NIETZSCHE: Qu'est-ce en fin de compte que l'on appelle « commun » ?
Publié le 15/05/2020
Extrait du document
«
Qu'est-ce en fin de compte que l'on appelle « commun » ? Les motssont des symboles sonores pour désigner des idées, mais les idéessont des signes imagés, plus ou moins précis, de sensations quiviennent fréquemment et simultanément, de groupes de sensations.
Ilne suffit pas, pour se comprendre mutuellement, d'employer lesmêmes mots ; il faut encore employer les mêmes mots pour désignerla même sorte d'expériences intérieures, il faut enfin avoir en communcertaines expériences.
C'est pourquoi les gens d'un même peuple secomprennent mieux entre eux que ceux qui appartiennent à despeuples différents, même si ces derniers usent de la même langue ; ouplutôt, quand des hommes ont longtemps vécu ensemble dans desconditions identiques, sous le même climat, sur le même sol, courantles mêmes dangers, ayant les mêmes besoins, faisant le même travail,il en naît quelque chose qui « se comprend » : un peuple.
Dans toutesles âmes un même nombre d'expériencesrevenant fréquemment a pris le dessus sur des expériences qui serépètent plus rarement : sur elles on se comprend vite, et de plus enplus vite - l'histoire du langage est l'histoire d'un processusd'abréviation.
- [...] On en fait l'expérience même dans toute amitié,dans toute liaison amoureuse : aucune n'est durable si l'un des deuxdécouvre que son partenaire sent, entend les mêmes mots autrementque lui, qu'il y flaire autre chose, qu'ils éveillent en lui d'autres souhaits et d'autres craintes.
[...] A supposer à présent que la nécessité n'ait depuis toujours rapproché que desgens qui pouvaient indiquer par des signes identiques des besoins et des expériences identiques, il enrésulte au total que la facilité aveclaquelle une nécessité se laisse communiquer, c'est-à-dire, au fond, le fait de n'avoir que des expériencesmédiocres et communes, a du être la plus forte de toutes les puissances qui ont jusqu'ici déterminél'homme.NIETZSCHE Commentaire : Introduction : Ce texte de Nietzsche s'ancre dans une double thématique : partant de la recherche de ce qui constitue le« commun » au sein d'un peuple, l'auteur développe une réflexion sur le langage, car ce dernier semble être leparadigme de ce qui permet aux individus de mettre en commun leurs pensées, leurs émotions, leurs actions.
Ladémarche philosophique de Nietzsche étant toujours critique, l'auteur remet en cause la validité du langage et sacapacité à être réellement « commun », en se demandant si cette idée ne serait pas qu'une illusion, et si les motspeuvent vraiment faire l'objet d'une compréhension universelle et univoque.
Est-ce le langage qui établit le« commun » au sein d'un groupe, ou est-ce la communauté qui est à l'origine de la constitution du langage ? 1ère partie : L'origine des mots ne relève pas du « commun » mais de la subjectivité. - Le texte débute sur une interrogation sur la définition du terme « commun ».
Nietzsche cherche alorsimmédiatement la réponse dans la définition de ce qu'est un « mot », en tant que le langage est ce qui estcouramment appelé « commun » aux individus.- L'auteur défini les mots comme des « symboles sonores pour désigner des idées », autrement dit comme dessignifiants, objets référants qui renvoient à autre chose, à savoir des idées, ou images.
En effet, les idées sont pourNietzsche des « signes imagés », de sorte que les mots devraient apparaître comme des signifiants de signes quirenvoient aux objets.- C'est précisément le fait que les mots ne renvoient pas directement aux objets, mais à l'idée, qui fait que le motn'est pas univoque, et donc n'est pas commun.
En effet, l'auteur explique que l'on se forme une idée d'aprèsl'expérience d'une sensation.
Or il est implicite qu'une sensation est, par définition, particulière, puisqu'elle touchechaque individu via la sensibilité dont il dispose.
La sensation est donc subjective, personnelle, et ne peut donc donner lieu qu'à des idées particulières.
Parce que chacun fait l'expérience d'un objet par la sensation, par laquelle ilse forge l'idée de cet objet, qu'il subsume ensuite sous un « mot » qui désigne cette idée, il en résulte parconséquent que les mots ne sont pas communs, mais particuliers à chacun.- C'est pourquoi l'auteur explique qu'il ne suffit pas d'employer les mêmes mots pour partager une expériencecommune, car en réalité, le même mot ne désigne pas tout à fait la même chose pour chaque individu.- Si le mot désigne une « expérience intérieure », comment être sûr qu'il s'agit de la même pour tous ? Nietzschesouligne ici l'illusion de voir dans les mots du langage des objets « communs » aux hommes, alors que leurcompréhension est individuelle.- Il ne suffit pas d'employer les mêmes mots pour établir du « commun », car un même signifiant peut avoir dessignifiés différents selon la compréhension subjective de chacun.Pour Nietzsche, les mots ne sont que des conventions mais n'ont pas de réalité universelle.
(Par exemple, le motrouge est compris par tous et pourtant, rien ne prouve que j'ai la même perception du rouge que mon voisin.).
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- La biographie ou l'autobiographie était jadis une entreprise réservée exclusivement à des personnes célèbres. Au cours des années cette exclusivité c'est peut à peut élargie à des personnes de moins en moins connues, pour aujourd'hui être accessible à presque tous. A la fin de sa propre autobiographie (Les Mots) J.P. Sartre dit : « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui. » Est-ce que cette affirmation rend elle compte de l'autobiographie
- dissertation master littérature de jeunesse sur le conte - Commentez : "Pierre Péju nous dit que «Le conte en général […] met en scène un héros au nom commun, à la psychologie sommaire, dont les aventures sont comme suspendues en dehors du temps et de l’espace. Le conte décrit souvent un « passage », une traversée […]. A la fin, celui qui est mal parti finit par accéder à un état nouveau de maturité, de puissance ou de richesse. Mais certains contes valent avant tout
- Dans Études sur le temps humain, Georges Poulet rend compte de ce qu'il appelle « la mesure de l'instant parfait chez Casanova » en la définissant comme « un moment de nouveauté pure, où rien ne compte, ni passé, ni avenir, où le présent se limite à la somme de joie goûtée à l'intérieur de ses limites. Moment que rien ne prépare, que rien non plus ne prolonge » ?
- A la fin de la première partie de Psyché, deux des « Quatre Amis » dont La Fontaine nous rapporte les propos, engagent un déb,at sur les mérites respectifs de la tragédie et de la comédie. A Ariste qui affirme que « la comédie touche moins les esprits que la tragédie », Gélaste finit par répondre : « Comme la tragédie ne nous représente que des aventures extraordinaires et qui, vraisemblablement, ne nous arriveront jamais, nous n'y prenons point de part et nous sommes froids, à moins q
- Préparation à l’oral du baccalauréat de français Analyse linéaire n°4 - Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde, 1990 (épilogue)