation de Saleilles.
Elle consiste à dire qu’il est inutile de lier systématiquement
l’existence d’un patrimoine à une personne.
Pour les tenants de cette analyse la personne
morale serait un patrimoine sans sujet, une masse de biens affectée à certaines fins
(fondations, EURL).
Cette explication ne prend pas en compte le fait que des personne
morale puissent acquérir des biens au-delà de ce qui est nécessaire pour accomplir leur but
ni que des personnes morales ne peuvent pas avoir de biens.
4.
L’affirmation de la volonté collective
Montrer la réalité des personnes morales en conservant le postulat de la Willenstheorie
suppose de prouver que le groupe est capable, de lui-même, de produire une volonté
distincte de celle de ses membres.
Contrairement....
»
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