LETTRES PERSANES - 147 À 161: LE DRAME DU SÉRAIL (Montesquieu)
Publié le 15/05/2020
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LETTRES PERSANES - 147 À 161: LE DRAME DU SÉRAIL (Montesquieu)
RÉSUME
Son grand eunuque apprend à Usbek le 1er septembre 1717 les égarements de ses épouses: Zélis s'est dévoilée à lamosquée, Zachi couche avec une de ses esclaves, un jeune garçon a été trouvé dans le jardin du sérail (Lettre 147).
En réponse, le 11 février 1718, Usbek lui ordonne de sévir (Lettre 148).
Mais le grand eunuque meurt et son successeur Narsit paraît dépassé (Lettre 149), malgré les ordres menaçants qu'il reçoit (Lettre 150).
Le confident du grand eunuque décédé, Solim, confirme le 6 mai 1719 tous les soupçons d'Usbek; le désordre règne au sérail etles épouses, sauf Roxane, reçoivent des hommes dans une maison de campagne (Lettre 151).
L'incompétence de Narsit éclate dans une lettre datée du même jour (Lettre 152).
Usbek, le 6 octobre 1719, confie à Solim les pleins pouvoirs pour sévir et le venger (Lettre 153), annonce à ses femmes la terreur qui va s'appesantir sur elles (Lettre 154) et annonce à son ami Nessir que, malgré le danger que ses ennemis politiques font planer sur lui, il va rentrer à Ispahan poussé par une jalousie incoercible.
Il laisse Rica à Paris (Lettre 155).
Successivement Roxane (Lettre 156), Zachi (Lettre 157) et Zélis (Lettre 158), se plaignent de la sauvage répression qui s'abat sur le harem: «Qu'un eunuque barbare porte sur moi ses viles mains, il agit par votre ordre.
C'est le tyran qui m'outrage, et nonpas celui qui exerce la tyrannie.» Nouveau coup de théâtre: le 8 mai 1720, Solim apprend à son maître la trahison deRoxane, l'épouse préférée, «surprise dans les bras d'un jeune homme» (Lettre 159) et annonce qu'il va exterminer le crime (Lettre 160); le même jour Roxane devance l'exécution et s'empoisonne, crie sa haine à Usbek et en mourant revendique son droit à la liberté (Lettre 161).
COMMENTAIRE
Les effets de l'anachronisme épistolaire
Les quinze dernières lettres rompent avec la chronologie globale du roman : elles s'enchaînent parfaitemententre elles, compte tenu du délai d'acheminement du courrier (environ cinq mois et demi en moyenne) entreIspahan et Paris, et introduisent un effet rétrospectif de contraste.
Le début du roman présentait les personnages du drame, les eunuques, les femmes ainsi que les traits essentiels d'Usbek, sa curiositéuniverselle, sa nostalgie et les périls politiques montant à Ispahan contre lui.
Les quinze lettres finalescloturent symétriquement ce début du roman : Usbek est devenu encore plus ignorant, son amour s'est changé en haine, son éloignement rendu nécessaire par son exigence éthique de vertu aboutit à un retourescorté de violence et de despotisme.
La rupture avec la loi de succession temporelle n'est pas moins significative dans la fin du roman : les quinzedernières lettres négligent la vraisemblance, l'auteur trompant volontairement le lecteur et revenant trois ansen arrière.
La lettre 146 était datée du 11 novembre 1720 et la lettre 147 est écrite le ler septembre 1717 parle grand eunuque pour annoncer les désordres qui se sont produits au sérail : elle aurait dû se situer entre leslettres 104 et 105.
L'auteur renonce à l'ordre qu'il avait jusqu'ici observé parce que la mise en place des quinzedernières lettres aurait bousculé la fiction en contraignant Usbek à précipiter son retour.
L'isolement du drame au sérail permet à Usbek de continuer à raisonner en philosophe jusqu'à la lettre 146.
La fracture avec la chronologie ainsi que la simultanéité entre cette lettre 146 et l'arrivée de la dernière lettredu roman (Lettre 161 du 8 mai 1720) où l'épouse préférée révèle sa haine à son tyran permettent derapprocher le désastre de Law et le désastre d'Usbek.
Le roman s'achève ainsi sur une concordance entre la dernière lettre du cycle occidental et la dernière lettre du cycle oriental amorçant toutes deux unéchec catastrophique.
L'anachronisme revêt enfin une fonction dramatique : les désordres du sérail prennent une acuité croissante en
relation avec l'écart temporel séparant chaque lettre de l'autre et la fin tragique de l'intrigue orientale est à la foisétalée sur trois ans et fortement concentrée : « La vitesse de la lecture, observe Jean Goldzink, nie le délai deséchanges épistolaires (un an entre l'envoi d'une lettre et la réponse) et transforme en crise accélérée le lentscénario de la chute du sérail.
» Les anachronismes chronologiques dynamisent et dramatisent le système épistolaire.
Le bilan tragique d'Usbek
Dans sa dernière lettre (Lettre 155), Usbek annonce à son ami Nessir son retour à Ispahan.
Sa réflexionrétrospective traduit l'évolution du personnage vers le tragique : alors qu'au début du roman ses sentiments nostalgiques étaient estompés par sa curiosité pour les réalités occidentales, le drame s'abat soudain sur le héros etsa sérénité philosophique cède la place à une tourmente passionnelle.
Les confidences d'Usbek sont construites comme un monologue tragique.
Le héros est déchiré entre des souhaits contradictoires : le désir de savoir la vérité sur son sérail et la crainte d'être exactement informé, l'envie de se venger et l'inquiétude d'avoir à le faire, la volonté de retrouver ses épouses et la certitude d'en être séparépar la jalousie, la nostalgie qui le rappelle à Ispahan (« Heureux celui qui...
ne connaît d'autre terre que celle qui lui adonné le jour ») et la résignation à la fatalité (« Je vais rapporter ma tête à mes ennemis »).
L'atmosphère est cellede la tra-gédie et le vocabulaire celui de Racine (deuil affreux, l'horreur, la nuit, l'épouvante, un tigre...).
EnfinMontesquieu entretient le doute, conforme au pathétique tragique : on n'a pas encore la preuve que les épouses.
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