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Montaigne, "Essais", "Des coches", Livre III, Chapitre 6 : "Notre monde vient d'en trouver un autre…"

Publié le 09/12/2021

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RÉSUMÉ Notre monde vient d'en trouver un autre très jeune. Il vivait encore il y a peu de temps de façon très élémentaire si bien qu'il était appelé à s'épanouir quand nous nous flétrirons. Mais nous l'avons contaminé. C'était un monde enfant mais nous ne l'avons pas bien éduqué. Ces hommes étaient aussi intelligents et habiles que nous, mais ils se sont perdus par leur bonté et leur honnêteté. Pourtant leur courage égalait celui de nos fameux héros anciens. ANALYSE L'auteur part de la découverte du Nouveau Monde qu'il décrit comme un monde encore très ignorant. Il en tire l'idée de la jeunesse de cette civilisation opposée au déclin de la nôtre. Mais il annonce que nous l'avons contaminée et nous accuse de ne pas avoir été de bons éducateurs. Puis il énonce toutes les qualités de ces peuples : intelligence, habileté, valeur morale. Il accuse cette dernière qualité de les avoir perdus. Enfin il fait allusion à leur courage qui nous rappelle en quelles occasions ils ont dû en faire preuve.

« RÉSUMÉ Notre monde vient d'en trouver un autre très jeune.

Il vivait encore il y a peu de temps de façon très élémentaire si bien qu'il étaitappelé à s'épanouir quand nous nous flétrirons.

Mais nous l'avons contaminé.

C'était un monde enfant mais nous ne l'avons pas bienéduqué.

Ces hommes étaient aussi intelligents et habiles que nous, mais ils se sont perdus par leur bonté et leur honnêteté.

Pourtantleur courage égalait celui de nos fameux héros anciens. ANALYSE L'auteur part de la découverte du Nouveau Monde qu'il décrit comme un monde encore très ignorant.Il en tire l'idée de la jeunesse de cette civilisation opposée au déclin de la nôtre.

Mais il annonce que nous l'avons contaminée et nousaccuse de ne pas avoir été de bons éducateurs.Puis il énonce toutes les qualités de ces peuples : intelligence, habileté, valeur morale.

Il accuse cette dernière qualité de les avoirperdus.Enfin il fait allusion à leur courage qui nous rappelle en quelles occasions ils ont dû en faire preuve. COMMENTAIRE Cette construction du texte est donc centrée autour de deux thèmes : la vie mortelle des civilisations ; le rôle néfaste de la nôtre.Il convient de les traiter l'un et l'autre, en montrant les rapports que Montaigne établit entre eux.Cette page est l'une des plus prophétiques et des plus courageuses des Essais de Montaigne.

Quelques phrases sont particulièrementintéressantes : « Si nous concluons bien de notre fin, et ce poète de la jeunesse de son siècle, cet autre monde ne fera qu'entrer enlumière quand le nôtre en sortira.

L'univers tombera en paralysie ; l'un membre sera perclus, l'autre en vigueur.

Bien crains-je quenous aurons bien fort hâté sa déclinaison et sa ruine par notre contagion, et que nous lui aurons bien cher vendu nos opinions et nosarts.

» Au moment où Montaigne écrit sur ce thème, la conquête du Nouveau Monde est terminée depuis une quarantaine d'années, etpeu d'hommes encore osent condamner les crimes que les Européens y ont commis.

Montaigne non seulement a le courage et laclairvoyance de le faire, mais il en tire l'idée que les civilisations suivent la même courbe que la vie humaine. I.

- EXPLICATION DE SA POSITION A une époque où la civilisation européenne est en pleine expansion, il semblé étrange de la part de Montaigne de songer à son déclin.L'Europe est alors toute à ses nouvelles conquêtes et à ses inventions techniques qui semblaient lui donner la supériorité matérielle surles autres civilisations.

Comment, dans ces conditions, expliquer les idées de Montaigne ?La découverte du Nouveau Monde a révélé aux Européens des peuples dont le degré de technicité était bien inférieur au leur.

