On a souvent reproché au roman d'entretenir les rêves et illusions du lecteur. Ce reproche vous parait-il pleinement fondé ?
Publié le 09/12/2021
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Le roman se caractérise par son contenu fictionnel : il s'agit pour lui, au premier abord, de raconter une histoire inventée, parfois dans le seul but de divertir un public. On pourra donner l'exemple des romans de chevalerie, des romans d'aventure, ou encore des romans de gare. Le lecteur peut lire naïvement ces romans et voir son rapport au réel altéré par eux : c'est le cas de Madame Bovary, qui trouve le réel trop fade par comparaison avec le monde décrit dans les romans de Walter Scott, et qui échoue à reconstituer dans sa vie ce qu'elle a lu dans les romans, si bien qu'elle échoue finalement à vivre. On pourra aussi penser à l'exemple de Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir, exalté par ses lectures et s'attachant, en y échouant, à mettre dans le réel la même exaltation qu'il a trouvée dans ses livres. Le roman présenterait alors le danger de déformer le rapport que l'homme entretient avec le réel, et le reproche contenu dans le sujet se fonderait par cela. II. Le roman, interprète du réel. Cependant, le roman n'a d'autre source que le réel lui-même, il fait simplement un travail d'interprétation et d'esthétisation de ce réel - cette remarque vaut pour tout phénomène artistique, le réel étant toujours, en dernière analyse, le référent de ce phénomène, qu'on le reproduise ou que l'on s'en détache. Les courants romanesques du réalisme et du naturalisme se donnent ainsi pour but de donner à voir le réel, de mettre au jour ses mécanismes (que l'on pense par exemple à la précision chirurgicale que Zola entend donner à ses personnages et aux milieux dans lesquels ils évoluent, dans le but de dessiner un portrait fidèle de la vie sous le second empire, ce qui passe par un immense travail de documentation et d'analyse quasi-scientifique - on pourra se référer par exemple à son texte théorique, Le roman expérimental, et choisir un volume des Rougon-Macquart dans lequel ce projet apparaît nettement - Germinal, par exemple). Alors le romancier écrit toujours parce qu'il entend donner à voir le réel à travers le prisme de sa propre vision, et non pas pour détacher ses lecteurs du réel et les entraîner dans des rêves et des illusions dangereux.
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On a souvent reproché au roman d'entretenir les rêves et illusions.
Ce reproche est-il fondé ? Définition des termes du sujet Le sujet invite à prendre position sur un reproche traditionnel fait au roman : pendant longtemps en effet, au moins jusqu'au siècle desLumières – et peut-être encore de nos jours -, le roman a été considéré comme un genre littéraire mineur, une sorte de divertissementillusionniste dont la lecture aurait été sans valeur, voire dangereuse en raison du caractère fictionnel, irréel du roman : il fallait alors ypréférer la consistance rationnelle de l'essai ou la finesse esthétique de la poésie.
Au XIXème siècle, le personnage de Madame Bovaryest une incarnation des dangers du roman, au point que l'on peut désormais parler de « bovarysme » pour désigner une tendance dulecteur de romans à se perdre dans l'illusion fictionnelle, par identification avec les personnages notamment, ce qui provoquerait uneincapacité à se rapporter au monde réel – incapacité qui peut être tragique, comme en témoigne le suicide d'Emma Bovary.Si ce reproche fait au roman est répandu, il peut néanmoins sembler extrêmement réducteur quant au genre romanesque : c'est donc lefonctionnement de ce dernier qu'il va s'agir d'examiner : quels rapports celui-ci entretient-il avec le réel ? est-il uniquement un créateurd'illusions dangereuses ? Comment le lecteur doit-il se rapporter à la fiction contenue dans le roman ? Il semble en effet très caricaturald'imaginer que le roman a pour effet de détacher le lecteur du monde réel, puisque ce lecteur a conscience de lire un objet artistique et nese rapporte pas aux contenus romanesques comme il se rapporte au monde réel.
Autrement dit, c'est le problème de l' « horizond'attente » (Jauss) que nous avons à l'égard du genre romanesque qui se pose en dernière analyse : ou bien nous considéronssimplement le contenu fictionnel du roman et sa différence d'avec la réalité pour lui reprocher de ne pas être en adéquation avec cetteréalité, et, donc, d' « entretenir les rêves et les illusions », ou bien nous considérons que le roman est un genre littéraire qui se distinguepar un rapport complexe et paradoxal au réel, et que le lecteur, qui connaît la singularité de ce genre et de son fonctionnement, ne selaisse pas happer par l'illusion romanesque mais a au contraire conscience de son essence illusoire.
