Manon Lescaut Abbé Prévost [« Je m'arrêtai … des spectateurs »]
Publié le 02/12/2021
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C’est un extrait placé au commencement du roman, et il va nous intéresser à double titres = - Introduction, à l’action principale du roman
- Indication sur l’enjeu de l’œuvre.
Entrée du narrateur (Marquis de Renoncour – MdR) dans une mauvais hôtellerie, mais aussi entrée du lecteur dans un univers romanesque.
La rencontre entre le MdR et de Manon Lescaut (M.L.), n’est pas sans relation avec une scène qui va suivre, c'est-à-dire, la rencontre du Chevalier des Grieux (CdG) et de ML. Cette rencontre anticipe et annonce même des évènements opposés (avenir de M.L. qui doit être femme d’église lors de la rencontre avec le CdG, alors que le MdR la voit comme une catin déportée vers l’Amérique).
L’enjeux de notre analyse est donc d’étudier pourquoi nous avons ici un incipit singulier et à la fois réussit.
I / Les figures du lecteur
L’action présente 3 types de personnages, qui tour à tour vont s’intéresser à M.L. Ces 3 personnages vont refléter 3 sortes d’attitudes envers M.L., 3 façons qui vont correspondre à décrypter 3 manières de voir M.L.
L’ordre des 3 manières est tout à fait souhaité =
a) Lecture faite pas les paysans (vu comme une vulgaire putain)
b) Lecture faite pas la vieille femme
c) Lecture sensible de l’homme de qualité.
A) Le regard de la population sur M.L.
Lecture vulgaire, figurée pas l’attitude de la population de Pacy (curieuse). Ce terme est donc négatif, avec une curiosité malsaine, instinctive, qui réduit aux instincts les plus bas. La lecture est précisée pas l’archer, qui s’en fait le porte parole (« Ce n’est rien « peu d’intérêt pour la femme de joie ; « Populace curieuse « « excité « traduction du voyeurisme de la population, qui n’est intéressée que pas le scandale). On peut noter les termes péjoratifs tel que « confusion ; désordre ; tumulte … « qui traduit une excitation brouillonne, une absence de l’éducation, une grossièreté sociale. Manon est assimilée à une fille de joie, confondue avec les femmes qui l’entourent. Elle est donc juste réduite au rang de prostituée.
B) La lecture qu’en fait la vieille femme
Cette vieille femme constitue le deuxième arrêt, et tranche radicalement avec la lecture qui précède (car tragique, comme l’indique le champ lexical de tragique = « fendre le cœur « ; « criant « ; « barbare « : « horreur « ; « compassion «). La vieille femme parle de spectacle (tragédie, inspirer horreur et compassion aux spectateurs) mais ce qui frappe c’est que la vieille femme adopte une attitude théâtrale (« joignant les mains « ; « exclamations et cris «). La vieille femme annonce la tonalité tragique du roman (« barbare « qui va être employé plus tard).
C) La lecture de l’homme de qualité
Lecture plus mesurée, juste et pertinente. Avec ces lectures on peut observer une gradation des points de vue. Comparaisons ou réduction à quelque chose de connu. La lecture détache donc Manon des femmes qui l’entourent, car le MdR va percevoir une dignité naturellement chez elle (« Il y en avait une «, placée en position centrale de la phrase, qui va mettre en valeur le personnage de Manon). Il va proposer une lecture qui va au delà des apparences, qui ne s’occupe pas du contexte, des signes extérieurs (saleté), pour percevoir une personne digne. LE MdR va parler à ce moment de respect et de pitié (force l’admiration par sa majesté). Le MdR va donner par ses propos la vision que le lecteur se fait de M.L., une lecture sensible et compressible.
II / La préfiguration de la rencontre d’Amiens
• Rencontre de Pacy => MdR + M.L.
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• Mise en parallèle des 2 rencontres.
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• Rencontre d’Amiens => CdG + M.L.
