MAURICE SCÈVE
Publié le 09/12/2021
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Longtemps jugé « à peu près illisible » (Sainte-Beuve), Maurice Scève a été l'auteur injustement réduit à une seule œuvre, la Délie, de nos jours considérée comme l'un des diamants poétiques du XVIe siècle. Non plus obscur, mais dense, dignifié par l'épithète de « mallarméen », le prétendu chef de l'« école » lyonnaise ne signa jamais ses livres, sinon de devises plurivalentes comme « souffrir non souffrir ». Du Petit Oeuvre... au Microcosme Sa vie est une alternance d'ombres et de clartés, partagée entre des périodes de retraite et une présence mondaine reconnue. On sait qu'il est de naissance noble, et qu'il a pu contempler dans son enfance, à Ecully près de Lyon, une maison peinte d'emblèmes plus ou moins transposés dans la Délie. Il a fréquenté le cercle littéraire de son cousin Guillaume Scève, et surtout celui de Dolet qui n'a pas encore abandonné son désir d'école néolatine française. En tant que lyonnais, Scève est pénétré de la culture italienne et de sa thématique amoureuse, lue dans Léon L'Hébreu et Speroni. Son pétrarquisme serait conforté par sa « découverte » du tombeau présumé de Laure en Avignon. Pourtant, sa première oeuvre est narrative : il livre en 1535 une traduction de la Déplourable fin de Flamette de Juan de Flores (1497), développement romanes-que d'une élégie de Boccace. Scève accentue l'aspect sentimental et psychologique, comme il témoigne de la disparition de l'idéal courtois au profit d'une « gloire » plus individualiste ; l'aventure à l'espagnole se teinte d'un donjuanisme cynique : « Nulle ne peut être longtemps belle, que par longtemps continuée, ne soit fâcheuse » (chap. 16). Cet exercice est complété dans les années 1536- 1539, par des « blasons » inspirés du genre marotique mais qui ne doivent, dans leur esprit, rien à Marot : « la Larme », « le Front », « la Gorge », « le Soupir » et surtout « le Sourcil », le plus remarqué, s'attardent peu sur l'anatomie et explorent plus volontiers les beautés idéelles du « microcosme » féminin Une autre occasion d'utiliser les ressources des rhétoriqueurs lui est offerte avec le Tombeau collectif du Dauphin (1536), pour lequel Scève compose de beaux poèmes latins et surtout une églogue, Arion, déjà dans le goût classique malgré la forme héritée de Lemaire. Vers cette époque, il rencontre l'inspiratrice principale de là Délie, Pernette du Guillet, probablement son élève en matière de poésie. Le Petit Oeuvre d'amour paru en 1538 montre l'existence de plusieurs femmes aimées et surtout révèle la manière dont Scève travaille les classiques : ces poèmes qui sont des adaptations, des imitations et des traductions vont dans le sens d'une simplification allusive. Maurice Scève participe ensuite à l'organisation de plusieurs fêtes avant de s'isoler à l'île-Barbe : Pernette s'est mariée et le poète termine la Délie (1544) qui, bien qu'elle soit très attendue dans le milieu lyonnais, ne provoque guère de remous. Cet accueil mitigé, où s'expriment déjà des reproches d'obscurité, prolonge la retraite de Scève, et correspond à une période d'anti-mondanité. Il écrit alors la Saulsaye (1547), églogue justifiant le droit à la solitude, tout en s'inspirant de Sannazar et de Marguerite de Navarre : il y raconte aussi bien que Ronsard « les rocs moussus, les cavernes humides », plante un décor simple et déploie un style aimable. Revenu au monde avec son rôle actif dans l'entrée de Henri II à Lyon en 1548, il poursuit les rêves emblématiques de la Délie dans les tableaux vivants qui jalonnent le parcours royal. On y retrouve la même ambivalence de jeu et de sérieux qui clôt le temps de l'esprit festif. Scève continue à fréquenter les cercles littéraires, apparaît sans doute chez Louise Labé, dont il fait l'éloge, mais son véritable disciple est plutôt Claude de Taillemont, et sa véritable « académie », le château de Pontus de Tyard : c'est dans cette atmosphère savante et encyclopédiste que mûrit le projet du Microcosme. Chez Dolet déjà, Scève avait pu approfondir l'idée de l'Homme en marche vers le Progrès ; enfin, quand la nécessité de tout dire s'impose, le poète compose cette oeuvre ultime (entre 1557 et 1560). Le texte fait le récit des premiers temps jusqu'au meurtre d'Abel par Caïn, décrit le rêve d'Adam, projeté sur les siècles des futures inventions, et montre les réalisations humaines de connaissance en connaissance. L'ensemble est plus personnel que les productions postérieures de la poésie scientifique (Baïf, Du Bartas), bien qu'il n'évite pas le didactisme. L'Histoire est retrouvée par Scève, mais seulement jusqu'à la Rédemption, laissant la Renaissance dans un silence analogique : Adam, personnage central, est l'homme éternel plus que le premier pécheur. Reprenant une tradition patristique mais aussi kabbaliste, l'auteur fait du premier homme l'inventeur par excellence et le Philosophe. En lui, le manque initial, en lui, les rêves de reconstruction et les plénitudes du savoir. La poétique s'accommode d'une imagination maîtrisée, sans trop de développements explicatifs et sans théologie. Parfois, une formule rappelle Délie : « Masse de déité en soi-même amassée... » (v. 11) et infirme les jugements sévères adressés à une oeuvre que l'on dit besogneuse.
