Les Lettres Persanes : Lettre 161
Publié le 21/06/2021
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Lettre 161
Roxane à Usbek
O UI , je t’ai trompé ; j’ai séduit tes eunuques ; je me suis jouée de ta
jalousie ; et j’ai su, de ton affreux sérail, faire un lieu de délices et de plaisirs.
Je vais mourir ; le poison va couler dans mes veines : car que ferais-je ici,
puisque le seul homme qui me retenait à la vie n’est plus ? Je meurs ; mais mon
ombre s’envole bien accompagnée : je viens d’envoyer devant moi ces gardiens
sacrilèges, qui ont répandu le plus beau sang du monde.
Comment as-tu pensé que je fusse assez crédule pour m’imaginer que je
ne fusse dans le monde que pour adorer tes caprices ? que, pendant que tu te
permets tout, tu eusses le droit d’affliger tous mes désirs ? Non : j’ai pu vivre dans la
servitude, mais j’ai toujours été libre : j’ai réformé tes lois sur celles de la nature ; et
mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance.
Tu devrais me rendre grâces encore du sacrifice que je t’ai fait ; de ce que
je me suis abaissée jusqu’à te paraître fidèle ; de ce que j’ai lâchement gardé dans
mon cœur ce que j’aurais dû faire paraître à toute la terre ; enfin de ce que j’ai
profané la vertu en souffrant qu’on appelât de ce nom ma soumission à tes
fantaisies.
Tu étais étonné de ne point trouver en moi les transports de l’amour : si tu
m’avais bien connue, tu y aurais trouvé toute la violence de la haine.
Mais tu as eu longtemps l’avantage de croire qu’un cœur comme le mien
t’était soumis.
Nous étions tous deux heureux ; tu me croyais trompée, et je te
trompais.
Ce langage, sans doute, te parait nouveau.
Serait-il possible qu’après
t’avoir accablé de douleurs, je te forçasse encore d’admirer mon courage ? Mais c’en
est fait, le poison me consume, ma force m’abandonne ; la plume me tombe des
mains ; je sens affaiblir jusqu’à ma haine ; je me meurs.
Montesquieu, Les Lettres Persanes, 1721
Pour de nombreux juristes, Montesquieu figure comme un des premiers
comparatistes modernes du droit.
Le droit comparé est ainsi une discipline redevable
à Montesquieu.
Illustre écrivain français du siècle des Lumières, il a beaucoup
marqué la France de ses œuvres.
Son écrit le plus populaire , Les Lettres Persanes
en 1721, roman épistolaire de lettres fictives entre deux persans Usbek et Rica, et
certains autres de leurs connaissances restées en Perse, a été utilisé subtilement
par l’auteur qui le publia anonymement pour asseoir sa satire sur la Régence
française, tout en remettant également en cause les systèmes politiques et sociaux
d’autres pays, la Perse comprise.
Bien que la vie de ses persans soit inventé de
toutes pièces , des évènements contextuels se déroulent en parallèles des lettres de
nos deux voyageurs persans, on peut situer de la lettre 1 à 23 le voyage de 13 mois
d’Ispahan à Paris, des lettres 24 à 92 le règne de 3 ans de Louis XIV, des lettres 93 à
145 la régence de 5 ans de Philippe d’Orléans pendant la minorité de Louis XV et.
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