Reprocher au roman d'entretenir lesrêves et les illusions serait alors méconnaître la spécificité du genre romanesque dans son rapport au réel.On pourra, au fil du devoir, essayer également de distinguer plusieurs types de romans, d'une part ceux qui se caractérisent par leurteneur strictement « romanesque », au sens péjoratif du terme, et qui ne cherchent que le divertissement du spectateur sans seconsidérer comme des objets d'élaboration esthétique (romans de gare, par exemple), d'autre part ceux qui s'inscrivent dans le champ dela recherche esthétique qu'est la littérature et qui s'attachent à jouer avec leurs codes (penser par exemple aux subversions des codesromanesques que Diderot joue à mettre en place dans Jacques le Fataliste ), et avec le rapport paradoxal au réel qui caractérise le roman. Eléments pour le développement I.
Le roman, créateur de rêves et d'illusions.
Y a-t-il un danger du roman ? Dans un premier temps, on pourra se demander ce qui peut fonder le reproche au roman contenu dans le sujet.
Le roman se caractérisepar son contenu fictionnel : il s'agit pour lui, au premier abord, de raconter une histoire inventée, parfois dans le seul but de divertir unpublic.
On pourra donner l'exemple des romans de chevalerie, des romans d'aventure, ou encore des romans de gare.
Le lecteur peut lirenaïvement ces romans et voir son rapport au réel altéré par eux : c'est le cas de Madame Bovary, qui trouve le réel trop fade parcomparaison avec le monde décrit dans les romans de Walter Scott, et qui échoue à reconstituer dans sa vie ce qu'elle a lu dans lesromans, si bien qu'elle échoue finalement à vivre.
On pourra aussi penser à l'exemple de Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir , exalté par ses lectures et s'attachant, en y échouant, à mettre dans le réel la même exaltation qu'il a trouvée dans ses livres.
Le roman présenteraitalors le danger de déformer le rapport que l'homme entretient avec le réel, et le reproche contenu dans le sujet se fonderait par cela.
II.
Le roman, interprète du réel.
Cependant, le roman n'a d'autre source que le réel lui-même, il fait simplement un travail d'interprétation et d'esthétisation de ce réel –cette remarque vaut pour tout phénomène artistique, le réel étant toujours, en dernière analyse, le référent de ce phénomène, qu'on lereproduise ou que l'on s'en détache.
Les courants romanesques du réalisme et du naturalisme se donnent ainsi pour but de donner à voirle réel, de mettre au jour ses mécanismes (que l'on pense par exemple à la précision chirurgicale que Zola entend donner à sespersonnages et aux milieux dans lesquels ils évoluent, dans le but de dessiner un portrait fidèle de la vie sous le second empire, ce quipasse par un immense travail de documentation et d'analyse quasi-scientifique – on pourra se référer par exemple à son texte théorique,Le roman expérimental, et choisir un volume des Rougon-Macquart dans lequel ce projet apparaît nettement – Germinal , par exemple).
Alors le romancier écrit toujours parce qu'il entend donner à voir le réel à travers le prisme de sa propre vision, et non pas pour détacher seslecteurs du réel et les entraîner dans des rêves et des illusions dangereux.
III.
Le roman comme objet artistique ayant un rapport singulier et paradoxal avec le réel, puisqu'il se rapporte à lui par le biais de lafiction.
Cette dernière partie s'attachera à mettre en évidence la singularité du rapport au réel qui caractérise le genre romanesque : la fictioncontenue dans le roman serait en effet un dédoublement artistique du réel, qui permettrait de mettre en valeur les expériencessingulières que chacun a au réel et qui ne se constituent jamais du réel brut mais d'un travail du réel par la sensibilité de chacun.
Ladistinction entre réel et fiction serait donc extrêmement caricaturale, puisqu'il n'y aurait pas de « réel » donné en soi et universellement,mais une multitude de réels correspondant à la multitude des sensibilités humaines.
La fiction contenue dans le roman ne serait donc pasune illusion irréelle, mais l'expression d'un rapport singulier, personnel au réel qui finalement est vraiment le réel.
Proust écrivant que « lavraie vie, c'est la littérature » prend la mesure de ce rapport paradoxal qu'entretiennent roman et réel.
La fiction permet d'investir le réeld'une sensibilité personnelle, et en cela, bien loin d'entretenir les rêves et les illusions si l'on considère ces rêves et ces illusions commeles témoins d'un rapport faussé à la réalité, elle est paradoxalement révélatrice du réel.
Conclusion Reprocher au roman d'entretenir les rêves et les illusions est fondé si l'on considère le roman comme un genre cherchant à divertir lelecteur en le détournant de la réalité.
Pourtant, si l'on observe le fonctionnement du genre romanesque, il apparaît que ce genreentretient avec la réalité un rapport extrêmement étroit, puisqu'il est une vision singulière de cette réalité.
Même si cette vision peut êtreparticulièrement imaginative ou fantaisiste, elle n'est pas illusoire car elle est une interprétation du réel ; l'envisager comme une chimèredangereuse revient donc à méconnaître la spécificité du genre romanesque..
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