Mauss, Sociologie et Anthropologie (extrait)Marcel Mauss a proposé une première théorie de l'échange en mettant en évidence dans la communauté primitive des « systèmes de prestations sociales » gouvernés parles trois obligations régissant le « don » : donner, recevoir et rendre.
Publié le 18/05/2020
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Mauss, Sociologie et Anthropologie (extrait)
Marcel Mauss a proposé une première théorie de l’échange en mettant en évidence dans la communauté primitive des « systèmes de prestations sociales » gouvernés parles trois obligations régissant le « don » : donner, recevoir et rendre.
Il a développé également la notion de « fait social total » utilisée dans son Essai sur le don (1923- 1924), entendant en cela une ou plusieurs manifestations d’une société (tel le don) l’exprimant dans sa totalité et touchant à la fois les aspects religieux, économique,politique, mythologique, juridique… Sociologie et anthropologie (1950) présente une sélection de ses textes.
Sociologie et anthropologie de Marcel Mauss (introduction)
Du don, et en particulier de l’obligation à rendre les présents
Programme
On voit le sujet.
Dans la civilisation scandinave et dans bon nombre d’autres, les échanges et les contrats se font sous la forme de cadeaux, en théorie volontaires, enréalité obligatoirement faits et rendus.
Ce travail est un fragment d’études plus vastes.
Depuis des années, notre attention se porte à la fois sur le régime du droit contractuel et sur les systèmes desprestations économiques entre les diverses sections ou sous-groupes dont se composent les sociétés dites primitives, aussi celles que nous pourrions dire archaïques.Il y a là tout un énorme ensemble de faits.
Et ils sont eux-mêmes très complexes.
Tout s’y mêle, tout ce qui constitue la vie proprement sociale des sociétés qui ontprécédé les nôtres — jusqu’à celles de la protohistoire.
— Dans ces phénomènes sociaux « totaux », comme nous proposons de les appeler, s’expriment à la fois etd’un coup toutes sortes d’institutions : religieuses, juridiques et morales — et celles-ci politiques et familiales en même temps ; économiques — et celles-ci supposentdes formes particulières de la production et de la consommation, ou plutôt de la prestation et de la distribution ; sans compter les phénomènes esthétiques auxquelsaboutissent ces faits et les phénomènes morphologiques que manifestent ces institutions.
De tous ces thèmes très complexes et de cette multiplicité de choses sociales en mouvement, nous voulons ici ne considérer qu’un des traits, profonds mais isolé : lecaractère volontaire, pour ainsi dire, apparemment libre et gratuit, et cependant contraint et intéressé de ces prestations.
Elles ont revêtu presque toujours la forme duprésent, du cadeau offert généreusement même quand, dans ce geste qui accompagne la transaction, il n’y a que fiction, formalisme et mensonge social, et quand il ya, au fond, obligation et intérêt économique.
Même, quoique nous indiquerons avec précision tous les divers principes qui ont donné cet aspect à une formenécessaire de l’échange — c’est-à-dire, de la division du travail social elle-même — de tous ces principes, nous n’en étudions à fond qu’un.
Quelle est la règle dedroit et d’intérêt qui, dans les sociétés de type arriéré ou archaïque, fait que le présent reçu est obligatoirement rendu ? Quelle force y a-t-il dans la chose qu’on donnequi fait que le donataire la rend ? Voilà le problème auquel nous nous attachons plus spécialement tout en indiquant les autres.
Nous espérons donner par un assezgrand nombre de faits, une réponse à cette question précise et montrer dans quelle direction on peut engager toute une étude des questions connexes.
On verra aussi àquels problèmes nouveaux nous sommes amenés : les uns concernant une forme permanente de la morale contractuelle, à savoir : la façon dont le droit réel resteencore de nos jours attaché au droit personnel ; les autres concernant les formes et les idées qui ont toujours présidé, au moins en partie, à l’échange et qui, encoremaintenant, suppléent en partie la notion d’intérêt individuel.
Ainsi, nous atteindrons un double but.
D’une part, nous arriverons à des conclusions en quelque sorte archéologiques sur la nature des transactions humaines dans lessociétés qui nous entourent et nous ont immédiatement précédés.
Nous décrirons les phénomènes d’échange et de contrat dans ces sociétés qui sont non pas privéesde marchés économiques comme on l’a prétendu, — car le marché est un phénomène humain qui selon nous n’est étranger à aucune société connue, — mais dont lerégime d’échange est différent du nôtre.
On y verra le marché avant l’institution des marchands et avant leur principale invention, la monnaie proprement dite ;comment il fonctionnait avant qu’eussent été trouvées les formes, on peut dire modernes (sémitique, hellénique, hellénistique et romaine) du contrat et de la vented’une part, la monnaie titrée d’autre part.
Nous verrons la morale et l’économie qui agissent dans ces transactions.
Et comme nous constaterons que cette morale et cette économie fonctionnent encore dans nos sociétés de façon constante et pour ainsi dire sous-jacente, comme nouscroyons avoir ici trouvé un des rocs humains sur lesquels sont bâties nos sociétés, nous pourrons en déduire quelques conclusions morales sur quelques problèmesque posent la crise de notre droit et la crise de notre économie et nous nous arrêterons là.
Cette page d’histoire sociale, de sociologie théorique, de conclusions demorale, de pratique politique et économique, ne nous mène, au fond qu’à poser une fois de plus, sous de nouvelles formes, de vieilles mais toujours nouvellesquestions.
Source : Mauss (Marcel), Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 1993.
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