Maupassant : Excipit de Bel-Ami - Commentaire composé
Publié le 17/05/2020
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Maupassant : Excipit de Bel-Ami - Commentaire composé
Le passage est un extrait du roman de G de Maupassant Bel-Ami et se situe dans la deuxième partie de l'œuvre.
De manière très significative, il constitue sondénouement.
Dans cette perspective, il conviendra de jeter un regard en amont aussi sur l'incipit afin d'établir une progression générale et ainsi se rendre compte del'ascension sociale de ce héros appartenant aux héros de roman d'apprentissage.Dans une perspective teintée de réalisme, l'excipit présente un personnage aux multiples identités, en pleine cérémonie de mariage, épousant en deuxièmes nocesSuzanne, riche héritière.
Au même moment, le passé de notre Bel-Ami refait surface dans une rencontre très significative et symbolique avec Mme de Marelle.Il s'agira donc de s'interroger sur cette cérémonie de mariage placée sous le signe de l'hyperbole et du religieux.
Quelle place peut-on lui accorder ? La rencontre entrele présent et le passé semble, elle aussi, tout à fait pertinente et apporte un éclairage supplémentaire au portrait du héros.
Enfin, il conviendra d'étudier ce passagedans une esthétique du roman d'apprentissage placé sous le signe d'une véritable apothéose.
Le dénouement de Bel-Ami se termine par la cérémonie de mariage entre le héros éponyme et Suzanne.
Dès le début du passage, force est de constater qu'en terme depoint de vue ou de perspective, seul, le héros semble être sous les feux de la rampe.
La vision de la mariée dans cette cérémonie est inexistante ou, du moins, réduite àun bras : « Georges reprit le bras de Suzanne ».
C'est une mariée démembrée, disloquée, disjointe comme pour mieux glorifier, exalter, déifier son mari.
En effet, lafocalisation interne permet de percevoir un Bel-ami qui « se croyait un roi qu'un peuple venait acclamer ».
Cette scène théâtrale plaçée sous le signe de l'hyperbolebrosse déjà un portrait du héros dont la soif de pouvoir absolu et de reconnaissance le catégorise parmi le plus vil des égoïstes.
Son arrivisme, son égoïsme sont àplusieurs reprises explicitement évoqués :« Il ne voyait personne.
Il ne pensait qu'à lui […] une foule noire, bruissante, venue là pour lui, pour lui Georges Du Roy.
Le peuple de Paris le contemplait et l'enviait[…] il ne les voyait point ».
A l'instar de ce bras qui n'est là dans la cérémonie que pour soutenir, supporter la réussite de Bel-ami dans son ascension sociale, l'église semble elle aussi jouer unrôle dans la consécration de Du Roy.
En effet, de même que Suzanne se présente comme la mère nourricière et surtout financière, de même l'église apparaît commeun tremplin qui le hisse et lui ouvre toutes les portes vers cette déification.
Or le religieux s'avère être, pour Du Roy, un simple outil qu'il n'hésite pas à utiliser pourparvenir à ses fins, allant même jusqu'à jouer les faux dévots.
Pour preuve, le mode kinésique du début du passage confirme clairement qu'il joue un jeu, prêt à revêtirle masque du faux dévot :« Bel-Ami, à genoux à côté de Suzanne, avait baissé le front ».Ce signe est un signe de soumission, mais aussi d'implication, d'engagement dans le catholicisme.
Or, il est ici tout à fait perverti, détourné et ironique :« il se sentait en ce moment presque croyant, presque religieux, plein de reconnaissance pour la divinité qui l'avait ainsi favorisé, qui le traitait avec ces égards.
Etsans savoir au juste à qui il s'adressait, il la remerciait de son succès ».La réitération de l'adverbe « presque », l'exagération de « plein de » et le vocable « divinité » sont autant de traces linguistiques qui révèlent l'ironie de Maupassant etl'hypocrisie de Du Roy.
Mais cette cérémonie de mariage semble brusquement troublée par une rencontre entre le présent et le passé.Le « soudain » du troisième paragraphe introduit un changement dans la narration.
Il annonce un élément perturbateur qui vient achopper le tableau « presque »idyllique de cette cérémonie de mariage religieux évoquée en grande pompe : c'est l'arrivée de Mme de Marelle.
La focalisation zéro permet au lecteur de pénétrerdans l'univers intime de Georges et de sa relation amoureuse, harmonieuse, du passé et du secret.
En d'autres termes, le lecteur semble transporté d'une cérémonieofficielle faste où le religieux est le point d'orgue à un espace clos, intime, voire intimiste.
La multitude de la foule dépeinte de manière hyperbolique brusquements'efface, n'existe plus, ou, du moins, devient des figurants perdus dans un épais brouillard où seule compte cette rencontre du passé avec le présent.
Ce passé apparaîtcomme un interlude vivace dans l'espace textuel et qui disparaît lorsque le lecteur voit Mme de Marelle prendre congé : « elle s'éloigna ».Aussi réelle et éphémère que soit cette rencontre, elle semble marquer une pause, une suspension dans le temps et l'espace de la narration.
