LES USINES - Émile VERHAEREN, Villes tentaculaires
Publié le 15/05/2020
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LES USINES - Émile VERHAEREN, Villes tentaculaires
Automatiques et minutieux, Des ouvriers silencieux
Règlent le mouvement D'universel tictacquement
Qui fermente de fièvre et de folie
Et déchiquette, avec des dents d'entêtement,
La parole humaine abolie.
Plus loin : un vacarme tonnant de chocs Monte de l'ombre et s'érige par blocs;
Et, tout à coup, cassant l'élan des violences, Des murs de bruit semblent tomber
Et se taire, dans une mare de silence, Tandis que les appels exacerbés
Des sifflets crus et des signaux Hurlent toujours vers les fanaux, Dressent leurs feux sauvages,
En buissons d'or, vers les nuages.
Et tout autour, ainsi qu'une ceinture,
Là-bas, de nocturnes architectures,
Voici les docks, les ports, les ponts, lès phares Et les gares folles de tintamarres;
Et plus lointains encor des toits d'autres usines Et des cuves et des forges et des cuisines
Formidables de naphte et de résines
Dont les meutes de feu et de lueurs grandies
Mordent parfois le ciel, à coups d'abois et d'incendies.
Émile VERHAEREN, Villes tentaculaires, 1895
En étudiant les mots, les sons, les rythmes et la structure du poème, vous montrerez comment Verhaeren transposeen une puissante vision épique la réalité, alors nouvelle, des cités industrielles.
DÉVELOPPEMENT PROPOSÉ
Introduction
Les deux poètes belges d'expression française les plus connus de la fin du XIXe siècle et du début du xxe furentÉmile Verhaeren et Maurice Maeterlinck.
Né près d'Anvers en 1855, Verhaeren chanta d'abord ses plaines natales etla truculence des Flamandes, puis sa poésie prit un ton sombre et passionné qui reflétait ses angoisses et la crise morale qui le déchirait, dans les Soirs, Débâcles, Flambeaux noirs.
Mais bientôt une inspiration tout à fait nouvelle apparaissait, à partir du recueil des Campagnes hallucinées, de 1893 : le poète s'y révèle hanté par les transformations du monde moderne; il décrit la misère des champs dévastés par la famine et la maladie, la montéedu machinisme, les cités « myriadaires ».
Dans les Villes tentaculaires qui leur font suite, en 1895, on peut déceler une unité véritable si on lit l'ensemble du recueil.
Les villes se transforment, rassemblent en elles toutes lesmaladies, les souffrances et les folies; les richesses et les vices se côtoient dans les quartiers rouillés, la Bourse, lesbazars, et les rues meurtrières.
Mais il existe aussi des chambres claires et des laboratoires où se prépare l'avenir eton peut espérer le triomphe final de la justice et de la pitié, beauté d'une harmonie totale, véritable âme de la ville.
Le poème que nous avons à expliquer, quant à lui, est consacré aux souffrances des citadins dans l'enfer desusines, et non à leurs espérances futures.
Mais la réalité des cités industrielles, la vie des hommes et le branle-basdes machines y sont ici sublimés en une véritable vision épique par la magie des mots, des sons et des rythmes etpar la structure même du poème.
Les mots
Les poètes de l'école symboliste aimaient les mots rares ou insolites, qui créent autour d'eux un halo de brumeou de mystère.
Il y en a moins dans les Villes tentaculaires que dans les premiers recueils de Verhaeren, mais on peut relever : « la parole abolie.., les nocturnes architectures...-les toits plus lointains encor, les meutes de feu et de lueurs grandies...
» Ces mots, en vérité, se trouvent dispersés dans un vocabulaire très varié : mots concrets définissant des objets précis, qui ne seraient pas déplacés dans un roman réaliste : sifflets, signaux,fanaux, feux, docks, ports, ponts, phares, gare, cuves, forges, naphte, résines...; dont certains prennent une
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