Percy Bysshe Shelley La carrière de Shelley pâtit de la complexité de sa vie privée, dirigée par sesamitiés et ses amours.
Publié le 23/05/2020
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SHELLEY Percy Bysshe. Poète anglais. Né le 4 août 1792 à Field Place, Horsham, dans le comté de Sussex; mort en mer, au large de Viareggio (Italie) le 18 juillet 1822. Lorsque, le 4 août 1792, naquit à Field Place, celui qui allait se nommer Percy Bysshe Selley, rien n’eût permis de prévoir le destin hors série qui l’attendait. La « gens » dans laquelle il venait de faire son apparition était d’excellente noblesse terrienne, riche et bien établie. Le père, en particulier, sir Timothy, membre du Parlement, s’appliquait à faire régner autour de lui ces maximes d’or qui non seulement sont destinées à résoudre les problèmes moraux des individus mais aussi leurs hésitations politiques et leurs incertitudes religieuses. Pour L’enfant, donc, tout paraissait tracé d’avance. Sa fortune, son rang social, étaient de nature à lui assurer un avenir digne et aisé, important même avec un peu de chance, respectable en tout cas. La voie était droite : Eton, d’abord, puis Oxford. Malheureusement pour sir Timothy et sa famille, il manquait a ce plan l’essentiel, c’est-à-dire l’adhésion de l’intéressé. Dès le début, le jeune Shelley refusa de se conformer aux routines de la tradition. A Eton, celui que ses condisciples surnommaient le « fou » ou, en raison de la vivacité de ses mouvements, le « serpent », se passionna pour la chimie et l’électricité, — il ne craignait pas d’expérimenter, fût-ce dangereusement — et alla jusqu’à préférer aux sports la lecture et l’écriture. A Oxford, où il entra en 1810, il continua de s’adonner aux sciences, à la littérature et à la philosophie sans plus se soucier du programme que de l’opinion d’autrui. Un an plus tard, Shelley payait de son expulsion de l’université son beau mépris pour les normes. Il était chassé d’Oxford non point tellement (le détail a sa valeur) pour avoir rédigé La Nécessité de l'athéisme que pour n’avoir point consenti à en nier la paternité. Ainsi déjà s’affirmait l’inébranlable intransigeance de Shelley en matière d’idéologie. D’où peut-être cette hostilité qui, de son vivant, lui fit si souvent escorte. A aucun moment, Shelley n’accepta de dissimuler sa pensée ou de modifier son attitude. Intégrité de caractère qu’on lui fit expier durement tant par le silence qui s’organisa autour de son œuvre que par la décision de justice qui lui retira la garde des enfants de son premier mariage, l’incitant à quitter définitivement l’Angleterre, par crainte de se voir enlever aussi les enfants de sa seconde femme. Au mois d’août de l’année 1811, Shelley avait en effet déçu une nouvelle fois sa famille en ajoutant à la honte de l’expulsion le scandale de ses noces avec la jeune Harriet Westbrook (seize ans), épousée en Ecosse pour la « soustraire à la tyrannie » paternelle. Impulsion tragique, qui ne devait cesser de peser sur la vie, puis sur la réputation de Shelley. Qui, de toute manière, a fait aussitôt de lui un errant. Plus de maison, plus d’attaches. Les époux juvéniles se transportent d’Irlande dans le Pays de Galles, de Londres dans la région des Lacs. Shelley n’est pas né pour l’immobilité. Ses affinités avec l’oiseau, avec le vent, avec l’eau, qu’il exprimera plus tard avec une telle perfection musicale, modèlent son existence. L’œuvre aussi prend forme. En 1813, il achève La Reine Mab, long poème « philosophique » et « furieusement anticlérical », où il reprend ses diatribes contre la monarchie, les lois et le pharisaïsme. La naissance d’une fille, lanthe, son remariage avec Harriet (il l’épouse cette fois selon le rite anglican) ne l’empêchent pas en 1814 de s’éprendre de la fille de l'écrivain William Godwin, Mary, et de fuir avec elle sur le continent. Harriet attend un second enfant, Charles, qui naîtra en novembre, mais il n’est pas dans le tempérament de Shelley de se considérer comme lié par ses engagements. Les prétextes ne lui manquent point : son mariage a été une erreur, l’attrait physique d’Harriet (si jamais elle en a eu) s’est évanoui, sa vertu est sans doute fragile, sa compagnie insupportable. Shelley n est d’ailleurs point, si 1 on peut dire, sans tolérance puisque, de Suisse, il écrit à Harriet pour lui offrir de venir les rejoindre, Mary et lui; proposition que l’infortunée déclinera au profit d’une solution infiniment plus radicale en se noyant en novembre 1816 — suicide qui va permettre à Shelley de convoler avec Mary. Jusqu’en 1818, date du départ sans retour de Shelley pour l’Italie, le poète et sa nouvelle famille, en proie aux difficultés d’argent, se déplacent sans cesse à travers l’Angleterre et font, sur le continent, deux voyages en compagnie de Claire Clairmont, la demi-sœur de Mary. Deux enfants : William (janvier 1816) et Clara (septembre 1818) sont nés. L’œuvre a vraiment pris le départ avec Alastor et La Révolte de l'Islam . L’intelligence libératrice de Shelley, profondément nourrie des idées de la Révolution française et, de surcroît, marquée par le système doctrinal de William Godwin, a abouti à un credo composite où l’idéalisme social, énoncé avec une sorte de rigueur mathématique, se mêle à un rêve fervent de panthéisme et d’espoir. Shelley est convaincu de sa mission de réformateur et de mage. Ses doutes, combien fréquents, combien cruels, demeurent d’ordre affectif. Sur le plan de l’entendement, il n’évolue que dans les détails. Le message, dans son essence, reste intact, fait de platonisme, de christianisme décanté, et d’amour cosmique. Le poète se veut penseur, comme Byron se voudra, jusqu’à la mort, le champion d’une cause noble. Ce n’est pas par accident que les deux hommes se lieront, dès 1816. Leurs destins sont en fait associés. Une même révolte les anime, les soulève contre le conformisme et le philistinisme, les oriente vers un subjectivisme ostentatoire et par instants candide. A quoi il faut, dans le domaine de l’humain, ajouter le triste épisode de la petite Allegra, fille de Byron et de Claire Clairmont, née en 1817 et qui mourra en 1822. 