Cette rencontre s'effectuepar un premier contact avec les yeux puis, par un effet de zoom, on la voit s'approcher pour terminer par un contact physique et aussi symbolique : renouer un lien,lien présent/passé (serrer la main) et retrouver, se replonger un instant dans le passé partagé, empreint de douceur :« […] tous les baisers qu'il lui avait donnés, qu'elle lui avait rendus, le souvenir de toutes leurs caresses, de ses gentillesses… »La cérémonie religieuse et officielle cède donc le pas à une rencontre fortuite ( ?) que le contact des mains scelle.
C'est le sceau de l'amour secret que le rythmeternaire du paragraphe 5 dévoile :« Leurs yeux se rencontrèrent, souriants brillants, plein d'amour ».Tacite concors amoureuse au beau milieu d'une cérémonie officielle a-moureuse.Le deuxième tableau, celui de la rencontre, est donc à la fois une pause, un souvenir-sommaire dans la narration qui « s'éloigne » pour, à son tour, céder la place aupremier tableau, celui de la cérémonie officielle.
Ce tableau second est là pour brosser un autre portrait de Bel-Ami : celui du séducteur.La description de cette cérémonie s'accélère dans la deuxième moitié du passage.
L'hyperbole est omniprésente et présente un héros démesuré qui a réussi sonascension sociale :« D'autres personnes se poussaient.
La foule coulait devant lui comme un fleuve ».
Ceci fait écho à la vision du lecteur au début du passage :« l'interminable défilé des assistants…se croyait un roi qu'un peuple venait acclamer ».
A ce moment précis de la narration, le lecteur assiste à une véritableapothéose.
Au tumulte de cette foule frénétique, hystérique, venue en masse acclamer son roi, succède le calme, un calme presque ataraxique où l'ordre semblerégner :« Chacun avait regagné sa place ».Où cette même foule a le regard rivé dans une même direction et contemple son héros presque déifié.
Comme pour ajouter plus de poids, le temps est commesuspendu.
Le temps de la narration passe au ralenti comme pour mieux magnifier son héros :« Il allait lentement, d'un pas calme, la tête haute », ignorant en même temps cette même foule et regardant « les yeux fixés sur la grande baie ensoleillée de la porte ».De manière très significative, le Bel-Ami du début du texte, « balbutiant des mots qui ne signifiaient rien », lui qui « avait baissé le front » se métamorphose.
Tour àtour, Bel-Ami devient Georges pour enfin se métamorphoser en Georges du Roy et sortant de l'église « la tête haute ».
Véritable métamorphose donc, mais aussisuperbe ascension sociale en accord aussi avec le héros du roman d'apprentissage ou de formation du XIXème siècle.
Cette soif de pouvoir, ce désir d'ascension sontclairement marqués par une volonté de se projeter en avant :« il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde, la chambre des députés.
Et il lui sembla qu'il allait faire un bond du portique de la Madeleine au portique duPalais-Bourbon ».Une volonté également de gravir rapidement les marches de la réussite sociale et aussi rapidement qu'il descendra lentement les marches de l'église, comme poursavourer tout aussi lentement sa réussite :« Il descendit avec lenteur les marches du haut perron entre deux haies de spectateurs.
»A ce héros qui se métamorphose en héros de la démesure, qui savoure l'instant présent « avec lenteur », quelque chose pourtant lui manque.
Pour parfaire ce tableaude la réussite sociale et de la démesure, ce n'est sûrement pas aux bras de Suzanne que sa conscience se tourne, mais plutôt sur son passé ; L'image du fleuve, ainsique le flux et le reflux de ses pensées entre présent et passé forment un tout, un véritable « courant de conscience ».
Le souvenir toujours aussi vivace d'une Mme deMarelle se « rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit », vient combler ce manque et ajoute la touche finalede la perfection dans ce portrait d'un Georges du Roy démesuré, déifié.
Pour conclure cette analyse, nous avons tenté de montrer que le héros éponyme s'inscrit parfaitement dans la lignée des romans d'apprentissage du XIX ème siècle.
Al'instar d'un Eugène de Rastignac, Georges du Roy a réussi à étancher cette « envie de boire [qui] lui séchait la gorge » dès l'incipit.
Séducteur invétéré même le jourde son mariage, il n'hésite pas à prendre la main de Mme de Marelle en même temps que le bras de Suzanne incarnant la riche héritière, objet de la convoitise de toutarriviste considérant le mariage comme la voie royale de la réussite.
Sa soif de conquête, ses appétits et son ambition sont sans égal.
Même s'il est parvenu à ses fins,il rêve déjà d'accéder à d'autres sphères, politiques cette fois –ci :« […] faire un bond du portique de la Madeleine au portique du Palais-Bourbon ».Cette cérémonie est donc l'acmé d'une ascension sociale, l'apothéose « presque » achevée d'un parvenu que rien ni personne n'arrête, comme le montre déjà l'incipit :.
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