« Les lettres nourrissent l'âme, la rectifient, la consolent. » Que penser de cette maxime de Voltaire ?
Publié le 21/12/2021
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« Les lettres nourrissent l'âme, la rectifient, la consolent.
» Que penser de cette maxime
de Voltaire ? Elle semble assez bien s'appliquer au rôle de la littérature, si l'on admet
évidemment que le philosophe en parlant de « lettres » désigne les chefs-d'oeuvre de la
littérature, et non les innombrables écrits produits chaque siècle, dont la plupart sont
bien incapables d'exercer quelque influence au niveau de l'âme.
En effet, la littérature
s'adresse directement à la faculté essentielle de l'homme, l'âme, qui se « nourrit »
littéralement de l'expression d'autres âmes, s'enrichit au contact des penseurs de tous
temps, et cela quelle que soit leur opinion, ce qui nous amène à la seconde vocation des
lettres selon Voltaire : « rectifier l'âme ».
Etymologiquement, cela signifie « la rendre
droite », capable de bien penser, de bien juger.
Réflexion digne d'un siècle de
philosophes ! Cette définition, que j'approuve dans son ensemble, me semble cependant
sujette à quelques contestations dans les cas particuliers.
Voltaire ajoute encore : « les
lettres consolent l'âme».
Cela me semble assez vrai.
La littérature console l'âme des
dures réalités matérielles, des souffrances humaines, en s'élevant au niveau intellectuel
et en affermissant les qualités de courage, de réflexion et de volonté qui nous donnent la
force d'affronter la vie.
Cependant là encore il me semble qu'il faut nuancer un peu.
En
bref, cette définition que Voltaire donne de la littérature ne me paraît pas contestable
pour le fond ; mais exprimée sous forme de maxime, donc dépouillée le plus possible,
elle gagnerait à être nuancée par l'étude de cas particuliers.
De plus, une autre question
se pose : est-elle exhaustive ?
« Les lettres nourrissent l'âme » : cette première vocation de la littérature a de tout
temps été reconnue, depuis Sophocle et Euripide, Homère et Virgile ; et cela tout
particulièrement en France, où l'oeuvre littéraire est extrêmement riche, et le goût
littéraire prononcé.
Certes, une distinction est à faire, qui n'a pas toujours été faite : les
lettres nourrissent l'âme, donc l'homme.
Mais l'homme, composé d'« atomes spirituels »
certes, mais aussi d'atomes corporels, ne se nourrit pas exclusivement de cela, comme
ont eu tendance à le croire les pédants de toutes les époques, et plus particulièrement
les Précieuses du XVIIe siècle.
Leurs excès en la matière leur attirent cette verte réplique
que Molière place dans la bouche de Chrysale, dans Les Femmes savantes :
«Je vis de bonne soupe, et non de beau langage!» Comme toute réaction, cette riposte
est exagérée.
L'homme fait de matériel et d'immatériel, pour reprendre la distinction des
savants des anciens temps, doit s'abreuver aux deux sources ; et quelle nourriture, pour
l'âme, que ce contact avec les penseurs de tout temps, qui ont su exprimer l'être humain
et ses sentiments avec génie ! Cette première définition de la littérature me paraît
indiscutable, et les exemples l'appuyant se multiplient à l'infini.
Les deuxième et
troisième définitions, par contre, qui ne sont en fait que des précisions apportées à la
première, méritent d'être nuancées.
Par la seconde vocation qu'il donne à la littérature, Voltaire suggère qu'elle nous permet
en somme de « bien faire l'homme », selon l'expression de Montaigne, en nous aidant à
bien penser, et à posséder un bon jugement.
Remarque particulièrement vraie à l'époque
où Voltaire la formule ; au XVIIIe siècle, en effet, la littérature prend plus que jamais une
orientation philosophique ; on cherche à bien juger, non seulement des questions
métaphysiques — abordées par tous les grands penseurs de l'époque (Voltaire, Diderot et
Rousseau, pour ne citer qu'eux) avec des opinions personnelles et fort différentes — mais
aussi des cas concrets.
Ainsi Voltaire se préoccupe-t-il de jugement au sens judiciaire du
terme en prenant la défense des Calas ou des Montbailli.
Le XVIIIe siècle est donc
caractérisé par un grand brassage d'idées, exprimées par de grands auteurs littéraires,
au contact desquels un esprit cultivé peut affermir son propre jugement.
Mais l'opinion
de Voltaire se vérifie également aux siècles précédents : Montaigne, Rabelais ont cherché
à «rectifier» l'âme, et, au xvii siècle, La Rochefoucauld, Mme de La Fayette, ainsi qu'avec
les moyens théâtraux Corneille ou Molière.
Tous ces écrivains, en formulant des idées, en
critiquant telles autres, affermissent notre propre jugement et « rectifient » notre âme.
Ce but, cependant, risque de n'être pas toujours atteint.
Si l'information est partielle,
l'âme, loin d'être « rectifiée », risque d'être «déviée», car certains écrivains, emportés
par l'ardeur polémique, ou simplement exaltés de nature (je pense en particulier à
Rousseau), présentent un danger certain à être pris au pied de la lettre.
Voltaire a
d'ailleurs prévenu ce danger en écrivant « les lettres », considérant donc la littérature.
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