Paul GRANET, Changer la ville, 1975. « La grande ville » est-elle encore « pôle d'attraction »? « Joui[t-elle] » encore « d'un prestige irréfutable »?
Publié le 30/06/2020
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« Jusqu'en 1940 - puis à nouveau, entre 1960 et 1970 -, on vient habiter la ville pour être mieux logé; ce fait est indéniable. Les déplorables conditions d'hygiène qui caractérisaient les villes du xixe siècle se sont considérablement améliorées. Pendant la première moitié du siècle suivant, l'eau courante, l'électricité, les réseaux d'assainissement ont été l'apanage des villes. Moyens de chauffage modernes, cuisines fonctionnelles, salles de bains ont constitué les caractéristiques de la deuxième vague de l'habitat urbain. La crise du logement, sans être complètement dénouée, a perdu de son acuité : c'est ce qui a poussé les jeunes couples à quitter le village, dès la première année de leur mariage, pour venir s'installer en ville. Rien de tout cela n'est encore vrai aujourd'hui : le confort a cessé d'être un pôle d'attraction urbain. Nos villages se modernisent, et leur habitat se rénove très rapidement. Dans quelques années, la ruralité sera bien équipée en salles d'eau, moyens de chauffage, mobilier, etc. Qui plus est, le logement rural disposera de trois atouts dont la ville est privée : le silence, l'espace et l'artisanat local, qui permet - à peu de frais - de personnaliser son habitat. Dans dix ans, on sera mieux logé dans les communes rurales que dans les villes modernes. Le mouvement vers les résidences secondaires exprime, en partie, cette évolution. Les petites villes ont longtemps passé pour être ennuyeuses surtout aux yeux des jeunes. Les théâtres, les cinémas, les discothèques, les centres sportifs ou les bibliothèques en étaient également absents. Sur ce point, la grande ville jouissait d'un prestige irréfutable. Le développement des media a largement modifié cette situation. La multiplication des chaînes de télévision et des téléviseurs dans les foyers, le succès de la presse hebdomadaire, la diffusion massive du disque en témoignent. L'effort de décentralisation théâtrale, malgré les nombreuses difficultés qu'il suscite, devrait pouvoir rayonner au-delà des ' grandes villes. La ville a toujours possédé une fonction ludique. Les fêtes religieuses, les rassemblements politiques, les fêtes foraines scandaient la'vie urbaine et la transformaient, investissant la ville pour en faire un véritable espace scénique. Sous son apparence rationnelle, la ville se lestait de tout un poids d'images qui ne demandaient qu'à resurgir. Aujourd'hui, cet aspect ludique a pratiquement disparu. Les contraintes administratives et policières (interdiction de rassemblements, de manifestations, de monômes, contrôles divers) ont étouffé progressivement le goût de la fête, en l'empêchant de se manifester. D'autre part, la radio et la télévision, en pénétrant dans la plupart des foyers, satisfont ce goût au moyen de substituts : à travers un speaker ou un meneur de jeu populaire, le téléspecta-teur communique indirectement avec des milliers d'individus, même s'il ne les voit pas. La fête est désamorcée, elle n'est plus une libération, mais une absorption passive de messages élaborés par d'autres. Comment retrouver, dans nos villes, le sens de la fête. Car il s'agit bien d'un sens, d'une attirance spontanée, impossible à programmer de l'extérieur. La fête rassemble. L'absence, dans notre société, de structures communautaires, l'isolement de chacun, le poids de la morale bourgeoise et l'existence d'une violence latente constituent autant d'obstacles à la fête, parce qu'ils divisent au lieu d'unir. Les quelques fêtes locales qui se perpétuent dans nos communes rurales ont perdu peu à peu leur sens. Dans ce domaine, l'urbain et le rural se retrouvent à égalité. D'ailleurs, le concept de vie collective, par son indétermination, introduit les pires confusions. D'une part - nous l'avons vu - la sociabilité ne saurait être confondue avec la fraternité - toujours un peu factice - de la foule. Le citadin aspire autant à se retrouver, à se ressaisir qu'à communiquer. L'appartenance à une communauté est mieux ressentie dans la petite ville que dans la grande ville : la vraie vie collective est d'abord faite d'adhésion. Ensuite, la vie collective n'est plus synonyme de densification. Pour se développer, elle présente deux exigences : la disponibilité (puisque la vie collective s'installe dans les moments laissés libres par la vie professionnelle), et la possibilité de se déplacer rapidement. La ville ne remplit pas ces conditions. Le rythme de la vie urbaine, la fatigue qu'elle engendre, le manque de temps et les,problèmes de transports font perdre le désir de se réunir, le goût de la vie collective. Par contre, dans les petites villes et les communes rurales, on se réunit encore fréquemment (dîners d'amis, banquets d'associations, etc.). Enfin, rappelons-le, l'anonymat de la grande ville, et surtout des grands ensembles constitue un obstacle décisif à la sociabilité, dont il ne fournit, au mieux, qu'une caricature. Si la ville ne facilite ni la modernisation du logement, ni les loisirs, ni la vie collective, peut-être possède-t-elle une âme; ou, si l'on préfère, une qualité esthétique, où viennent se fondre et se révéler une série d'impressions - coutumes, style architectural, climat, population, etc. Saint-Paul-de-Vence, Gordes, Bonnieux, Les Baux... nombreux sont les villes ou les villages qui renferment cette qualité. Mais les Z.U.P. ont-elles une âme? Sarcelles, Evry-Petit-Bourg. Seules les villes qui ont joué un rôle historique possèdent une âme. Ou plutôt : cette âme les possède, elle se manifeste de mille façons, à travers des signes parfois imperceptibles, indiquant qu'ici une communauté s'est forgée et maintenue. Paul GRANET, Changer la ville, 1975. ...»
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Jusqu'en
1940 -puis à nouveau, entre 1960 et 1970 -, on vient habiter
la ville pour être mieux logé; ce fait est indéniable.
Les déplorables condi
tions d'hygiène qui caractérisaient les villes du XIX' siècle se sont considé-
rablement améliorées.
Pendant la première moitié du siècle suivant, l'eau
courante, l'électricité, les réseaux d'assainissement ont été l'apanage des
villes.
Moyens de chauffage modernes, cuisines fonctionnelles, salles de
bains ont constitué les caractéristiques de la deuxième vague de l'habitat
urbain.
La crise du logement, sans être complètement dénouée, a perdu
de son acuité : c'est ce qui a poussé les jeunes couples à quitter le village,
dès la première année de leur mariage, pour venir s'installer en ville.
Rien de tout cela n'est encore vrai aujourd'hui : le confort a cessé
d'être un pôle d'attraction urbain.
Nos villages se modernisent, et leur
habitat se rénove très rapidement.
Dans quelques années, la ruralité sera
bien équipée en salles d'eau, moyens de chauffage, mobilier, etc.
Qui plus
est, le logement rural disposera de trois atouts dont la ville est privée : le
silence, l'espace et l'artisanat local, qui permet - à peu de frais _-de
personnaliser son habitat.
Dans dix ans, on sera mieux logé dans les
communes rurales que dans les villes modernes.
Le mouvement vers les
résidences secondaires exprime, en partie, cette évolution.
Les petites villes ont longtemps passé pour être ennuyeuses surtout aux
yeux des jeunes.
Les théâtres, les cinémas, les discothèques, les centres
sportifs ou les bibliothèques en étaient également absents.
Sur ce point,
la grande ville jouissait d'un prestige irréfutable.
Le développement des media a largement modifié cette situation.
La
multiplication des chaînes de télévision et des téléviseurs dans les foyers,
le succès de la presse hebdomadaire, la diffusion massive du disque en
témoignent.
L'effort de décentralisation théâtrale, malgré les nombreuses
difficultés qu'il suscite, devrait pouvoir rayonner au-delà des � grandes
villes.
La ville a toujours possédé une fonction ludique.
Les fêtes religieuses,
les rassemblements politiques, les fêtes foraines scandaient la ·vie urbaine
et la transformaient, investissant la ville pour en faire un véritable espace
scénique.
Sous son apparence rationnelle, la ville se lestait de tout un
poids d'images qui ne demandaient qu'à resurgir.
Aujourd'hui, cet aspect
ludique a pratiquement disparu.
Les contraintes administratives et poli
cières (interdiction de rassemblements, de manifestations, de monômes,
contrôles divers) ont étouffé progressivement le goût de la fête, en l'empê
chant de se manifester.
D'autre part, la radio et la télévision, en péné
trant dans la plupart des foyers, satisfont ce goût au moyen de substi
tuts : à travers un speaker ou un meneur de jeu populaire, le téléspecta-.
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