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Lecture analytique de l'incipit de Réparer les vivants, Maylis de Kerangal, 2014

Publié le 14/05/2024

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« Lecture analytique de l'incipit de Réparer les vivants, Maylis de Kerangal, 2014 Maylis de Kerangal, née en 1967, est un auteur français contemporain.

Elle a fait des études de , d'histoire de philosophie et d'ethnologie.

Elle grandit au Havre, région où se déroule le récit de Réparer les Vivants. Elle commence à travailler dans le monde de l'édition (chez le célèbre éditeur Gallimard), et fonde même une maison d'édition spécialisée dans la littérature de jeunesse (les éditions du Baron Perché).

Elle publie son premier roman Je marche sous un ciel de traîne en 2000.

Plusieurs de ses romans seront salués par la critique et obtiendront des prix littéraires ( Naissance d'un pont en 2000 obtient le prix Medicis, Corniche Kennedy en 2008 , Réparer les Vivants en 2014 obtient divers prix, devient un best-seller et est adapté au cinéma en 2017 par Kattell Quillévéré. Le roman Réparer les vivants évoque l'itinéraire d'un cœur – au sens propre : celui de Simon, jeune homme de vingt ans en état de mort cérébrale, jusqu'à sa transplantation.

Le roman décrit l'attitude des diverses protagonistes concernés – la famille, le corps médical, la future « transplantée » - vis à vis de la délicate question du don d'organe.

Pour écrire son roman, l'auteur s'est beaucoup documentée sur le contexte médical, et a été également inspirée par son expérience personnelle du deuil.

L'incipit, qui forme le premier chapitre, nous présente ce qui pourrait être considéré comme le personnage principal, Simon Limbres, le « donneur d'organe ». Comment cet incipit, au travers de la présentation paradoxale d'un personnage, annonce-t-il le débat éthique du roman ? I.Pour présenter le personnage et le récit, ce début de roman obéit aux règles de l'incipit Comme tout incipit, ce début de roman peut avoir différentes fonctions.

Il donne au lecteur les informations nécessaires pour pouvoir comprendre la suite du récit, et le met dans l'ambiance du roman, lui fournit le pacte de lecture. 1) Informer le lecteur  un personnage apparaît dès la première ligne, à propos duquel le lecteur va progressivement obtenir certaines informations dispersées au cours du passage. ➢ Son nom : Simon Limbres.

Ce nom peut entrer en résonance avec le nom commun « limbes » qui désigne un état vague, incertain, et d'attente (un projet encore dans les limbes).

Cela peut déjà entretenir une idée de flou à propos du personnage. ➢ Âge : l.

8/9 : un « corps de vingt ans ».

On suppose, ce qui est confirmé, qu'il est en bonne forme physique « un pouls probablement inférieur à cinquante battements par minute » ➢ Parcours du personnage, passé : aucun des événements de la vie de Simon n'est mentionné.

En revanche, le passage est parsemé des émotions diverses qu'il a déjà éprouvées : « ce qui a fait bondir [ce cœur], vomir, grossir, valser léger comme une plume ou peser comme une pierre »( l.4) « ce qui l'a fait fondre - l 'amour ; » (l.

6) La mise en relief du mot par le tiret, puis par le point virgule souligne l'importance de ce sentiment dans la vie du personnage, ce qui paraît cependant assez naturel pour un jeune homme de son âge.

Plus loin « la joie qui dilate et la tristesse qui resserre » (l.

10) « l'émotion qui précipite » (l.

13) accentuent encore cette dimension émotive pressentie chez Simon. L'évocation du personnage reste donc relativement abstraite.

Cela pourrait être finalement une sorte d'archétype du jeune homme, sans personnalité, ni physique définis.

Cependant, l'usage de l'antithèse « valser léger comme une plume ou peser comme une pierre » pourrait évoquer une vie plutôt mouvementée, contrastée.  Le lieu, cadre du roman, fait l'objet d'une courte description :« pays de Caux » (l.20), « alors qu'une houle sans reflets roulait le long des falaises, alors que le plateau continental reculait, dévoilant ses rayures géologiques »( (l.

