Lettres persanes [Montesquieu] - Fiche de lecture.
Publié le 18/05/2020
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1 PRÉSENTATION
Lettres persanes [Montesquieu] , roman épistolaire de Montesquieu, publié sans nom d’auteur en 1721, l’un des textes fondateurs de la littérature et de la pensée des Lumières.
2 LA FRANCE DU XVIII E SIÈCLE VUE PAR DEUX VOYAGEURS PERSANS OU LA RELATIVITÉ DES MŒURS AU SERVICE DE LA CRITIQUE
Mars 1711.
Usbek, riche Persan d’Ispahan, homme cultivé et possesseur d’un important sérail, décide, pour parfaire ses connaissances, de faire un voyage en Europe.
Accompagné d’un ami plus jeune et sans attaches, Rica, il met près de quatorze
mois à traverser la Turquie, puis la Méditerranée, et arrive à Paris en mai 1712.
Le lecteur n’est averti des péripéties du voyage, puis des modalités du séjour (qui durera huit ans et demi) que par l’intermédiaire des lettres (161 en tout, datées de
1711 à 1720) que les deux Persans échangent entre eux ou avec leurs compatriotes, soit restés en Orient (femmes et eunuques du sérail d’Usbek, amis, dignitaires musulmans) soit eux-mêmes en résidence à Livourne, à Venise, en Moscovie.
Il
épouse ainsi le regard que des gens intelligents et curieux, mais non avertis, peuvent jeter sur tout ce qui lui semblait aller de soi : mœurs, coutumes, opinions, hiérarchies ; et il prend conscience de leur caractère relatif, arbitraire, convenu,
discutable, voire ridicule.
Comme Usbek est surtout préoccupé de théorie politique (il cherche à savoir quel est le meilleur gouvernement possible) et Rica de curiosités pratiques (il regarde vivre les Français et trouve de quoi s’étonner), l’orientation générale du roman est
double : satirique et cocasse d’une part, et d’autre part réflexive et théorique.
Double aussi l’intrigue, puisque, pendant cette longue absence du maître, le sérail d’Usbek connaît bien des vicissitudes ; ainsi la correspondance qui part de France nous
met au fait des découvertes des deux voyageurs et des questions qu’elles leur posent, et celle qui vient de Perse nous fait assister aux efforts vains que, de loin, Usbek déploie pour maintenir l’ordre parmi ses femmes et l’obéissance parmi ses
eunuques.
Une double catastrophe clôt l’ouvrage : à Paris, c’est l’effondrement du « Système » bancaire de Law qui ruine l’économie, démoralise la société, compromet la remise en ordre politique entreprise par le Régent depuis 1715 ; à Ispahan,
c’est la trahison de la favorite Roxane qui met le comble au désordre.
Elle a le dernier mot du livre, annonçant à Usbek qu’elle a fait de son sérail un bain de sang, qu’elle se tue elle-même, et qu’elle reste à jamais ce qu’elle a toujours été en face de
lui : libre.
3 ROMAN ET PHILOSOPHIE : UNE ŒUVRE EMBLÉMATIQUE DES LUMIÈRES
L’extraordinaire succès remporté par le livre à sa publication, sa valeur de référence acquise depuis, sont dus à deux caractéristiques à première vue contradictoires : la verve sautillante de la revue drolatique qui fait défiler, sous l’œil amusé des
Persans, individus, types et institutions de la société française, mille et une folies, inconséquences et inepties ; le caractère sérieux et philosophiquement armé de l’enquête politique (négativité des principes du despotisme, nécessaire laïcisation de la
dimension religieuse, nouvelles finalités : équilibre des pouvoirs, progression démographique, liberté individuelle).
Il faut dire que, pour la première fois en France, on présentait la question du gouvernement comme susceptible d’une approche
rationnelle, non plus théologique mais scientifique.
C’est déjà, si l’on veut, la démarche qui sera celle de De l’esprit des lois, vingt-sept ans après (1748).
La critique s’est partagée sur la part qu’il fallait faire, dans cette œuvre, à la fantaisie romanesque et à l’élaboration idéologique.
Montesquieu a lui-même suggéré qu’une « chaîne secrète » reliait ces deux dimensions.
Il est certain que ce jeune auteur
de trente-deux ans a trouvé la formule idéale pour faire valoir ensemble le plaisir du jeu de massacre et l’intérêt d’un questionnement patient, méthodique, documenté sur ce que l’on peut appeler aujourd’hui, après Montesquieu et grâce à lui, une
sociologie politique.
L’exemple le plus célèbre de cette formule — qui devait rester, avec les Provinciales de Pascal et les meilleures pages de Voltaire, l’un des modèles légendaires de la grande prose française — est l’apologue des Troglodytes
qu’Usbek conte à son ami Mirza dans les lettres XI à XIV.
Sous les dehors légers de la fable on y trouve la démarche expérimentale complète d’un peuple qui, après avoir éprouvé les méfaits de la violence anarchique, connaît les bienfaits de la
fraternité et du partage « républicains », puis se laisse aller, par manque d’énergie morale, à souhaiter un pouvoir monarchique.
L’apologue d’Usbek nous laisse au seuil de ce dernier essai, dont ceux qui avaient connu les dernières années du règne
de Louis XIV pouvaient juger les résultats.
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