MARX ET MARCUSE
Publié le 15/05/2020
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MARX ET MARCUSE
A première vue, Marcuse adhère à l'essentiel de la doctrine de Marx : il admet l'idée que la vie matérielle, et plusprécisément le « mode de production » économique, conditionne l'ensemble des manifestations idéologiques,morales, politiques, etc..., au sein de la société.
Il affirme que la liberté ou la non-liberté des hommes dépend endernier ressort des conditions économiques et que toute l'organisation sociale découle du « mode de production »,c'est-à-dire de la manière dont les hommes produisent leurs moyens d'existence.
A un niveau industriel déterminécorrespondra un état social déterminé, et cela indépendamment de la conscience ou de la volonté des individus, quisont strictement et intégralement soumis au déterminisme économique.Pourtant, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que les éléments essentiels de la doctrine marxiste : le rôle de latechnologie, la fonction du prolétariat, la définition de l'aliénation et des contradictions, sont profondément modifiés,à tel point qu'on peut se demander si le marxisme n'est pas seulement renouvelé, mais dépassé.
Ce n'est guère quesur le thème de la libération future que les vues de Marcuse semblent à nouveau se rapprocher de celles de Marx.Alors que Marx considère comme déterminants les rapports sociaux liés au mode de production (par exemple lesrapports ouvriers-patrons dans l'économie capitaliste), Marcuse montre que le destin de la société se décide déjà auniveau purement technologique de l'organisation du travail (par exemple l'automatisation de la production).
Certes,pour Marx, le degré de développement technologique est important puisque, dit-il, « le moulin à bras vous donnera lasociété avec le suzerain; le moulin à vapeur vous donnera la société avec le capitaliste industriel » (cité parMarcuse, p.
196).
Cependant ce sont les rapports sociaux correspondant à un niveau technologique donné quiconditionnent ce que Marx appelle les superstructures, idéologie et politique.
Le point de départ réel de l'analysemarxiste, ce sont les rapports entre les hommes dans ce phénomène collectif qu'est la production.
Car il n'y a riendans l'industrie moderne qui soit produit par des individus isolés.
Chez Marx, « c'est le mode social de production etnon la technique qui est le facteur historique fondamental », écrit Marcuse (p.
196).
En effet, si le moulin à vapeurpeut fonder une économie capitaliste, il peut tout aussi bien fonder une économie socialiste.
Dans le passage ausocialisme tel qu'il est pensé par Marx, la base technique de la société reste la même; ce qui est transformé, cesont les rapports sociaux dans la mesure où la propriété est supprimée et où l'exploitation de l'homme par l'hommeest abolie.
Or, pour Marcuse, « l'a priori technologique est un a priori politique » : la rationalité de la technologie, quiest celle de la domination de la nature et de l'homme, envahit toutes les sphères de l'existence et impose unepolitique.
La tyrannie de la bureaucratie en Union soviétique, la reconnaissance des divisions de classe en régimesocialiste reposent non pas sur une mauvaise application de la doctrine marxiste, mais sur la volonté de contrôleabsolu et d'uniformisation inhérente à la technologie.
Il n'y a donc pas de « neutralité » de la technologie, parcequ'elle est un projet qui façonne non seulement la nature, mais la culture et la politique.La libération exigera une transformation non des rapports sociaux, mais d'abord de la technologie elle-même et deses buts.
« Ce qui est recherché ici, dit Marcuse dans la Préface de L'homme unidimensionnel (p.
9),...
estdavantage et autre chose qu'une société fondée sur d'autres rapports de production ».
C'est une société fondée surune « nouvelle technologie », c'est-à-dire sur une technologie au service non pas des valeurs de répression et dedomination, mais des valeurs de paix et d'harmonie.Marcuse pose donc comme condition de ce que Marx appelle la révolution, et que lui-même préfère toujours désignercomme un « changement qualitatif », non pas la prise de pouvoir du prolétariat par la violence, mais unrenversement des valeurs plus profond que cet épisode historique.
L'essentiel en effet est que l'humanité puisse nierles valeurs de rentabilité et d'exploitation; pour le faire elle devra s'appuyer sur des valeurs de créativité, desvaleurs esthétiques.
« Les valeurs esthétiques...
sont la négation déterminée des valeurs dominantes : négation del'héroïsme, de la force provocante, de la brutalité, de la productivité accumulatrice du travail, de la violationcommerciale de la nature ».
Il s'agit d'une véritable contre-politique : refus de l'agressivité et de la concurrencebrutale, arrêt de l'expansion industrielle et de l'utilisation destructive de la nature.Mais quel est le groupe capable d'imposer à la société industrielle cette contre-politique ? Pour Marx, le prolétariatest seul porteur des ferments révolutionnaires : prenant conscience de sa force et de sa situation de classeexploitée, il s'organisera et par ses luttes triomphera finalement des exploiteurs.
Après la phase de dictature duprolétariat, s'opèrera le passage du socialisme au communisme, qui abolissant toute division de classes instaureraune société d'hommes non aliénés.
Mais pour Marcuse, on le voit, la classe ouvrière des pays les plus industrialisésest trop liée à la société d'abondance dont elle profite ou croit profiter pour former le projet de la détruire.
D'ailleursla « prise de conscience » au sens marxiste est impossible, car elle suppose la reconnaissance du conditionnementsocial et des possibilités de le dépasser.
Une telle lucidité demande que soit acquis le résultat visé.
En effet unindividu vraiment conditionné, au niveau conscient et inconscient, ne peut pas se rendre compte de sonconditionnement.
La théorie marxiste repose donc sur un « cercle vicieux ».
« Cette prise de conscience est unecondition préalable nécessaire et en même temps un élément de la pratique qui Me la société » (p.
275).
Se donnerla prise de conscience c'est déjà se donner la liberté! « Or les exigences et les intérêts de la société établie ontdéterminé la conscience au point qu'elle n'est pas libre » (p.
274).
Qui prendra le relais du prolétariat pour accomplirle grand changement? La jeunesse en comprend la nécessité, mais, souligne Marcuse, n'a pas la puissance matériellede le réaliser.
Les « héritiers historiques » de la classe ouvrière, c'est-à-dire ceux qui, une fois la complèteautomatisation atteinte, la remplaceront, - techniciens, ingénieurs, chercheurs scientifiques, - sont bien tropintégrés au système, dont ils admettent et entretiennent la rationalité.
Il reste alors ceux que la société industriellerejette ou n'a pas encore assimilés.
Mais ont-ils assez de maturité intellectuelle, assez de jugement, pour concevoiret projeter un changement tel que celui que Marcuse envisage? On imagine très bien que des hommes soumis à desconditions intolérables soient prêts à refuser un système qui les maltraite et à le détruire s'ils le peuvent.
Mais onimagine difficilement qu'ils aient suffisamment de recul pour orienter leur révolte vers l'établissement du changementqualitatif, vers l'abolition de la productivité et vers un style de vie fondé sur des « valeurs esthétiques »! Le « Grand.
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