Marguerite Yourcenar a imaginé les mémoires qu'aurait pu écrire l'empereur Hadrien (empereur romain du Ier siècle après Jésus-Christ). Il écrit :« Comme tout le monde, je n'ai à mon service que trois moyens d'évaluer l'existence humaine : l'étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus féconde des méthodes ; l'observation des hommes, qui s'arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu'ils en ont ; les livres, avec les
Publié le 15/05/2020
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Marguerite Yourcenar a imaginé les mémoires qu'aurait pu écrire l'empereur Hadrien (empereur romain du Ier siècleaprès Jésus-Christ).
Il écrit :
« Comme tout le monde, je n'ai à mon service que trois moyens d'évaluer l'existence humaine : l'étude de soi, laplus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus féconde des méthodes ; l'observation des hommes, quis'arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu'ils en ont ; les livres, avecles erreurs particulières de perspective qui naissent entre leurs lignes.
» Des trois méthodes d'évaluation proposées, vous en choisirez une et, après l'avoir comparée aux autres, vous direz ses mérites et ses insuffisances.
Les Mémoires d'Hadrien constituent un roman historique de Marguerite Yourcenar dans lequel « un pied dans l'érudition, ou plus exactement, et sans métaphore, dans cette magie sympathique qui consiste à se transporteren pensée dans l'intérieur de quelqu'un », elle raconte la vie de cet empereur romain et imagine ses pensées.
Hadrien, patricien d'origine espagnole, de culture hellénique est d'une remarquable intelligence, d'une grande luciditéet d'une culture profondément assimilée.
Aussi peut-on légitimement lui prêter cette réflexion sur la connaissance del'homme.
Hadrien distingue trois moyens : « l'étude de soi (...), l'observation des hommes (...), les livres ».
A chacun, il reconnaît défauts et qualités.
La première est « difficile, dangereuse, mais féconde », dans la seconde, l'inconvénient réside dans les hommes eux-mêmes « qui s'arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu'ils en ont ».
Enfin, les livres peuvent nous tromper par « leurs erreurs particulières de perspective ».
Quelle méthode doit-on ou peut-on préconiser pour « évaluer l'existence humaine » ?
Nous opterons pour la troisième et dernière, les livres, en la comparant aux deux autres et en dégageant ses mériteset ses insuffisances.
Quels sont les points communs et les différences entre, d'une part, les livres et, d'autre part, l'étude de soi, puisl'étude des hommes toujours dans la perspective humaine d'une « évaluation de l'existence humaine » que nous comprendrons, au moins dans un premier temps, comme un désir de connaissance de l'homme.
Les différences entre l'étude de soi et la lecture éclatent au premier coup d'oeil.
Du côté de l'introspection, il estfacile de priser une étude et une connaissance directe de soi, donc de ce qui nous touche, nous intéresse et nousconcerne au plus près.
Quoi de plus séduisant au lieu de s'éparpiller parmi une multitude de personnages de fictionqui plus est, que de se concentrer sur son seul Moi.
On est alors son propre chef au lieu de dépendre d'un auteurqui vous impose sa vision, son imagination, sa personnalité, lesquelles dépendent de surcroît de son environnementsocial, historique, géographique et culturel.
Concentration, vérité et indépendance paraissent donc les principauxavantages de « l'évaluation de l'existence humaine » conduite par l'étude de soi.
Pourtant, à les examiner de plus près, ces prétendus garants d'infaillibilité risquent de vaciller.
Quelle difficulté réside dans l'étude de soi ! Quelle volonté, quelle ténacité, quel investissement intellectuel nerequiert pas ce labeur écrasant pour un seul.
L'aide d'un auteur, de plusieurs auteurs ne serait-elle pas la bienvenue? Si l'on admet que l'artiste, de manière générale, quel que soit son domaine d'application, est doué d'une sensibilitéparticulière qui le distingue du commun des mortels, pourquoi ne pas lui faire confiance au moins pour collaboreravec nous dans cette tâche ?
Un travail de comparaison, de mise en rapports, en relations avec ce que les livres révèlent de l'existence humaineet ce que notre expérience personnelle nous permet d'avancer est très fructueux.
L'autre prétendu avantage du vrai par rapport à la fiction est également sujet à caution.
D'abord, tous les livres nesont pas des
oeuvres de fiction.
Les ouvrages de psychologie, d'histoire, de sociologie s'appuient sur la réalité et fournissent parconséquent des renseignements crédibles sur l'individu au cours des siècles et sous des cieux différents.
Au nom dequelle absurde fierté individualiste et de quelle volonté de tout rebâtir ex nihilo ignorerions-nous cette précieuse collaboration de spécialistes ? Pouvons-nous prétendre être si radicalement différents, si profondément « autres »que ces études ne puissent s'appliquer à nous ou du moins, par un système de contrepoints, nous servir de relai etd'appui ?
Enfin, même dans le cas d'oeuvres de fiction, la réalité apparaît, parce que l'écrivain le plus imaginatif est soumis àla réalité du monde ambiant.
Il n'est que de déceler les parcelles de réalité et les modalités de transfert entre Réalitéet Fantaisie dans des romans aussi déroutants que L'Écume des jours ou L'Arrache-Coeur de Boris Vian pour voir que l'oeuvre, apparemment la plus libérée du réel, s'y raccroche au point, dans ces deux oeuvres, par exemple dedénoncer par une satire très efficace des institutions comme le Travail, l'Église et l'Armée.
Inversement, la quête absolue de vérité que l'individu espère obtenir par l'introspection trouve son pendant littérairedans l'autobiographie.
Transparence, sincérité, vérité, réalité, peut-on croire.
Or, qu'en est-il ? Tous les avant-propos des oeuvres autobiographiques prêtent serment, c'est le fameux « pacte autobiographique » défini parPhilippe Lejeune.
Or, qu'en est-il dans le fait littéraire ? Chacun sait que l'écrivain d'autobiographie se heurte àmaints écueils.
Certains refusent de tout dire par parti pris esthétique comme Chateaubriand dans Les Mémoires.
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