L'oeuvre de Junichiro Tanizaki ROMANSCHIJIN NO AI (1924) L'Amour d'un idiot
Publié le 23/05/2020
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TANIZAKI Junichirô. Romancier japonais. Né à Tôkyô le 24 juillet 1886, mort le 30 juillet 1965. Peu d’écrivains ont, autant que Tanizaki, déconcerté la critique tout au long de leur carrière. Il n’est que de relever quelques-unes des épithètes que l’on a successivement accolées à son nom : on l’a dit diabolique, charlatan, pervers sexuel, masochiste, esthète décadent, entre autres gentillesses... Ce n’est guère qu’après sa mort que l’on a fini par s’accorder sur l’étiquette de « classique », qui est peut-être la seule qui lui convienne en fin de compte, celle qu’il conservera dans l’histoire littéraire de son pays, lorsque sera enfin décantée la lie des provocations qu’il multiplia, sciemment il faut bien l’avouer, jusque dans ses derniers jours, et qui choquèrent tant ses contemporains. Né à Tôkyô, il vécut une enfance insouciante de fils de famille bourgeoise, avant d’entamer de brillantes études qui le mèneront en 1908 à la prestigieuse Université Impériale (aujourd'hui Université de Tôkyô), études qu’il devra interrompre en septembre 1910, à la suite de la ruine de son père. Mais déjà la même année, il a fait une entrée fracassante dans le monde des lettres, en publiant, dans une revue qu’il vient de fonder avec quelques condisciples, une nouvelle qui parut scandaleuse, Le Tatouage : un maître tatoueur grave sur le dos d’une belle courtisane l’image d’une monstrueuse araignée dont l’esprit s’empare de la belle, tant et si bien que l’artiste finira par tomber dans ses rets. Le style nerveux, la concision, le cynisme cruel de ce conte où le fantastique n’est qu’un symbole, étaient aussi éloignés du néo-romantisme larmoyant que du naturalisme verbeux qui se partageaient les faveurs du public au cours de la première décennie de ce siècle. Ces débuts furent salués, paradoxalement, aussi bien par Nagai Kafû, le chef de file des naturalistes, que par l’illustre médecin-romancier Mon Ogai, qui les pourfendait en qualifiant leur mouvement d’ « impudentisme ». Ce coup d’essai fut bientôt suivi par une série d’autres nouvelles, réunies en 1913 sous le titre de l’une d’elles, qui se veut significatif : Le Diable. Quelques années encore s’écoulent, pendant lesquelles notre homme se fait la main en publiant des nouvelles toujours, et quelques pièces de théâtre aussi. Les unes ou les autres subiront les foudres de la censure, qui les juge « immorales ». Mais que ne ferait-on pour défrayer la chronique? La critique, elle, s’interroge : est-il sincère, ou ne fait-il que jouer les dandies pour avoir trop lu Beaudelaire ? Une brève nouvelle lève un coin du voile : c’est La Tristesse de l’hérétique (1917), dont le héros est un jeune écrivain qui ressemble à l’auteur comme un frère. Mais peut-être n’est-ce de nouveau qu’un de ces masques dont excelle à s’affubler ce jongleur qui change de peau comme un acteur... Et voilà qu’au beau milieu de son bric-à-brac démoniaque de dépravés, de sorciers, de sirènes, on découvre une œuvre singulière, qui laisse entrevoir un Tanizaki inattendu, imprévisible, improbable : c’est Le Souvenir de ma mère (1919), récit poignant d’un rêve dans lequel lui apparut l’ombre fugace de sa mère morte. Mais la passion du théâtre, et bientôt du cinéma encore balbutiant, va l’emporter; cela commence par la traduction de L’Eventail de Lady wintermere, d’Oscar Wilde (1919); drames, comédies, scénarios se suivent, à un rythme accéléré (trois pièces pour la seule année 1922). Les sujets sont empruntés aussi bien à la vie contemporaine qu’aux thèmes classiques, dont certains le poursuivent jusqu’à l’obsession, celui de la perfidie féminine en particulier : c’est ainsi qu’il porte à l’écran (1921) L’Impure Passion d’un serpent (l’un des Contes de pluie et de lune d’Uéda Akinari), cependant qu’une de ses meilleures pièces, O. Kuni et Gohei (1922), tourne en dérision le poncif héroïque par excellence du Japon féodal, à savoir la vendetta d’honneur, en le réduisant à une banale