NON-ALIGNEMENT
Publié le 02/12/2021
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Le mouvement des pays non alignés a émergé dans les années 1950 parmi les pays en développement (PED) à la recherche d'une position hors du système des blocs. D'une revendication d'abord politique, portant sur la généralisation et l'approfondissement de la décolonisation, il prit ensuite une dimension économique, avec notamment le projet d'instauration d'un Nouvel ordre économique international (NOEI). Le mouvement s'élargit progressivement, puis se délita à la fin des années 1970. Les principales conférences du mouvement se sont tenues à Belgrade (1961), au Caire (1964), à Lusaka (1970) et à Alger (1973). Non-alignement et « régimes militants ». Le mouvement des non-alignés est fondé six ans après la conférence afro-asiatique de Bandung, lors de la conférence de Belgrade réunie en 1961 à l'initiative du Yougoslave Tito, de l'Égyptien Nasser et de l'Indien Nehru. Les rapports Est-Ouest restent fortement conflictuels. Au plan géopolitique, le tiers monde apparaît monter en puissance depuis la victoire des nationalistes vietnamiens à Dien Bien Phu (1954) et la crise de Suez (1956). La révolution cubaine est victorieuse depuis 1959, tandis que la guerre d'indépendance algérienne, engagée depuis sept ans, a enregistré de nombreux succès diplomatiques, accélérant par là même le processus des indépendances africaines. Les participants à la conférence de Belgrade sont cependant divisés sur les priorités à accorder à l'activité du mouvement : préserver la paix, comme le souhaitent Nehru et les « modérés », ou lutter d'abord et surtout contre le colonialisme, comme le réclament les représentants des régimes « militants », tels que l'Indonésien Sukarno, Nasser, le Ghanéen Nkrumah ? La définition même du non-alignement demeure confuse. Un consensus s'opère cependant autour du refus de constituer un troisième bloc. Cela écarte la possibilité d'une institutionnalisation du mouvement. Une proposition de Tito, visant l'établissement d'une collaboration économique « universelle » avec les pays sous-développés, sera à l'origine de la conférence économique du Caire, laquelle donnera ultérieurement (en 1964) naissance à la CNUCED (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement). La « crise » des années 1960. Les années qui suivent la conférence de Belgrade voient la Détente se substituer progressivement à la Guerre froide. Le processus de décolonisation se poursuit. La lutte armée est engagée dans les colonies portugaises (Angola, Guinée-Bissau, puis Mozambique). En 1963 est créée l'Organisation de l'unité africaine (OUA) qui adopte formellement le non-alignement comme principe. En Asie, le schisme sino-soviétique s'approfondit, tandis qu'en 1962, un grave conflit oppose l'Inde à la Chine. La conférence du Caire, réunie en octobre 1964, marque un net élargissement du mouvement des non-alignés, notamment en direction des États d'Afrique et d'Amérique latine. L'anticolonialisme et l'anti-impérialisme sont fortement proclamés dans les discours et les résolutions. L'aile « militante » du mouvement semble s'élargir et se renforcer. Au plan des préoccupations, l'idée de développer davantage la « solidarité économique » et la coopération progresse. Après la conférence du Caire, les activités s'estompent toutefois pendant une longue période. Durant cinq ans, aucune réunion plénière ne se tient. Cette « crise d'identité » s'explique par plusieurs facteurs. D'une part, la décolonisation est désormais en grande partie réalisée (aux exceptions notables de certains pays de l'Afrique australe, de l'Afrique portugaise...) et l'élargissement considérable du mouvement - déjà fort hétéroclite - rend son unification hypothétique. D'autre part, le bilan des « politiques de développement », dans la plupart des pays, fait apparaître échecs et situations économiques difficiles. L'assise de nombreux régimes acquise dans le processus d'indépendance s'effrite. Ici ou là, des affrontements pour le pouvoir ont lieu et les coups d'État, souvent militaires, se multiplient. Plusieurs dirigeants de premier plan du mouvement sont écartés. C'est le cas de Sukarno en Indonésie en 1965, où le changement de pouvoir s'accompagne de massacres de masse au nom de la chasse aux communistes, de Ben Bella en Algérie (en 1965 également), de Nkrumah au Ghana (en 1966). Aux coups d'État s'ajoutent d'innombrables conflits frontaliers et des confrontations entre les membres du mouvement ; sans compter les tentatives de sécessions (guerre du Biafra en 1967). Au plan international, un certain « dialogue » entre superpuissances se substitue à la Guerre froide. La collusion dans la rivalité l'emporte sur l'affrontement. Les possibilités de non-alignement effectif n'en sont pas pour autant plus grandes (partage implicite des zones d'influence, négociations entre « grands » excluant les pays du tiers monde, etc.). Des initiatives centrifuges. Cette conjoncture du milieu des années 1960 se traduit par l'apparition de forces centrifuges. Des