L'esprit de la liturgie dans la pensée de R. Guardini
Publié le 15/10/2022
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L’ESPRIT DE LA LITURGIE
dans la pensée de R.
Guardini
Cours de Liturgie – Sr Barbara, OCSO
chapitre I : la prière liturgique
La Liturgie n’est pas un ensemble de formules à respecter scrupuleusement, elle ne
concerne pas seulement l’individu : elle englobe toute l’Église, l’univers, la société.
(J.
Ratzinger, l’Esprit de la liturgie.
2000)
Plutôt que dire « prière liturgique » il faudrait l’appeler « action liturgique », car sa
racine est l’action sacrée.
Surtout à la Messe, puisque les prières de la Messe
s’appuient sur l’action sacrée du Christ
Dans la prière personnelle, l’individu, est seul avec Dieu et avec lui-même.
La
prière
liturgique
est
portée
sur
l’ensemble
ds
fidèles.
L’une dit « moi ».
L’autre dit « nous ».
Ce « nous » signifie plus que la somme des individus : sa valeur existe parce que
telle est la volonté de Dieu, et embrasse l’humanité.
La Communauté est fondée par le Christ, naît à la Pentecôte, est héritière de la
mission du Christ.
Elle a autorité sur les individus et sur la collectivité.
L’Église est l’univers sanctifié.
Cette Eglise parle et agit dans la liturgie.
Donc, l’individu, en Eglise, s’échappe de sa solitude et devient membre d’un tout
plus grand.
La Liturgie ne prévoit pas de liberté individuelle.
Elle ne veut rien « obtenir », mais seulement exister devant Dieu, respirer et
s’épanouir devant Lui dans l’amour et la louange.
Et là elle est libre !
Plus que la prière individuelle, la prière liturgique est un « service » où tout y est
réglé jusque dans les détails.
Le centre de gravité est l’action sacrée.
L’Église n’est pas seulement l’union de la foi et de la charité, elle n’est pas l’Eglise
de l’Esprit » : elle est incarnée et visible dans l’histoire , responsable de faire vivre le
Seigneur Transfiguré.
Il y a certainement la réflexion, les résolutions, les options
personnelles, mais aussi des actions déterminées.
L’homme moderne ne veut que parler, juger, penser et écouter, mais cela ne suffit
pas.
Il risque d’atrophier ses forces spirituelles.
Il doit réapprendre à contempler les
figures symboliques et en le contemplant, à le comprendre, sans se demander à
chaque geste « pourquoi ? » « Quel est le sens de cela ? »
(R.
Guardini, Initiation à la Prière, 1943)
La Nature et la Grâce ne font rien gratis : elles ont des lois qui leur sont
propres.
Santé, croissance, enrichissement spirituel – naturel ou surnaturel –
tout est soumis à des conditions précises.
Ce sont des lois qui peuvent être
transgressées exceptionnellement (une émotion, une douleur, une détresse),
mais leur méconnaissance ne va pas sans danger : comme les fonctions du
corps s’atrophient si les conditions de leur croissance dont violées, ainsi y
va-t-il de l’esprit et de la religion, qui peut perdre sa santé, sa force et son
unité, si ses lois intérieures sont méconnues.
Le but premier propre de la Liturgie n’est pas le culte à Dieu par l’individu,
mais par la personne liturgique, qu’est l’union de la communauté croyante,
c’est quelque chose qui dépasse la simple addition numérique des individus.
La Liturgie est le culte public et officiel de l’Église.
Elle est exercée et
réglée par des ministres choisis par elle, les prêtres, et c’est capital de
comprendre cette essence objective de la Liturgie, car nous nous trouvons en
face du concept catholique du culte collectif, qui diffère nettement de la
conception protestante qui, elle, vise avant tout l’individu.
La pensée (dogmatique) a une place importante dans la prière .
La liturgie
est la demeure de la lex orandi, c’est-à-dire, la norme d’après laquelle toutes
les autres vies spirituelles peuvent reconnaître leurs déviations ,et retrouver
la via ordinaria.
