Lettre de Monsieur de Pompone, de Mme de Sévigné.
Publié le 15/05/2020
Extrait du document
«
Lettre de Monsieur de Pompone, de Mme de Sévigné.
Texte.
Il faut que je vous conte une petite historiette, qui est très vraie, et qui vous divertira.
Le Roi se mêle depuis peude faire des vers; MM.
de Saint-Aignan et Dangeau lui apprennent comme il faut s'y prendre.
Il fit Vautre jour unpetit madrigal que lui-même ne trouva pas fort joli.
Un malin, il dit au maréchal de Gramont : « Monsieur le maréchal,je vous prie, lisez ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si impertinent.
Parce qu'on sait quedepuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons.
» Le maréchal après avoir lu dit au Roi : « Sire,Votre Majesté juge divinement bien de toutes choses : il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal quej'aie jamais lu.
» Le Roi se mit à rire et lui dit : « N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat? — Sire, il n'y apas moyen de lui donner un autre nom — Oh bien! dit le Roi, je suis ravi que vous m'en ayez parlé si bonnement ;c'est moi qui l'ai fait — Ah! Sire, quelle trahison! Que Votre Majesté me le rende; je l'ai lu brusquement — Non,Monsieur le Maréchal : les premiers sentiments sont toujours les plus naturels.
» Le Roi a fort ri de celle folie, et toutle monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan.
Pour moi, qui aimetoujours à faire des réflexions, je voudrais que le Roi en fît là-dessus, et qu'il jugeât par là combien il est loin deconnaître jamais la vérité.
Commentaire.
Les circonstances :
Dans le siècle autoritaire et brillant qui fut celui de Louis XIV, la Cour forme un milieu fermé qui a ses coutumes, sonlangage, et où le roi et les grands seigneurs constituent, même dans les menus événements de leur vie, des centresd'intérêt autour desquels tout gravite, et qui sont commentés avec une ardeur passionnée.
Madame de Sévigné,dans ses lettres qui sont une chronique mondaine substantielle, permet à ceux que les circonstances tiennentéloignés de Paris de ne pas perdre le contact avec un monde qui est une sorte de point d'optique.
L'impression d'ensemble :
Il s'agit d'un épisode de la vie de cour, que Madame de Sévigné fait revivre.
Le ton y est remarquable parl'enjouement malicieux, la clairvoyance spirituelle, qui vont de pair avec l'objectivité et la dignité par lesquelles cetévénement, mince en soi, dépasse l'importance d'un fait divers.
Madame de Sévigné y apparaît peintre de mœurs etde caractères, quand elle met en lumière la pantomine servile des courtisans, le conformisme aveugle aux désirs duroi, la clairvoyance narquoise de ce dernier, l'affolement du flatteur, qui essaie de rétablir une situation perdue pardes arguments d'une insigne gaucherie.
La composition :
Elle se caractérise par l'abandon de la composition capricieuse par bonds et circonlocutions, qui individualisecertaines lettres où Madame de Sévigné se livre à la fantaisie, ou au plaisir de mystifier.
Nous trouvons, dansl'enchaînement des faits, une logique rigoureuse, mais sans raideur, qui reproduit le mouvement même de la vie, etdonne une impression de vérité.
Explication littérale :
« Il faut que je vous conte une petite historiette qui est très vraie, et qui vous divertira.
»
Madame de Sévigné insiste d'emblée sur la nécessité de ne pas passer sous silence un événement menu, maispiquant; elle corrige ce que le mot « historiette » implique de fantaisie par l'épithète « vraie », à qui l'adverbe donneun caractère d'incontestable sérieux.
Le mot « divertira » prépare le sourire, crée la détente, et met déjà le lecteuren état de réceptivité et d'amicale sympathie.
« Le roi se mêle depuis peu de faire des vers.
Messieurs de Saint-Aignan et Dangeau lui indiquent comme il s'y fautprendre.
»
Avec un tact enjoué, Madame de Sévigné souligne ce que peut avoir d'innocemment déplacé cet engouement, et yvoit un dilettantisme raffiné de monarque qui juge bon d'essayer ses talents dans les petits vers, autant pour seconformer à la mode que par véritable appétence intellectuelle et poétique; celle-ci sera peut-être susceptibled'accroître encore le prestige d'une personnalité déjà rayonnante.
Avec une nuance de scepticisme gentimentespiègle, Madame de Sévigné met doucement en relief l'indigence de l'inspiration : le roi ne sera pas un poète, maisun versificateur, adroit ou maladroit; on le met au courant des finesses du métier.
« Il fit l'autre jour un petit madrigal que lui-même ne trouva pas trop joli.
»
Conscient du caractère limité de ses talents, le roi a fixé son choix sur un genre littéraire dépourvu de prétention, etaspirant tout au plus à présenter un bouquet de compliments en troussant agréablement un madrigal; mais il n'a puse dissimuler la maladresse de ce premier essai littéraire.
Il se promet peut-être, à titre compensatoire, de s'offrir un.
»
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