L'excipit du Père Goriot. Commentaire

« L'excipit du Père Goriot est différent de son très connu incipit : pas de description visant à renseigner sur la valeur des personnages, qui est maintenant connue.

Ce passage pose tous les problèmes de l'excipit d'un roman : il décrit un enterrement, ce qui soulève les questions sur la correspondance entre mort du personnage et mort du texte; le roman lui-même s'inscrit dans une série beaucoup plus vaste, ce qui amène à se demander en quelle mesure cette fin est aussi un début; et il ne faut pas oublier l'ambition de Balzac de décrire une société en en mettant à jour les ressorts; on peut se demander si ce projet d'enquête sociologique est mené à bout dans cette fin de texte. I.

La conclusion d'une réflexion sociale : l'arrière-plan social du récit - Mention de l'argent sous-entendue partout : les "soixante-dix francs" qui n'assurent qu'une pauvre cérémonie, le pourboire exigé qui fait apparaître maigres ressources de Rastignac.

L'argent est à la fois omniprésent et manquant.

Le rôle moteur de l'argent est sensible dans l'expression : "la courte prière due au bonhomme pour l'argent de l'étudiant" : mise en relation étroite de l'argent avec la religion.

La pression se fait sentir dans les sonorités répétitives de l'expression : "pour l'argent de l'étudiant". - Autre pression : celle du temps, qui n'est perceptible que dans le monde des pauvres : "Le service dura vingt minutes" , le curé demande de ne pas s'attarder au motif qu' "il est cinq heures et demie", "à six heures..." Quand Rastignac regarde le Paris du "beau monde", les indices temporels sont plus flous et ont une valeur esthétique : "où commençaient à briller les lumières".

Dans le monde des pauvres, tout est compté et rationné. - Opposition entre la valeur sociale et la valeur morale : l'auteur oppose, d'une part, la pauvreté et la générosité morale de Rastignac et de Christophe.

Rastignac paie l'enterrement, et pleure devant la tombe avec "les saintes émotions d'un coeur pur".

Le père Goriot lui-même s'est sacrifié pour ses filles.

Et d'autre part, la richesse et l'égoïsme des deux filles : elles sont représentées par "des voitures armoriées, mais vides" qui les représentent mieux qu'elles ne le pensent : elles sont riches, mais ont le coeur vide. II.

L'aboutissement du récit - Mort effective du personnage éponyme : "le corps du Père Goriot fut descendu dans sa fosse", sur une tonalité mineure qui évoque la tristesse et la mort : "dans un accès d'horrible tristesse".

Goriot n'est plus évoqué que par la mention de ses restes : "le corps, le corps, sa fosse, la bière, la tombe". - Le texte s'épuise dans des détails de plus en plus infimes : "soixante-dix francs, vingt minutes, une seule voiture de deuil, courte prière, quelques pelletées de terre, vingt sous, "ce fait, si léger", sa dernière larme".

La mort du personnage est ainsi rapprochée de la mort du texte, figurée peut-être aussi par la phrase à double sens du curé : "il n'y a point de suite".

Le ton du texte pour parler de l'enterrement est toujours neutre : les personnages sont mentionnés de manière impersonnelle "...aussitôt que fut dire la courte prière due au bonhomme pour l'argent de l'étudiant ". - Mort symbolique de Rastignac : atmosphère de mort et de tristesse ambiante "un accès d'horrible tristesse".

Le verbe "déterminer" dans "détermina Rastignac" suppose un changement interne au personnage.

L'enterrement du Père Goriot se confond avec l'enterrement de l'innocence de R : "il regarda la tombe et y ensevelit sa dernière larme de jeune homme".

Cette action est directement mise en rapport avec le ciel : "rejaillissent jusque dans les cieux", puis R regarde les nuages : imitant ainsi le mouvement de l'âme qui va de sous la terre aux cieux.. »