histoire de mari trompé et d’amant bafoué par une femme qui n’est pas même un monstre. Tanizaki n’avait jusque-là guère quitté Tôkyô que pour de brefs séjours dans le Kansai (la région de Kyôto-Osaka) et un court voyage en Chine en 1918. En 1921, il s’était installé à Yokohama, où la fréquentation du milieu, pour lui fascinant, des résidents étrangers, lui fait découvrir la femme occidentale, expérience dont on retrouvera l’écho dans la plupart de ses romans postérieurs. Le tremblement de terre et la destruction de Yokohama en 1923, marquent un tournant décisif dans sa vie, et son œuvre va s’en trouver profondément modifiée. Il va, en effet, s’installer définitivement dans le Kansai qu’il ne quittera plus guère que pendant les derniers mois de la guerre, pour se réfugier à la campagne. Son premier long roman, L’Amour d’un idiot, qui paraît en 1924, synthétise en quelque sorte, en même temps qu’il la clôt, sa première période; ce récit qui, par son sujet, fait penser à La Femme et le pantin de Pierre Louÿs, réalise contre lui l’unanimité de la critique, de l’extrême droite aux « prolétariens » : personne alors ne s’avise de la signification réelle de cette histoire, scandaleuse, il est vrai, dans l’optique du temps, qui montre une femme dévergondée (une serveuse de bar, japonais certes, mais qui ressemble à Mary Pickford), dominatrice, voire exhibitionniste, en face d’un homme veule, soumis à tous ses caprices, non pas même par amour, mais par une sorte d’envoûtement purement physique, qu’il cultive précieusement; il faut bien convenir que l’extravagante scène d’amour dans la mousse de savon du bain constituait à elle seule une véritable provocation ! Pour la première fois apparaît dans la critique le terme de « masochisme » qui va rester accroché comme un grelot aux basques de Tanizaki, jusqu’à la fin de ses jours; le roman étant par surcroît écrit à la première personne, la tentation était forte de l’appliquer à l’auteur lui-même. Tanizaki, selon son habitude, ne fera rien pour dissiper l’équivoque. Il récidivera même, et les deux romans publiés en 1928, Manji et Tade kuu mushi, confirmeront cette impression au point de masquer pour un temps le changement radical intervenu dans la manière du romancier à la suite d’une découverte essentielle qu’il venait de faire au contact du Kansai, à savoir que dans la région de l’ancienne capitale, la vieille civilisation avait survécu, et que les femmes de Kyoto et d'Osaka en étaient les dépositaires. La est la source du classicisme qui de plus en plus imprégnera les œuvres de la maturité et de la vieillesse. Manji, en particulier, sera une révélation. Un écrivain né et formé dans le moderne Tokyo découvre et renouvelle sous une forme littéraire la langue des femmes d’Osaka, cette langue que parlaient les héroïnes du célèbre dramaturge Chikamatsu, et que parlent encore ces bourgeoises, ces boutiquières, héritières de dix générations de ferventes spectatrices du théâtre des marionnettes, théâtre qui leur est si familier qu’elles truffent, sans y penser, leurs discours d’expressions empruntées aux chanteurs de jôruri. Tade kuu mushi, dont le titre est un proverbe signifiant : « Tous les goûts sont dans la nature » (devenu Le Goût des orties dans la version française, par une malencontreuse retraduction de l’américain), montre un homme, qui est une fois encore le narrateur, partagé entre trois femmes, où plutôt trois types de femmes, que l’on trouve ici pour la première fois réunis dans un même récit : l’eurasienne que préfigurait déjà Naomi, sosie d’une actrice américaine, dans L’Amour d’un idiot; la petite bourgeoise, terne et sans mystère, mais qui a su s’adapter à son temps et qui se trouve parfaitement à son aise dans le Japon moderne; la beauté classique enfin, faite pour vivre dans l’ombre des maisons obscures, discrète et effacée en apparence, mais la plus redoutable de toutes. Cette dernière, le héros du roman la découvre peu à peu, comme l’auteur l’a fait sans doute lui-même, en s’initiant au théâtre des marionnettes. Un roman historique et une série d’essais publiés d’abord