Louis Pasteur, Conférence aux soirées scientifiques de la Sorbonne (1864), « Contre la théorie de la génération spontanée ».

« Il n'y a qu'une chose qui ne puisse pas rentrer facilement, ce sont les poussières en suspension dans l'air et la preuve quec'est bien cela, c'est que si j'agite vivement le vase deux ou trois fois, dans deux ou trois jours, il renferme des animalculeset des moisissures.

Pourquoi ? Parce que la rentrée de l'air a eu lieu brusquement et a entraîné avec lui des poussières.Et, par conséquent, Messieurs, moi aussi, pourrais-je dire en vous montrant ce liquide, j'ai pris dans l'immensité de lacréation une goutte d'eau et je l'ai prise toute pleine de la gelée féconde, c'est-à-dire, pour parler le langage de lascience, toute pleine des éléments appropriés au développement des êtres inférieurs.

Et j'attends, et j'observe et jel'interroge et je lui demande de vouloir bien recommencer pour moi la primitive création : ce serait un si beau spectacle.Mais elle est muette ! Elle est muette, depuis plusieurs années que ces expériences sont commencées.

Ah ! c'est que j'aiéloigné d'elle et que j'éloigne encore en ce moment la seule chose qu'il n'ait pas été donné à l'homme de produire, j'aiéloigné d'elle les germes qui flottent dans l'air, car la vie est le germe et le germe c'est la vie.

Jamais la doctrine de lagénération spontanée ne se relèvera du coup mortel que je lui porte. Louis Pasteur, Conférence aux soirées scientifiques de la Sorbonne (1864), « Contre la théorie de la générationspontanée ». Pour démontrer la fausseté de la théorie de la génération spontanée Pasteur fit à cette conférence le compte rendu d'uneexpérience qui utilisait deux vases à long col, contenant une infusion bouillie, puis refroidie, de matière organique : ledeuxième vase était effilé et recourbé pour éviter l'entrée des poussières, l'autre était large et tout droit.

Or seul le liquidedu deuxième ballon resta limpide.

Montrez la rigueur du raisonnement de Pasteur, étudiez le style de la démonstration etdites quelles leçons on peut tirer d'une telle expérience. INTRODUCTION Lorsque Pasteur prononça cette conférence à la Sorbonne, il avait déjà commencé une carrière scientifique importante etavait été amené à étudier particulièrement les fermentations.

Il affirmait dès 1862 que la génération spontanée n'étaitqu'une chimère, et était entré en discussion sur ce sujet avec beaucoup de savants de son temps.Dans ce texte, il veut présenter un travail méthodique et indiscutable : raisonnement rigoureux qui entraîne l'auditeur à sasuite, explication et argumentation nettes afin de souligner la valeur exemplaire d'une telle expérience. I.

LA RIGUEUR DU RAISONNEMENT Dans ce qui précède notre texte, Pasteur avait précisé les conditions de cette expérience et insisté sur le second flaconresté limpide ; dans notre premier paragraphe, il en tire des conclusions :Tout peut être dans le vase : électricité, magnétisme, mais non pas les poussières de l'air.

Donc ce sont elles seules quicontenaient les germes qui ont altéré l'infusion du vase à col ouvert.

Pasteur en donne d'ailleurs une preuvesupplémentaire, en agitant le vase à col recourbé : l'air rentre brusquement et entraîne des poussières qui altèrentl'infusion en deux ou trois jours.

Ainsi la preuve positive complète la preuve négative.Le dernier paragraphe, apparemment oratoire, souligne les aspects logiques du texte : la goutte d'eau, partie del'immensité de la création, contient tous les éléments indispensables au développement d'êtres inférieurs, mais nepossède pas le germe, source de la vie.

Donc pas de vie sans germe initial, pas de génération spontanée. II.

LE STYLE DE LA DÉMONSTRATION Pasteur a voulu se montrer démonstratif et même didactique dans le premier paragraphe : « remarquez bien...

il n'y aqu'une chose...

la preuve que c'est bien cela, c'est que...

Pourquoi? Parce que...

», ces tournures annoncent les phrasesdu maître qui tient son auditoire en haleine.

Le vocabulaire est précis, scientifiquement exact : poussières en suspens,animalcules, moisissures.

Le deuxième paragraphe se rattache très logiquement au précédent : « Et par conséquent...

» ;il a la même éloquence pressante : «J'ai pris...

j'attends...

j'observe...»; l'auteur finit par lancer un véritable défi à lacréation...

« Mais elle est muette » ; il le sait, finalement c'est l'expérience qui impose la loi définitive : le germe, c'est lavie.

La dernière phrase du texte est un cri de triomphe : « Jamais la doctrine de la génération spontanée ne se relèveradu coup mortel que je lui porte.

» III.

UNE LEÇON DE MÉTHODE Cette page de Pasteur constitue en elle-même une belle leçon de méthode scientifique : la rigueur du raisonnement y estjointe à l'exactitude de l'expérience.

L'exposition y est directe et concrète : le lecteur assiste vraiment aux opérationssuccessives.

L'expression est nette et précise, ne laissant aucune part au hasard ou à l'incertitude.Enfin la psychologie même du savant se dégage aisément du texte : après une observation attentive, un effort de rigueur,puis une éloquence qui vient du cœur, de l'enthousiasme dans la conviction, et tout à coup la lumière éclatante de la véritédémontrée, non sans cette pointe d'orgueil qui accompagne souvent la joie d'avoir raison... CONCLUSION Pasteur est un des créateurs de la biologie moderne, et on le considère comme un grand bienfaiteur de l'humanité.

En1864 il n'a accompli qu'une petite partie de son œuvre ; pourtant les pages qu'il a écrites sur la génération spontanéerévèlent toutes les qualités qui ont fait sa grandeur : précision dans l'observation, rigueur du raisonnement, applicationméthodique dans l'expérimentation, et aussi le talent dans l'expression et la vigueur de la parole, qui lui ont permis defaire triompher ses idées.. »