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MAURICE SCÈVE
Longtemps jugé « à peu près illisible » (Sainte-Beuve), Maurice Scève a été l'auteur injustement réduit à une seule œuvre, la Délie, de nosjours considérée comme l'un des diamants poétiques du XVIe siècle.
Non plus obscur, mais dense, dignifié par l'épithète de « mallarméen», le prétendu chef de l'« école » lyonnaise ne signa jamais ses livres, sinon de devises plurivalentes comme « souffrir non souffrir ».
Du Petit Oeuvre...
au Microcosme
Sa vie est une alternance d'ombres et de clartés, partagée entre des périodes de retraite et une présence mondaine reconnue.
On saitqu'il est de naissance noble, et qu'il a pu contempler dans son enfance, à Ecully près de Lyon, une maison peinte d'emblèmes plus oumoins transposés dans la Délie.
Il a fréquenté le cercle littéraire de son cousin Guillaume Scève, et surtout celui de Dolet qui n'a pasencore abandonné son désir d'école néolatine française.
En tant que lyonnais, Scève est pénétré de la culture italienne et de sathématique amoureuse, lue dans Léon L'Hébreu et Speroni.
Son pétrarquisme serait conforté par sa « découverte » du tombeau présuméde Laure en Avignon.
Pourtant, sa première oeuvre est narrative : il livre en 1535 une traduction de la Déplourable fin de Flamette deJuan de Flores (1497), développement romanes-que d'une élégie de Boccace.
Scève accentue l'aspect sentimental et psychologique,comme il témoigne de la disparition de l'idéal courtois au profit d'une « gloire » plus individualiste ; l'aventure à l'espagnole se teinte d'undonjuanisme cynique : « Nulle ne peut être longtemps belle, que par longtemps continuée, ne soit fâcheuse » (chap.
16).
Cet exercice estcomplété dans les années 1536- 1539, par des « blasons » inspirés du genre marotique mais qui ne doivent, dans leur esprit, rien à Marot: « la Larme », « le Front », « la Gorge », « le Soupir » et surtout « le Sourcil », le plus remarqué, s'attardent peu sur l'anatomie etexplorent plus volontiers les beautés idéelles du « microcosme » féminin Une autre occasion d'utiliser les ressources des rhétoriqueurs luiest offerte avec le Tombeau collectif du Dauphin (1536), pour lequel Scève compose de beaux poèmes latins et surtout une églogue,Arion, déjà dans le goût classique malgré la forme héritée de Lemaire.
Vers cette époque, il rencontre l'inspiratrice principale de là Délie,Pernette du Guillet, probablement son élève en matière de poésie.
Le Petit Oeuvre d'amour paru en 1538 montre l'existence de plusieursfemmes aimées et surtout révèle la manière dont Scève travaille les classiques : ces poèmes qui sont des adaptations, des imitations etdes traductions vont dans le sens d'une simplification allusive.
Maurice Scève participe ensuite à l'organisation de plusieurs fêtes avant des'isoler à l'île-Barbe : Pernette s'est mariée et le poète termine la Délie (1544) qui, bien qu'elle soit très attendue dans le milieu lyonnais,ne provoque guère de remous.
Cet accueil mitigé, où s'expriment déjà des reproches d'obscurité, prolonge la retraite de Scève, etcorrespond à une période d'anti-mondanité.
Il écrit alors la Saulsaye (1547), églogue justifiant le droit à la solitude, tout en s'inspirant deSannazar et de Marguerite de Navarre : il y raconte aussi bien que Ronsard « les rocs moussus, les cavernes humides », plante un décorsimple et déploie un style aimable.
Revenu au monde avec son rôle actif dans l'entrée de Henri II à Lyon en 1548, il poursuit les rêvesemblématiques de la Délie dans les tableaux vivants qui jalonnent le parcours royal.
On y retrouve la même ambivalence de jeu et desérieux qui clôt le temps de l'esprit festif.
Scève continue à fréquenter les cercles littéraires, apparaît sans doute chez Louise Labé, dont ilfait l'éloge, mais son véritable disciple est plutôt Claude de Taillemont, et sa véritable « académie », le château de Pontus de Tyard : c'estdans cette atmosphère savante et encyclopédiste que mûrit le projet du Microcosme.
