Lettre de Paris

« Paris, le 15 août 1722.    Monsieur,         Dieu qui peut tout, a permis dans sa très Sainte Bonté de me maintenir en vie, et jusqu'à présent, j'en ignorais la raison, je me contentais d'entretenir mon âme dans mon corps débile.

Mais maintenant, je sais pourquoi je ne suis pas encore en sa divine lumière : il fallait que je constate, par moi-même, la déchéance de ses enseignements.       Quoi, Monsieur, bien qu'étant né dans une respectable famille, vous méprisez les préceptes de Notre Seigneur Jésus Christ et livrez aux mains innocentes de vos frères et soeurs, un roman tellement impie que Lucifer en personne ne le désavouerait pas ? Vous donnez les rôles principaux de ce que vous prenez, fort inconsidérément, pour une oeuvre, à un duo d'hérétiques, de païens adorateurs de cet abominable Mahomet et qui osent profaner le Saint nom de Notre Seigneur Jésus Christ dans un livre qu'ils disent, ô les téméraires, être sacré ?        Je lis dans votre jeu, Monsieur, vous m'êtes transparent ! Me pensiez-vous sénile au point de ne pas avoir reconnu vos amitiés jansénistes dans la lettre XXIX ? Vous eussiez-vous contenté de cela, jamais je ne vous eusse pardonné ! Mais vos fautes se révèlent pires.

Comment, Monsieur, osez-vous railler à ce point notre très Saint Père ? Lui, dont la bonté, la piété et la compassion sont incommensurables, le traiter de « magicien », de « vieille idole » ! Et la jeunesse, Monsieur, avez-vous pensé à elle en permettant l'impression d'un ouvrage qui exploite, que Dieu m'absolve d'en écrire le nom souillé, toutes les facettes du harem ? Quelles idées impures. »