Max Jacob : « Oui ! mille fois oui ! La poésie est un cri, mais c'est un cri HABILLE ! »
Publié le 21/12/2021
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«
Texte de la copie
Dans le domaine de la poésie a toujours été posé le problème de la recherche de la
forme, de moyens techniques permettant au poète d'exprimer ses aspirations, ses
sentiments profonds d'une façon qui les fasse parvenir le plus clairement possible au
lecteur.
Nombre de poètes n'ont pas perçu de la même manière cette nécessité d'une
technique poétique.
Cette nécessité s'affirme peut-être dans la réflexion de Max Jacob : «
Oui ! mille fois oui ! La poésie est un cri, mais c'est un cri HABILLE ! » qui exprime aussi
la valeur lyrique que Max Jacob attribue à la poésie.
Déterminons chez quelques poètes
les exemples qui illustrent le mieux ce jugement.
Les Fleurs du Mal nous offrent à maintes reprises l'occasion de reconnaître la volonté de
Baudelaire d'accéder à une parfaite maîtrise de la forme pour transmettre au lecteur sans
les trahir aucunement tous ses sentiments, toutes ses impressions.
A travers tout le
recueil, par exemple, on retrouve le conflit intérieur de Baudelaire partagé entre la
conscience de la douleur, du mal et une aspiration très forte à un monde de bonheur, de
pureté et de lumière.
Ce double état d'âme s'exprime très clairement dans des poèmes
comme « Élévation » ou « Réversibilité » ou dans « La cloche fêlée » où Baudelaire
exprime en utilisant toutes les ressources de son art, dans des vers qui disent un appel
pressant, une aspiration très forte, en laquelle il a foi, à s'arracher au monde terrestre,
ou au contraire une détresse absolue et un désespoir total.
La première partie du poème « Élévation » contient des images dont la dimension et la
clarté évoquent un bonheur complet, un bien-être absolu.
Ainsi par exemple les vers :
« Et comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde, Tu sillonnes gaiement l'immensité
profonde Avec une indicible et mâle volupté » où Baudelaire utilise le vocabulaire du
bien-être physique pour dire la plénitude du bien-être moral («se pâme», «volupté»), des
sonorités sourdes qui disent le sentiment de l'absolu («pâme», «onde», «sillonnes»,
«profonde», «mâle»), évoque un mouvement habile et gai pour confondre son esprit
avec le monde dans lequel il arrive et donc pour donner l'image d'un monde idéal où la
réalité s'identifie à la volonté de l'homme (ce qui est également perçu dans le rythme
très lié des vers).
II est intéressant de remarquer comment, en utilisant les mêmes
moyens, Baudelaire exprime un sentiment absolument contraire.
C'est l'image contenue
dans le dernier tercet de « La cloche fêlée » qui illustre le mieux ce complet revirement
dans l'esprit du poète : «...
sa voix affaiblie Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts, Et qui meurt, sans bouger, dans
d'immenses efforts.
» Le rythme est ici martelé, évoque l'oppression, une impuissance
d'autant plus envahissante qu'elle est sans appel.
C'est aussi un rythme descendant qui
nous amène progressivement de l'agonie jusqu'au silence et à la mort.
Ces derniers vers
également allient une réalité déjà horrible en elle-même (« le râle épais »), celle du
champ de bataille des images volontairement démesurées qui la font presque basculer du
côté de l'hallucination (« un grand tas de morts », un lac de sang »).
Ils expriment donc
un cri de détresse du poète, celle de la solitude, de l'abandon vus ici comme une
condamnation à mort (« un blessé qu'on oublie»).
On retrouve cette même violence,
mais dans un appel au départ, 60 dans le poème « Moesta et errabunda » où Baudelaire
exprime le mieux le conflit intérieur qui est en lui ; en effet, y alternent sans cesse le
désespoir et l'espoir, l'inquiétude et la certitude : par exemple, la première strophe du
poème nous dit l'inquiétude de ne pas savoir si la femme aimée partage ses aspirations :
« Dis-moi, ton coeur parfois s'envole-t-il, Agathe, Loin du noir océan de l'immonde
cité...» où le monde terrestre, monde de la douleur et de la destruction, est évoqué dans
toutes les ressources du rythme (martelé par les monosyllabes), des sonorités
(diphtonguées : «oin», «oir», «an»), des images («noir océan» nous dit un monde dans
lequel on n'a pas de repère et qui nous emprisonne dans la nuit, « immonde cité »
exprime le dégoût du poète).
Alors que plus loin on trouve la certitude : le poète sait que
la femme qu'il aime a pour idéal le même monde de pureté et d'absolu qu'il recherche :
« Est-il vrai que parfois le triste coeur d'Agathe Dise : Loin des remords, des crimes, des
douleurs Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ? » L'impression de timidité que nous
laisse la formulation « Est-il vrai que...
» nous dit que le poète ressent dans la certitude.
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