Il est possible de mettre en relation la rencontre de Pacy et celle d’Amiens. Dans les deux cas, un homme rencontre une femme. Le MdR nous apparaît comme un exemple pour les lecteurs, de par sa vision la plus réaliste de M.L. C’est aussi un « double « du CdG (plus mûr, ils appartiennent tous les deux à la noblesse, et se laissent toucher pas M.L.). Pourtant les circonstances des deux rencontres sont totalement opposées, mais ils vont arriver à la même conclusion sur Manon Lescaut. Cela nous pousse donc à nous interroger sur le pouvoir de séduction de M.L. Ce qui caractérise la rencontre avec le MdR, c’est la difficulté pour accéder à M.L., contrairement à la rencontre d’Amiens. Par opposition, la rencontre du MdR se fait avec des obstacles (« perçant la foule « ; « enfin « ; « avec peine « qui insiste sur « l’inaccessibilité « du personnage de Manon.
A Pacy, la jeune fille semble ailleurs. A Amiens, on a un contexte romanesque, alors qu’à Pacy, on a une rencontre avec des détails, comme dans la vie réelle. Il y a une relation très forte pour donner des détails concrets, ce qui donne un effet d’une scène prise sur le vif (« venir « ; « conduit « ; « descendre « … de nombreux verbes de mouvements qui donne cette impression). Détails aussi sur les vêtements (archer - « bandoulière « ; la saleté du linge de Manon Lescaut) ce qui caractérise les personnages afin d’encrer une scène dans le réel ([+] les signes physiques, mouvements, archer qui fait signe, la vieille qui sort, le cheval donné au palefrenier et les chaines des prostituées.). Tout ça pour donc donner une scène qui s’inscrit dans le connut, le réel.
III) Une ouverture énigmatique
A) Le personnage de Manon
Le personnage le plus protégé de la caractérisation définitive est celui de Manon Lescaut (on ne peut pas la cerner totalement). Elle nous est d’abord apparue comme une putain (L.10), puis dans un deuxième temps, différente de ses compagnes, et pour finir le regard du MdR, qui la voit comme une personne de premier rang, et égarée de ce convoi. Ce texte nous informe dès l’incipit que le personnage central sera ainsi Manon Lescaut.
Ce qui va amener une forme d’incertitude (qui avive la curiosité du lecteur).
En 1731, Prévost avait écrit « Qu’en tout autre état, je l’eusse prise pour une princesse. « et va corriger cette phrase en 1753 pas « une personne de premier rang « (une formulation qui laisse planer un doute plus grand sur l’identité du personnage).
La Manon de Pacy annonce la Manon d’Amiens (belle et triste), avec l’expérience de la passion qui l’a fait mûrir, en effet, elle parait beaucoup plus noble qu’à ses 16 ans (on parle de « respect « à la L.28). Pour conclure sur le personnage de M.L., on peut dire qu’à sa première apparition, elle est étrangère à la situation, ses compagnes, ce qui l’entoure et à la population (excitée). Elle se tient avec une forme de distance qui lui donne une « aura « énigmatique.
B) Un début « in medias res « (en cour d’action)
Le récit début alors que nous l’avons bien entamé (M.L. est prête à partir), même au quasi dénouement. Ce qui présente des avantages au point de vue de la narration (curiosité du lecteur). Le lecteur ne va donc pas vouloir savoir ce qui va arriver, mais bien ce qu’il y a eu avant (le lecteur connaît la fin annoncée par l’archer qui indique son avenir dès le début du texte en « brisant « le suspense, « embarquées pour l’Amérique « L.11). Aucunes idées de ce qui est à l’origine de la condamnation. Pourquoi un personnage à l’allure si élevée va se retrouvée enchainée, entourée de prostituées. Pour le lecteur la question suivante se pose aussi = Est-ce qu’on peut être à la fois prostituée et appartenir au premier rang ?
Comme si M.L. été deux personnes à la fois, ce qui va être tenu tout au long du roman pour « tenir en haleine « le lecteur. Selon un point de vue moral, social, religieux, Manon apparaît comme débauchée, alors que si on prend le point de vue de l’amour et un point de vue sensible, au contraire, elle est idolâtrée.
En conclusion l’extrait retient l’attention du lecteur par l’alliance du réalisme historique et psychologique (romanesque). Sur un fond qualifié de documentaire, on voit apparaître une intrigue et des caractères romanesques. Le tableau de la déportation qui est au premier plan s’efface, et tout à coup, on s’intéresse au visage, à la beauté de Manon (qui est pudique, et mystérieuse).
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