Chez Dolet déjà, Scève avait pu approfondir l'idée del'Homme en marche vers le Progrès ; enfin, quand la nécessité de tout dire s'impose, le poète compose cette oeuvre ultime (entre 1557et 1560).
Le texte fait le récit des premiers temps jusqu'au meurtre d'Abel par Caïn, décrit le rêve d'Adam, projeté sur les siècles desfutures inventions, et montre les réalisations humaines de connaissance en connaissance.
L'ensemble est plus personnel que lesproductions postérieures de la poésie scientifique (Baïf, Du Bartas), bien qu'il n'évite pas le didactisme.
L'Histoire est retrouvée par Scève,mais seulement jusqu'à la Rédemption, laissant la Renaissance dans un silence analogique : Adam, personnage central, est l'hommeéternel plus que le premier pécheur.
Reprenant une tradition patristique mais aussi kabbaliste, l'auteur fait du premier homme l'inventeurpar excellence et le Philosophe.
En lui, le manque initial, en lui, les rêves de reconstruction et les plénitudes du savoir.
La poétiques'accommode d'une imagination maîtrisée, sans trop de développements explicatifs et sans théologie.
Parfois, une formule rappelle Délie: « Masse de déité en soi-même amassée...
» (v.
11) et infirme les jugements sévères adressés à une oeuvre que l'on dit besogneuse.
Les architectures de Délie
Délie (1544), poème de l'absence (Verdun-Louis Saulnier) ou du désir de mort (Françoise Charpentier), connaît actuellement une exégèserenouvelée par l'attention portée aux emblèmes.
La construction de l'ensemble, 449 poèmes ou 450 selon que l'on tient compte ou nondu huitain initial, a paru répondre à un dessein caché, organisé de façon arithmosophique.
Les emblèmes, répartis tous les neuf dizains,donneraient la charpente.
Mais à la lecture, il apparaît que l'unité essentielle est d'abord le dizain décasyllabique dont le caractère carréaccentue les variations de rythme.
La beauté des vers joue de l'écart entre les effets de répétition et la diversité de l'expression.
Le mêmetype de décalage se retrouve dans la relation complexe entre l'emblème et le dizain qui le suit.
Loin de les avoir dessinés et projetés,Scève a probablement trouvé ses emblèmes dans les recueils de l'époque, et les a insérés selon un plan semi-aléatoire : ils necommandent pas l'ensemble de la neuvaine qui suit mais l'inspirent, et la devise est reprise dans le dernier ou l'avant-dernier vers dudizain suivant.
Dans les emblèmes, le rapport entre l'image et sa devise-interprétation est souvent distendu et fondé sur une finesseconfinant à l'énigme (le « Pot au feu » est glosé par « Dedans je me consume », D.
321) ; la devise est elle-même modifiée parl'utilisation qui en est faite dans le dizain, comme toute formule à valeur générale peut l'être.
De ces deux jeux décalés le dizain sorttriomphant et stimulé par l'emblème.
On a remarqué que son sens, souvent négatif, pouvait coïncider avec l'itinéraire du poète : récit d'unamour avec série de refus et de tourments, augmenté d'allusions à l'actualité qui jalonnent la chronologie.
Mais figures et devises ne sontque des analogies parmi d'autres, et restent dans le même état de tension par rapport au dizain que les références historiques : parexemple, la trahison du Connétable de Bourbon évoquée au D.
19 s'oppose à la « vassalité » de l'amant.
Images pétrarquistes et thèmesnéoplatoniciens sont aspirés par le dizain, qui arrange aussi les développements mythologiques possibles autour du nom deDélie/Délos/Hécate/ Diane/Artémis, et leurs troupes d'amants malheureux.Scève laisse de côté un idéalisme excessif, car il sait dire des « mains travaillantes » à assouvir son désir ; l'« honnête » amour impliquela jouissance charnelle (D.
150).L'érudition contribue à la difficulté de la lecture, surtout parce qu'elle est beaucoup plus concentrée que chez Ronsard, et subordonnéeparfois à des effets phoniques : « Croissant le feu de mon désir ardentEst Calamite ( = aimant) à mes calamités » (D.190).
La ponctuation, la syntaxe brisée et une abstraction à mi-chemin entre l'allégorie etle nom commun donnent au dizain une facture oraculaire proche du style de Nostradamus.
Mais l'aspect le plus étrange et le plusséduisant de cette poésie, qui laisse loin derrière les vertiges d'une construction mathématique, est l'art de la métaphore : celle-ci estsouvent construite sur le syntagme entier, à la limite de l'incompatibilité des référents : le « vaciller du doute », « mes pensers sepaonnoient », et « mon an se frise en son avril superbe » (D.
148) n'ont rien de banal.
Chaque vers du dizain peut être une « pointe » etl'antithèse — très fréquente — ne se développe pas sur le poème entier, contrairement aux constructions pétrarquisantes.
Le raccourci etla concentration ouvrent des possibilités de sens et de jouissance esthétique dans lesquelles le goût moderne se retrouve..
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