initiatives sont lancées dont les intentions anti-impérialistes plus affirmées connaissent des fortunes diverses. C'est ainsi qu'en 1965 un projet de réunion d'une nouvelle conférence afro-asiatique, soutenu notamment par Pékin et Jakarta, est préparé. Il est finalement ajourné puis annulé. En janvier 1966, Cuba réunit à La Havane la conférence Tricontinentale, qui se propose d'apporter son soutien aux mouvements et forces révolutionnaires du tiers monde et décide de la création de l'éphémère Organisation de solidarité des peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine (OSPAAL). La conférence des pays non alignés de Lusaka, tenue en septembre 1970, traduit une profonde évolution du mouvement. Ce sont désormais les préoccupations économiques qui sont au coeur des débats. Certains dénoncent le « colonialisme technologique ». La conférence adopte une résolution sur « le non-alignement et le progrès économique » qui constitue une amorce de programme. Les espoirs, de ce point de vue, s'orientent vers la IIIe CNUCED qui s'ouvre en 1972 à Santiago du Chili. Pour un Nouvel ordre économique international. Les années 1970 vont voir se confirmer la tendance à la primauté aux revendications économiques des pays et à la restructuration des relations internationales. C'est la conférence d'Alger du mouvement non aligné (5-9 septembre 1973) qui consacre véritablement ces évolutions. Au plan international, la détente s'est accentuée entre États-Unis et URSS. Les accords de Paris de janvier 1973 devant mettre fin à la guerre du Vietnam laissent augurer d'une issue prochaine au conflit indochinois. La poursuite de la construction européenne, la montée en puissance de l'économie japonaise dessinent par ailleurs un nouveau contexte pour les relations entre grandes puissances. Les résolutions de la conférence d'Alger sont présentées comme un projet de Nouvel ordre économique international (NOEI). Elles stigmatisent le pillage des ressources naturelles et proclament le droit des États à exercer leur totale souveraineté sur celles-ci, y compris par voie de nationalisation. La déclaration de la conférence donne par ailleurs en exemple le regroupement des pays producteurs de pétrole réalisé dans le cadre de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et affirme la nécessité de réformer le SMI (Système monétaire international), de modifier les règles du commerce international et de donner les moyens aux pays dominés d'accéder à la technologie des pays industrialisés. Ces différentes orientations ont reçu un très large appui au sein du mouvement. Elles ont, de l'extérieur, le plus souvent été perçues comme une volonté de rupture, car elles nécessitaient, pour être satisfaites, de profondes transformations des relations entre pays du Nord et du Sud. Cependant, cette « rupture » peut aussi s'analyser comme la volonté de négocier le renouvellement des formes d'intégration au système économique mondial. La fin politique du tiers monde. Les États-Unis, s'appuyant sur les pétromonarchies du Golfe, parviennent à fissurer le front de l'OPEP et l'action concertée des pays du Nord contribue à réduire les rentes qui avaient résulté de l'augmentation des prix des matières premières. L'Union soviétique semble à l'offensive dans le monde et la seconde guerre froide, qui exacerbe les conflits dans de nombreuses régions du monde (on parle alors de guerres « par procuration » (proxy wars) : Amérique centrale, Afrique australe, Moyen-Orient, etc.), renforce la logique des blocs dans l'hémisphère Sud. Deux symboles forts illustrent en 1979-1980 la fin politique du tiers monde. D'une part, l'Union soviétique, qui jusqu'alors se prétendait l'alliée dudit tiers monde, envahit le 27 décembre 1979 l'un des pays fondateurs du mouvement des non-alignés, l'Afghanistan. Un an plus tôt, un pays communiste du tiers monde, le Vietnam, avait envahi un autre pays communiste du tiers monde, le Cambodge où les Khmers rouges perpétraient depuis 1975 l'un des grands génocides du siècle. En 1980 est par ailleurs déclenchée la première guerre du Golfe, laquelle oppose deux pays musulmans du tiers monde : l'Iran, où les partisans de l'imam Khomeyni viennent de prendre le pouvoir, et l'Irak de Saddam Hussein, qui est l'agresseur. Sur le plan économique, la plupart des modèles et politiques de développement montrent leurs limites et leurs échecs et l'illusion du rattrapage technologique s'évanouit. Le tiers monde politique sera ainsi mort avant qu'il ne soit mis fin à l'ordre géopolitique issu de la Seconde Guerre mondiale. La disparition de l'URSS et du bloc soviétique signe la fin d'une époque, celle du « deuxième monde », mais le troisième est lui-même, depuis un certain temps, défunt. Une recomposition générale de l'ordre économique mondial se dessinera, dans laquelle chaque État cherchera sa voie pour réussir au mieux son insertion régionale. Dans cette quête, la constitution de marchés régionaux replacera les débats au niveau d'espaces géographiques et culturels plus homogènes. Serge CORDELLIER