1818 est l’année où Shelley, pour toujours, va quitter l’Angleterre. Outre les craintes que nous avons indiquées, consécutives à la décision prise en justice de lui retirer la garde des enfants de son premier mariage en raison de « ses écrits séditieux et de sa conduite immorale » le coût moins élevé de la vie en Italie a été déterminant. Shelley ne dispose que d’un revenu de mille livres par an, sur lesquelles il lui faut pourvoir aux besoins des siens, et prélever de quoi faire face aux emprunts obstinés de son beau-père, William Godwin. Shelley part donc, et les quatre années italiennes qui lui restent à vivre vont être merveilleusement fécondes. Elles vont parfaire une œuvre qui, méconnue pour ne pas dire inconnue avant 1822, sera appelée à lui donner, après un bref purgatoire, une éternité de gloire mondiale. Quelque dénigrement que l’on puisse encore tenter, de-ci et de-là, vis-à-vis de l’homme privé et de l’iconoclaste, l’éloge est à peu près unanime aujourd’hui dès qu’il s’agit du musicien en vers. Il est tenu par l’immense majorité des critiques pour le plus doué des romantiques anglais, le parangon des lyriques, le « roseau à travers lequel tout se mue en mélodie ». Ces quatre années, cependant, ne laissent à Shelley aucune tranquillité d’esprit. Sa famille et lui sont ballotés d’une ville à l’autre : de Pise à Rome, de Rome à Naples, de Naples à Livourne, puis (et j’en passe) de Lucques à Florence, de Ravenne à la Spezia, et enfin à Lerici le point final. Les tourments sentimentaux accompagnent les ennuis matériels. L’amitié avec Byron connaît des nuages; l'union avec Mary n’est pas non plus toujours heureuse. La réputation de Mary, à vrai dire, n’est pas au-dessus de tout soupçon, et les flammes (pures, mais brûlantes) de Shelley pour telle ou telle Muse — celle en particulier qui l’embrase en faveur d’Emilia Viviani — ne contribuent guère à assurer la bonne entente du ménage, Les calomnies s’accumulent, noircissant des existences déjà lourdement assombries, et l’œuvre n’échappe pas plus que l’homme à la malveillance des contemporains. La santé de Shelley est loin d’être bonne. On l’a cru, comme Keats, poitrinaire (une raison de plus à son exil) et la chaleur des étés italiens ne réussit ni à Mary ni à lui. Ni, encore moins, aux enfants : Clara meurt en septembre 1818; William en juin 1819. Le seul survivant est Percy, né en novembre 1819. Finalement, Shelley, lui-même, regagnant le 8 juillet 1822 Lerici à bord de son petit bateau — baptisé le « Don Juan » par Byron — fait naufrage au large de Viareggio. Son corps sera retrouvé sur la plage le 18 juillet, et y sera brûlé le 10 août en présence de Byron. Les cendres, après une assez longue attente, seront confiées au cimetière protestant de Rome. C’est ainsi que l’eau et le feu, deux éléments entre tous chantés par le poète, auront anéanti et volatilisé les signes terrestres d’une courte vie, si peu en accord avec ce que le milieu et l’hérédité semblaient devoir promettre au fils du baronnet sir Timothy. Mais, avec la fin prématurée de l’homme, l’œuvre va connaître un essor plus puissant parce que sans doute fondé sur le pathétique. Les poèmes et les drames des dernières années — Julien et Maddalo, Les Cenci, Prométhée délivré, Adonaïs, Epipsychidion, Ode au vent d’ouest, Le Nuage, A une alouette, La Sensitive , Le Triomphe de la vie, Hellas — sont le fruit d’une synthèse où la méditation personnelle fait siennes les influences de la Révolution, de Godwin et de Rousseau, de Dante, des Grecs et des Êlizabéthains pour en tirer des accents nouveaux, d’un rythme, d’un pouvoir d’incantation, incomparables. Ce n’est point que les idées atteignent facilement à la vigueur ou surtout à la clarté. Elles se perdent au contraire souvent dans un halo semi-transparent, une brume d’éloquence, une espèce de pentecôte extatique et une défaillance de tout l’être, qu’attirent d’ineffables vertiges. Mais si le monde de symboles où se meut spontanément Shelley reste inintelligible à ceux qui n’entendent point, comme lui, le murmure antiphonal des espaces interstellaires et pour qui la masse de la planète Terre ne saurait, en aucune circonstance, être « une goutte de rosée qui se meurt », le magicien du vers anglais s’affirme inégalé. Matthew Arnold, il est vrai, a pu dire, dans une formule demeurée célèbre, que Shelley, était « un ange inefficace battant de ses ailes lumineuses le vide ». Il n’en reste pas moins que, par sa croisade contre les monstres et son inlassable tentative de délivrance du mal par le pouvoir de la musique, l’auteur de l'Ode au vent d’Ouest survit de nos jours sous les traits d’un Orphée de la littérature anglaise.
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