Littérature et passé culturel - Claude ROY, Défense de la littérature, 1968.
Publié le 30/06/2020
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« On voit des auteurs qui font de très beaux livres pour nous dire qu'il faut se méfier des livres, les jeter au feu et préférer la vivante Vie, la Vie mangée crue sans sel et sans poivre, aux illusions pâlies et moroses de la littérature. Whitman, Nietzsche, Gide, D. H. Lawrence se sont assis à une table pour nous dire qu'il était très malsain de rester assis à une table, et ils ont fait imprimer d'éloquentes déclamations contre les hommes qui se nourrissent d'imprimés au lieu de se nourrir de chair fraîche. Les gens dont le plaisir et le métier est de faire de la littérature nous expliquent parfois, très gravement, qu'il y a une chose dont ils ont horreur par-dessus, tout, c'est la littérature. Le papier souffre tout, et notamment qu'on dise du mal du papier. Mais il y a quelque chose d'un peu comique dans ces écrits qui prétendent nous dégoûter des écrits, comme dans les systèmes savamment abstraits qui veulent nous démontrer que toute abstraction est mensongère. Pourtant on n'a pas envie de sourire quand Pascal oppose aux artifices de la rhétorique ce qu'il nomme « le style naturel : on est tout étonné et ravi, car on s'attendait de voir un auteur, et on trouve un homme ». La culture n'est véritable que lorsqu'elle permet de « trouver un homme», que lorsqu'elle est un des moyens d'établir la communication. Certains voudraient que celle-ci ne puisse s'établir qu'avec ceux qui sont les habitants d'un même temps. Ils affirment volontiers leur ennui des classiques, leur dédain des précurseurs, et leur ignorance des émules. Ils se veulent intacts, vierges, toujours à eux-mêmes naissant, préservés d'influences, originels, originaux. Ils entretiennent jalousement en eux le culte attentif de la table rase. Ils ne veulent rien devoir à personne. Comme les frileux ont peur des courants d'air, ils craignent les courants d'esprit, les précédents ou les parallèles. Ils vivent dans l'appréhension d'une contagion qui menacerait leur personnalité, d'une irruption d'autrui qui les contaminerait. Ceux-là ne relisent pas. Ils ne lisent pas non plus. Ils ne consentent à se servir de la table de multiplication que s'ils l'ont d'abord inventée. C'est une étrange folie. Le commerce suivi de quelques vivants que je crois proches du génie (et probablement plus que proches) me persuade que cette culture de l'ignorance est une niaiserie. Il n'est pas nécessaire d'ignorer pour entreprendre, ni de méconnaître les autres pour persévérer dans son être. C'est probablement même tout le contraire, et André Malraux a raison : « selon les biographies légendaires, Cimabue (1) admire Giotto (2) berger qui dessine des moutons; selon les biographies véridiques, ce ne sont pas les moutons qui donnent aux Giotto l'amour de la peinture, ce sont précisément les tableaux de Cimabue. » Personne ne naît de la dernière pluie. On naît des autres hommes. Des morte. Et des vivants. Claude ROY, Défense de la littérature, 1968. Vous ferez de ce texte un résumé ou une analyse, en indiquant clairement votre choix. Dans une seconde partie, que vous intitulerez discussion, vous dégagerez du texte un problème qui offre une réelle consistance et qui vous aura intéressé. Vous en préciserez soigneusement les données et vous exposerez vos vues personnelles sous la forme d'une argumentation ordonnée, menant à une conclusion. ...»
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