Malgré ledéveloppement politique et artistique de ces peuples, les conquérants ont donc eu l'impression de se trouver en face d'un pays neuf.C'est cette jeunesse apparente de la civilisation américaine qui fait réfléchir Montaigne.

A côté d'elle la civilisation européenne prend unair de maturité qui semble annoncer son déclin.

Mais on ne peut pas en conclure à la fin du monde, puisque d'autres pays sont trèsjeunes.

Il déduit alors logiquement que l'Europe va vers sa fin mais que d'autres civilisations la remplaceront.

C'est là une idée neuveque cette notion de mort des civilisations.

A notre époque, Valéry a dû reconnaître à regret : « Nous autres, civilisations, savons àprésent que nous sommes mortelles.

» En fait, voilà plusieurs siècles que nous devrions le savoir, comme Montaigne l'avait compris.Mais s'il est assez simple de souscrire à cette idée sur le plan théorique, il est beaucoup plus difficile d'admettre que tout ce qui faitnotre civilisation, tout ce qui la rend originale, peut être caduc et voué à une disparition probable.

Pourtant, nous avons été notrepropre maître en cette matière. II.

- CONSÉQUENCES DE L'EXPÉRIENCE AMÉRICAINE D'autres civilisations, avant la nôtre, avaient connu des périodes extrêmement florissantes.

Pensons à l'Empire Chinois par exemple, àl'Égypte, etc.

dont le degré de raffinement était bien supérieur au nôtre en ce XVIe siècle ensanglanté par des luttes sauvages.

Mais lacivilisation américaine elle-même était beaucoup moins « enfant » que ne le pensait Montaigne.

S'il lui manquait l'alphabet, ellepossédait un système très subtil de mesure, par exemple.

L'Empire Inca avait créé des structures politiques singulièrement élaborées.Cependant les civilisations Inca et Aztèque étaient déjà ébranlées lors de l'arrivée des Espagnols.

Nous assistons alors à la premièreentreprise européenne de destruction systématique d'une civilisation.

Celle-ci s'est poursuivie pendant plusieurs siècles et nous savonsdans quel état se trouvent les descendants actuels des Indiens.

Mais du même coup nous avons appris qu'il était possible de tuer unecivilisation.

C'est donc notre propre arrêt de mort que nous avons signé et c'est bien ainsi que Montaigne a compris la leçonaméricaine. III.

- UNE PRISE DE CONSCIENCE RÉCENTE Devant ce phénomène les arguments traditionnels du colonialisme paraissent bien faibles : la « mission civilisatrice » de l'Europeconsiste le plus souvent à « éduquer » un nombre assez restreint d'indigènes selon des critères qui nous sont familiers, mais qui necorrespondent pas à leur façon de vivre ou de penser, et à se servir des autres comme de main-d'œuvre à bon marché.

Si lesEuropéens apportent leur technique, développent parfois l'économie du pays, les indigènes n'en tirent pas le moindre profit.

C'est eneffet « vendre bien cher » nos connaissances.

Nous commençons juste à nous rendre compte qu'« être civilisé » ce n'est pas forcémentadopter les coutumes européennes.

Nous sommes aussi attirés par d'autres civilisations pour des valeurs spirituelles que nous n'avonspas su créer ou conserver.

Ainsi nous prenons conscience aujourd'hui du rôle néfaste que notre civilisation a tenu dans de nombreuxpays ; c'est peut-être cette lucidité nouvelle qui peut nous empêcher de disparaître un jour. CONCLUSION Nous nous apercevons que Montaigne a une attitude très moderne face au problème de la colonisation.

Au début du XXe siècle encore,ses affirmations eussent choqué nombre de personnes.

Non seulement il a fait oeuvre d'humaniste et témoigné de sympathieintelligente, mais sa lucidité l'a rendu prophète, à une époque où les passions étaient exacerbées.. »

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