Il y a une chose que la Liturgie nous apprend avant tout :
que la pensée est le support nécessaire de toute prière collective.
J’explique.
La prière liturgique est dominée et vivifiée par les dogmes qui sont contenus
dans les oraisons du dimanche, par exemple, pleines de richesse, de
limpidité de la pensée.
C’est là que la lex orandi est en même temps lex
credendi : tout le trésor intellectuel de la révélation est là.
La prière qui se répète souvent, devra, en général, faire les comptes avec les
différences des jours, des états d’âme.
Si sa composante fondamentale est
d’ordre sentimental, le danger d’un individualisme risque de la rendre
inutilisable, parce que subjective.
La pensée, par contre, a le privilège d’être une valeur universelle, car – si
elle est vraie pensée – elle demeure toujours égale à elle-même.
Donc, la condition de toute prière collective est d’être dominée par la pensée
et non par le sentiment.
Il en découle et des conséquences : si une prière a comme base exclusive une
vérité particulière de la Révélation, finira tôt ou tard, par ne plus satisfaire le
cœur.
Une prière qui comble vraiment le besoin spirituel, doit savoir toujours
contenir toute la vérité dogmatique.
(Se fixer uniquement sur la Miséricorde
de Dieu, par exemple, sans considérer aussi la Majesté et la Justice du
Créateur, ne suffirait pas à satisfaire une vie intérieure).
La prière doit
intégrer la totalité du dogme : Dieu, unique et trinitaire, Dieu Créateur, Dieu
Providence, Tout puissant, Rédempteur,…
La fécondité de la prière collective est justement l’incorporation dans la
plénitude de l’enseignement divin.
Une prière collective est féconde si elle ne s’enferme pas dans une partie
de la vérité révélée.
Elle ne doit pas être froidement intellectuelle, mais
avoir la chaleur de l’affection et du sentiment, comme les psaumes (le
Miserere, par exemple)
Les émotions et les sentiments justes de la liturgie seront toujours simples et
essentiels, ils s’exprimeront avec la clarté des psaumes dans le sens de
l’adoration, de la crainte, du remords, de l’amour, de la confiance, de la foi.
Et avec pudeur , sans étaler ni exhiber tous les secrets du cœur.
Ce n’est pas
bon de traîner au plein jour ce qui doit rester secret.
La prière liturgique doit avoir un substrat éthique, fait de sentiments moraux
comme le désir de justice, le remord pour le mal commis, l’esprit de
sacrifice, qui peuvent aboutir à résolutions morales.
Mais la liturgie ne les
impose pas.
Elle les exige là où elles sont essentielles et fondamentales,
comme pour les vœux du sacrement de l’Ordre.
Dans le quotidien, elle
s’impose avec réserve, tout au plus sous la forme de la demande à Dieu
d’être un jour digne de posséder des sentiments moraux.
La forme-type de la prière collective est celle des communautés, où la
première chose exigée est la participation active, vivante, du cœur et de
l’esprit, car ce n’est pas une activité seulement intérieure.
Dans la prière
rythmée où les deux chœurs alternés se répondent et où chacun sait que de sa
participation dépend la marche de l’Office.
La place de la Nature et de la Culture dans la prière.
La voix de la Nature est
forte dans les psaumes, et là on trouve une humanité vraie, non idéalisée.
Mais la liturgie s’atteste aussi de Culture, comme sagesse des textes,
architecture de l’année liturgique, … : c’est un enseignement pour la vie
spirituelle, car tous les trésors du savoir humain sont au service de la prière.
La Culture, en soi, ne crée pas une religion, mais lui donne les moyens de
s’exprimer, de distinguer l’essentiel de l’accessoire.
L’Église insiste sur
l « UNUM NECESSARIUM », mais elle tient à ce que la vie spirituelle
demeure imprégnée du sel de la vraie culture.
En même temps, cependant,
la vie spirituelle exige le substrat de la Nature : si le fond noble de la Culture
vient à manquer, la spiritualité se desséchera ; si la base de la Nature est
supprimé, la spiritualité ne sera plus sincère et finira par être stérile.