sous forme d’articles traduisent la fascination qu’exerce cette révélation sur le romancier. Le Dit de l’aveugle (1931), pourrait bien être le chef-d’œuvre de Tanizaki. Ecrit entièrement dans une langue étrange qui se veut une restitution du langage des femmes du Kansai à la fin du XVIe siècle, c’est un récit, fait à la première personne, par un masseur aveugle attaché autrefois à la personne d’une sœur d’Oda Nobunaga, celui-là même qui fut l’interlocuteur des jésuites espagnols. La vie de cette dame qui finit ses jours dans un donjon en flammes, avait été passablement tumultueuse, ses mariages successifs avec des ennemis provisoirement réconciliés de son frère, ressemblant d’avantage à des prises d’otage qu’à des romans d’amour. Dans cette histoire de sang et de fureur, c’est l’aveugle qui, curieusement, introduit la note érotique, lui qui ne connaît cette femme dangereuse et ses filles, toutes jeunes encore, que par la voix et le toucher. C’est à des femmes comme celles-là, certainement, que pensait Tanizaki quand dans l'Eloge de l’ombre (1933), il évoque les ténèbres qui « devaient parfois se dégager de leur corps même, de leur bouche aux dents peintes, de la pointe de leur noire chevelure, comme autant de fils d’araignée, de ces fils que crachait la maléfique Araignée-de-Terre ». Dans l'Eloge de l’ombre, le romancier passe en revue, sur un ton plaisant et avec une apparente désinvolture, les multiples problèmes que pose aux Japonais l’adoption des sciences et des techniques occidentales. Loin de les récuser, il en accepte les conséquences, tout en regrettant cependant que l’Asie n’ai pas su inventer un développement qui lui fût propre, mieux adapté à son mode de vie et surtout à son esthétique. Ce sont, en effet, les dangers que la modernisation fait courir à l’esthétique classique qui l’inquiètent le plus : de ces périls, la brutale lumière électrique qui traque la moindre parcelle d’ombre jusque dans les derniers recoins est le plus évident, et de ce fait même prend une valeur symbolique. Jamais peut-être rien de plus fort ni de plus vrai n’a-t-il été écrit sur la conception du beau dans la tradition japonaise. Mais là n’est pas le seul intérêt de VEloge de Vombre : ce petit livre est aussi une déclaration de principes, un « art poétique » qui éclaire l’œuvre tout entière de Tanizaki. Il montre que la critique tombe à faux, qui lui reproche de professer sous des dehors excentriques, une morale des plus conventionnelles; car ce n’est en aucun cas la « condition féminine » qui l’intéresse : la femme est pour lui la plus parfaite expression, le révélateur en quelque sorte de la société et des mœurs, mieux encore, elle est la vivante incarnation de son esthétique. Qu’on relise ses romans à la lumière de cette observation, et l’on verra que ses personnages féminins représentent toute la gamme des attitudes japonaises face aux bouleversements de ce siècle. De cela, deux entreprises, capitales dans l’œuvre de Tanizaki, et qui occuperont dix années de sa vie, donnent la mesure et la clé. Il va mener de front, en effet, la transposition en langue moderne du Dit du Genji , ce roman d’une dame de la Cour de l’an mille, qui passe pour contenir les meilleures portraits de femmes de toute la littérature japonaise, et aussi l’élaboration de son plus long roman, Sasame yuki, « Neige légère » (traduit en français sous le titre de Quatre sœurs), que d’aucuns ont qualifié de « Genji du XXe siècle ». Pour qui sait lire, il apparaît que si les modes de vie diffèrent du tout au tout, les modernes bourgeoises d'Osaka sont bien de la même race que les dames de Heian, et que leurs partenaires mâles, sous leur défroque d’hommes d’affaires à l’américaine, sont tout aussi faibles et désarmés devant leurs artifices que les princes ou ministres d’autrefois. La publication de ce récit, en feuilleton, au début de la guerre, avait été interrompue « sur les conseils » de la censure militaire, laquelle flairait, non sans quelque raison, une manière de provocation dans cette histoire dont les personnages affichaient une parfaite indifférence à la « mobilisation des esprits » et aux mythes de l’heure, où les événements contemporains n’étaient mentionnés que pour servir de repères chronologiques. Durant l’espace de quatre ans (et de quelles années : de 1937 à 1941 !) les sœurs Morioka ne songent, en effet, qu’à trouver un parti pour la blanche Yuki (« Neige »), une beauté classique sortie tout droit des « dits » du temps jadis; après bien des refus, elle finit par agréer les hommages d’un aristocrate de vieille souche qui habite Kyoto, mais qui est en même temps un artiste ouvert aux innovations par un long séjour à Paris. Sans doute faut-il comprendre par là que, pour apprécier à sa juste valeur la vieille esthétique, il convient, de nos jours, d’être à la fois enraciné dans la culture nationale et rompu aux techniques étrangères, sous peine de tomber dans les travers de ces Occidentaux prétentieux et jobards qui s’en vont à la recherche des prétendus* mystères de l’orient ». Tanizaki va mettre à profit ses loisirs forcés pour parachever son œuvre majeure, qui paraîtra sous la forme définitive en trois volumes, de 1946 à 1948. En même temps, il révise et polit sa version du Genji, qui dès sa nouvelle édition, parue en 1951, deviendra le best seller de l’année : grâce au romancier, des centaines de milliers de Japonais vont découvrir enfin le vieux roman que sa langue leur avait rendu inaccessible. Mais déjà le journal Mainichi commence la publication en feuilleton (achevée en mars 1950), d’un nouveau chef-d’œuvre, le plus accompli sans doute, avec le Dit de l'aveugle. C’est un roman « historique » encore, La Mère de Shigemoto le Capitaine, dont le sujet est emprunté à la littérature anecdotique du Moyen Age; l’histoire est ancienne certes, mais le thème est étemel : un jeune et brillant ministre du IXe siècle, Fujiwara no Tokihira, enlève sa jeune femme à un vieux conseiller, son propre oncle, et cela sous les yeux et avec la complicité de Heichû, un précédent amant de la belle. Sur cette trame, on ne peut plus triviale, Tanizaki se livre à ces exercices de haute virtuosité dont il a puisé le secret dans une longue familiarité avec le Genji; mais l’âge venant, l’on sent que toute la sympathie de l’auteur va désormais au vieil homme bafoué. Le roman s’achève sur une note désabusée : après la mort du ministre et de Heichû, Shigémoto, le fils du conseiller et de la dame, surprend une nuit son père qui, dans un cimetière, médite devant le cadavre en décomposition d’une jeune femme, et bien plus tard, vers la quarantaine, il reconnaîtra sa mère dans une nonne décrépite qui vit parmi les ruines du palais de son second époux. La vieillesse, l’impuissance et la mort, tels seront encore les sujets des deux dernières œuvres importantes de Junichirô Tanizaki, Kaji, « La Clé », et Le Journal d’un vieux fou. L’on ne peut croire que l’auteur, qui haïssait tout autant l’emphase que la vulgarité, ait pu approuver le titre inutilement raccrocheur de la traduction française de « La Clé » : dans une bibliographie de Tanizaki, cette Confession impudique fait l’effet d’une verrue, ou mieux, d’une de ces lampes électriques à la lumière crue qu’il dénonçait dans l'Ëloge de l’ombre, et qu’il s’était résolu à éteindre une fois pour toutes...
« L' œ uvre de Junichiro Tanizaki. »
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- Junichiro Tanizaki par René Sieffert En 1910, le jeune Tanizaki Junichiro, qui venait d'interrompre ses étudesfaute d'argent, fondait avec quelques camarades une revue littéraire danslaquelle il publiait sa première oeuvre, une courte nouvelle, intitulée leTatouage, qui déconcerta.
- Vous commenterez et discuterez ce jugement de René Pomeau en l'appliquant au texte des Liaisons dangereuses : « Ce disciple de Rousseau déteste le pathos. Ce qui lui tient à coeur, il le laisse en creux [...]. Le mot clé de l'oeuvre, c'est le cri du libertin à Danceny tenté par la carrière de l'homme à bonnes fortunes : « Ah ! croyez-moi, on n'est heureux que par l'amour ! ». Laclos a établi cette vérité par la preuve inverse. »
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