« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux / Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots. »
Publié le 19/12/2021
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«
Introduction.
Depuis le romantisme, non seulement bien des oeuvres poétiques sont consacrées à la
souffrance, mais encore beaucoup de poètes vont jusqu'à croire qu'elle est par excellence
la source de l'inspiration : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux Et j'en
sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
»
I.
La théorie romantique de la souffrance, notamment chez Musset.
1.
D'abord un problème de culture, ou plutôt de réaction contre cette culture.
Musset
souffre — comme les autres romantiques — de l'insincérité de la lyrique néo-classique du
XVIIIe siècle.
Il l'attaque indirectement dans La Nuit de Mai, où, à propos de l'allégorie
du pélican et des souffrances des poètes, il écrit : « Ce n'est pas un spectacle à dilater le
coeur »; en d'autres termes, la poésie n'est pas un amusement, elle est charnelle et
sanglante.
2.
Ensuite un problème moral et religieux.
Pour Musset la souffrance est essentiellement
une purification.
Cette théorie, très importante dans la pensée romantique, a été mise au
point notamment par Joseph de Maistre (Soirées de Saint-Pétersbourg, 1821) et de
Bonald : reprenant et majorant l'idée chrétienne suivant laquelle la souffrance est une
expiation des péchés, ces penseurs vont jusqu'à soutenir qu'elle est indispensable dans
une société, puisqu'elle purifie celle-ci des fautes collectives et particulières.
Le Bourreau
est le personnage sacré par excellence, puisqu'il contribue à cette mission divine de
purification.
Le poète est dans une situation analogue : il est à la fois son bourreau et sa
victime, il est une sorte de « bouc émissaire », choisi par Dieu pour souffrir, et ainsi pour
expier les fautes des autres hommes.
Il est donc en quelque sorte « maudit », mais Dieu
lui réserve, en échange de son sacrifice, un sort privilégié.
Du reste, son martyre n'est
que l'envers de sa pitié pour ses frères.
On reconnaît là des idées qui seront reprises par
Baudelaire, notamment dans le poème intitulé Bénédiction.
3.
Enfin un problème d'esthétique.
Si « les chants désespérés sont les chants les plus
beaux », c'est parce qu'ils sont ceux qui viennent le plus directement du coeur.
Or le
poète, qui est poète surtout à cause de sa souffrance, crée directement avec son coeur;
le coeur est donc à la fois créateur et organe de souffrance :
« Ah! Frappe-toi le coeur! C'est là qu'est le génie! C'est là qu'est la pitié, la souffrance et
l'amour.
» (Musset, A mon ami Edouard .)
II.
Valeur générale de la thèse de Musset.
Malgré son caractère un peu démodé, ce point de vue de Musset n'en est pas moins riche
de perspectives authentiquement poétiques.
1.
Les chocs révélateurs de la souffrance.
Psychologiquement, il est certain que la
souffrance provoque un choc qui mène souvent les écrivains à la limite d'eux-mêmes
(voir Hugo, A Villequier; voir Musset lui-même, poète d'envergure encore limitée avant
son aventure avec George Sand, qui devient le grand poète des Nuits, parce que sa
maîtresse l'a fait souffrir).
2.
Toute profondeur humaine est douloureuse.
D'autre part, si la poésie lyrique est
lumière profonde dans le coeur de l'homme, elle ne peut qu'être douloureuse.
A un
certain degré d'intensité et de profondeur, les sentiments humains sont souvent source
de douleur, même l'amour heureux : voir à ce sujet le beau poème d'Aragon (Il n'y a pas
d'amour heureux, La Diane française, 1944) : « Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur
Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri »
3.
La souffrance signe d'inquiétude.
Enfin toute souffrance, sans être a priori signe
d'intelligence ou de distinction, est a priori signe d'inquiétude, signe que le poète n'est.
»
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