Léon Schwarzenberg, professeur de médecine, a écrit : «Un pays dans lequel n'existe plus, le soir, une chambre dans laquelle un enfant apprend le grec ou le violon, est un pays perdu. »Dites comment vous comprenez cette affirmation, et ce que vous en pensez.
Publié le 15/05/2020
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Léon Schwarzenberg, professeur de médecine, a écrit : «Un pays dans lequel n'existe plus, le soir, unechambre dans laquelle un enfant apprend le grec ou le violon, est un pays perdu.
»Dites comment vous comprenez cette affirmation, et ce que vous en pensez.
Introduction
L'auteur de cette formule n'est pas un écrivain ou un artiste, un professionnel de la culture au sens traditionnel duterme, réduite à la littérature et aux beaux-arts, à la philosophie et à l'histoire.
C'est un médecin, donc le détenteurd'un savoir « utile » par excellence.
Il défend pourtant ici la survivance d'une culture gratuite, désintéressée (le grecet le violon sont choisis symboliquement pour leur « inutilité » sociale).Il exprime ici une inquiétude, voire un pessimisme, qui semblent confirmés par les évolutions récentes :transformation radicale des pratiques et des modèles culturels' ; mutation accélérée des systèmes éducatifs dans lesens d'une rentabilisation accrue...Amorce de discussion : la formule désenchantée de L.
Schwarzenberg ne va pas sans un risque de nostalgie, depasséisme ; — surtout, elle s'inscrit finalement dans la coupure utile/inutile en matière de connaissance et deculture, même si c'est pour revendiquer les droits du second.
I.
La position de Léon Schwarzenberg.
1.
Il défend la pratique culturelle personnelle (« une chambre dans laquelle un enfant apprend le grec ou le violon »)de disciplines apparemment désintéressées, socialement non-rentables, pour le plaisir et l'enrichissement individuels.Pourtant, sa démarche renvoie à une préoccupation plus large, collective, voire à une sorte de prophétie historique(« un pays dans lequel...
est perdu »).L.
Schwarzenberg ne revendique pas pour autant un retour au bon vieux temps, celui où l'enseignement secondaireconsistait à « faire ses humanités» ou sa « réthorique »; celui où l'apprentissage des lettres, des arts du discoursétait socialement valorisé par rapport aux enseignements technologiques et même scientifiques — grosso modo lahiérarchie éducative héritée du xix' siècle et qui a prévalu jusqu'au milieu du nôtre.
Lui-même est un homme desciences, et il réclame seulement le maintien d'une place pour les savoirs « inutiles » ; au fond, comme un loisirstudieux, une fois assurée l'acquisition des savoirs « essentiels ».
2.
Mais cette formule implique un arrière-plan.
Son auteur semble terrifié par le développement, perçu commeirrémédiable, d'une conception pragmatique, utilisariste, du savoir de l'éducation, de la culture.
Il renvoie ainsi à uneinterrogation plus générale qui s'est développée à la fin des années 60 et pendant les années 70, et bien au-delàdes domaines mentionnée ci-dessus.
Par exemple, c'est une préoccupation de nature équivalente qui s'est expriméeà travers les mouvements écologistes, concernant le devenir des relations entre l'homme et son environnement, lasurvivance des éco-systèmes menacés et finalement la préservation des ressources naturelles et la survie même del'humanité.Dans les domaines qui nous concernent, ces inquiétudes ont porté notamment sur le risque d'une massification de laconsommation culturelle et des loisirs, avec, pour conséquence, le gommage des goûts, des passions, desaspirations individuelles.
Les films de Jean-Luc Godard, par exemple, ont mis l'accent sur le conditionnement dulangage, des modes vestimentaires, des distractions, des modalités même à travers lesquelles sont reçus lesrapports amoureux, politiques, et jusqu'à l'imaginaire ; cf.
Deux ou trois choses que je sais d'elle; la Chinoise; Week-end; Masculin-féminin; etc.En même temps, on a pris conscience que des phénomènes comme le développement des communications,l'accélération de l'information, l'urbanisation anarchique tendant à unifier la consommation alimentaire, vestimentaire,le repos et les loisirs...
risquaient d'entraîner une perte de la mémoire collective, une véritable crise du rapport àl'histoire ; pour parler plus simplement, l'actualité tend à éclipser la faculté de se situer dans une continuité dutemps ; l'histoire (avec son corollaire, l'oubli) commence à la décennie précédente et, au-delà de quelquesgénérations, tend à se fondre dans un passé indifférencié.
Pour combien d'entre nous, tout ce qui est antérieur àl'invention du flipper, à la généralisation du jean et à l'apparition des Beatles commence-t-il à ressortir de lapréhistoire ? D'où peut-être, l'image rassurante d'une chambre où un enfant continue le grec ?
3.
Les raisons de l'utilitarisme.Il est vrai que des raisons conjoncturelles, la crise des débouchés et de l'emploi, la nécessité d'obtenir le plusrapidement possible un diplôme monnayable, etc.
peuvent faire apparaître cette image comme de plus en plus vouéeà l'anarchisme.
« Passe ton bac d'abord », tel est le titre révélateur d'un film récent.
Et il est vrai qu'on pourraitfacilement opposer les deux dernières « générations » de lycéens : aux uns, la nécessité du réalisme, la tendance àsacrifier tout ce qui n'est pas « essentiel », à privilégier excessivement les disciplines les plus rentables, c'est-à-direles plus socialement valorisées ; aux autres, la contestation tous azimuths, le goût de l'utopie, un regard davantagetourné vers l'affirmation individuelle et le sens de la vie...Mais si L.
Schwarzenberg peut s'inquiéter du « destin » du violon et du grec, c'est d'abord que nos sociétés, dansleurs phases de développement et d'euphorie (en gros, les années 1960 à 1975) ont eu besoin de former avant tout.
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