L’absence des deux (Culture et Nature) produit la Barbarie et la grossièreté .
La prière liturgique sera donc doit être saine, simple, forte et riche de pensée
d’images, limpide dans le langage, transparente, accessible aux simples
comme à l’homme cultivé.
La grâce suppose la nature !
Chapitre II : Communauté liturgique
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La Liturgie ne dit pas « Je », mais « Nous » : ce n’est pas l’individu qui sert
de support, mais l’ensemble des croyants.
Le « moi » de la liturgie n’est la somme des êtres, mais l’ensemble, l’unité,
l’EGLISE
L’Église se compose de fidèles, mais elle est plus que cela, parce que c’est la
puissance du Christ qui fait l’unité.
Dans la liturgie, le croyant ne se voit pas seul devant Dieu, mais en qualité
de membre d’un Corps.
S’il vit activement la, liturgie, il sait qu’il prie et
agit comme membre de l’Église, et que l’Eglise, à son tour, prit et agit en lui
Deux choses lui sont demandée en tant qu’individu : le sacrifice (il devra
renoncer à ce qui n’est que personnel et qui exclut les autres ; à son
autonomie et à son indépendance) et la contribution active (on lui demande
de faire sien le contenu de la Communauté, avec ses règles, ses gestes, ses
devoirs, ses prescriptions)
L’individu que je suis doit abandonner son droit à disposer de lui-même.
Il
devra obéir à des dispositions (rang, posture, gestes communs).
Il devra
adresser des requêtes qui ne l’intéressent pas directement, peut être, et faire
siennes des demandes qui lui sont distantes, s’associer à des rites dont
quelques fois il ne comprend pas le sens.
: c’est l’esprit de Communauté qui
exige cela
Et cela c’est l’humilité sous deux formes : le sacrifice et l’action.
On a à faire à des êtres concrets, et parmi eux les indifférents, les
antipathiques, ceux qu’on déteste.
Il nous est demandé d’ouvrir les barrières de notre sensibilité.
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m En plus de dire adieu à notre solitude et autonomie, et en plus de nous
demander le courage d’obéir à des dispositions données , il y a encore un
pas : l’AMOUR.
Le « NOUS » que nous prononçons devient INTEGRATION
Avant c ‘était l’orgueil qu’il fallait dompter, maintenant c’est question de
dompter notre répugnance à accepter à nos côtés des vies réelles que nous
n’aimons pas.
Ce qui est exigé, c’est un constant renoncement de l’âme à elle-même.
Notre tempérament individualiste doit devenir SOCIAL, mais pas dans le
sens de « dissolution », comme dans les sectes.
Notre personnalité demeure
intacte et respectée : tous reposent sur la même fin, qui est Dieu et la
Communauté de foi.
Dans la Messe, en effet, sont rares les cas où l’on s’adresse à l’autre par la
parole et le geste.
A l’occasion du baiser de paix, c’est avec retenue, réserve et distinction
qu’on se met en relation
La Communauté réside dans le partage du même esprit, mêmes paroles,
regards, sacrifice, pain, … et cette attitude de distance est la condition de la
durée de la Communauté liturgique, car elle empêche aux « individualistes »
de se séparer des autres et aux personnes trop « sociales» de vivre tout abus
de relation !
Chapitre III : la liturgie comme un jeu
➢ Pour certaine, la liturgie est comme une « mise en scène », et ils sont heurtés
➢
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par les règles minutieuses des cérémonies.
(A quoi cela sert?, Quelle est sa
finalité pratique?)
Mais chercher un critère d’utilité « » dans ce domaine et du « moindre
effort » fait partie de la loi économique de la moindre perte en terme de
temps et de matière et ne peut pas s’appliquer à la liturgie.
Il faudrait plutôt se poser la question sur le SENS : l’utilité vise l’effort du
travail ; le sens est le contenu de la vie.
Au niveau de l’utilité, la Liturgie n’en a point !
Elle est à elle-même sa propre fin.....
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