21,22) qui semble surtout inscrire le roman dans l'inéluctabilité du cycle marin et géologique .

On passe du pays de Caux au lieu où semble se trouver le personnage «au pied d'un lit étroit » (l.

18), d'un espace ample à l'exiguïté d'une chambre.  Le moment de l'action : « cette nuit-là » (l.

13), formule déictique qui semble désigner un moment précis au lecteur sans pour autant donner de date.

Le chiffre symétrique de l'heure indiquée par le portable ensuite peut intriguer le lecteur (05:50) ligne 27  Action : l'élément déclencheur du récit intervient à la fin du passage, après le tiret qui le met donc en exergue : « quand l'alarme d'un portable s'est déclenchée au pied d'un lit étroit (...) » (l. 25,26).

Action à la fois précise (05:50) et peu détaillée ( pourquoi une alarme si tôt ?) mais cependant commentée par le narrateur « tout s'est emballé » (l.28), ce qui laisse imaginer une accélération brutale de l'action.

Le changement de temps (de l'imparfait au passé composé) confirme cette impression. 2) Exercer la captatio benevolentiae – séduire le lecteur et lui proposer un pacte de lecture Le début d'un roman doit aussi avoir pour vocation de capter l'attention du lecteur : ➢ La première phrase atteint sans ambages le vif du sujet « ce qu'est le cœur de Simon Limbres » ➢ la narration est rapide, d'un seul souffle : ce premier chapitre ne comporte qu'une seule phrase caractérisée par la parataxe (juxtaposition) dans la majeure partie du texte, qui fait tendre ce chapitre vers le récit oral « ce qu'est le cœur de Simon Limbres, ce qu'il a filtré, archivé, boîte noire d'un corps de vingt ans, personne ne le sait au juste » (l.

6/7 ) « oui, seule cette ligne-là pourrait en donner un récit, en profiler la vie » (l.

15) « quand le cœur de Simon Limbres, lui, échappe aux machines, nul ne saurait prétendre le connaître » (l.

17/18). ➢ Néanmoins cette oralité voisine avec un véritable travail sur la langue qui fait de ce texte un texte presque poétique (« seule cette ligne-là pourrait en donner un récit, en profiler la vie, vie de flux et de reflux, vie de vannes et de clapets, vie de pulsations » (l.

15/16) : anaphore (vie), opposition (flux et reflux), rythme, métaphores sont autant de procédés qui ici rendent la phrase à la fois musicale et expressive, donne littéralement à entendre le rythme du cœur de Simon et celui de sa vie. ➢ Le temps du récit se mélange avec le rythme de la phrase : on a l'impression que le récit, avec son rythme haché, nous donne à voir la vie de Simon du début à la fin (un sommaire) : on a l'impression que le rythme saccadé de la phrase ressemble à la vie de Simon, rapide, précipité (ce qui peut correspondre en effet à la vie d'un jeune homme de vingt ans pressé de connaître toute les émotions de la vie). ➢ Néanmoins, cet incipit, original de par son écriture et son sujet, ne se réclame-t-il pas d'une certaine tradition littéraire ? La structure habituelle du début de récit est respectée (situation initiale + élément perturbateur) et la reprise des éléments de l'incipit de Germinal (la « nuit sans étoiles » ligne 19, l'horizontalité du paysage) n'est peut-être pas fortuite. Ce qui peut capter le lecteur c'est donc la tension entre cette tradition littéraire et l'originalité de l'écriture, mais aussi l'originalité du sujet qui va poser un pari : peut-on faire un récit à partir d'un cœur ? Simon est-il un vrai personnage ? II/ Néanmoins, cet incipit, s'il obéit à certaines des règles conventionnelles, se présente surtout comme une variation autour d'un cœur, thème du roman En effet, le narrateur ne nous donne pas tant à voir le personnage que le cœur de celui-ci, ce qui peut induire plusieurs sens : ● cœur : organe vital (oreillettes, ventricules, artères, etc) dont dépend la vie. ● Cœur : le siège des émotions, des passion, de la pensée ● cœur : courage et force de caractère, vaillance (Rodrigue, as-tu du cœur?) ● cœur ; sensibilité voire bonté (une personne qui a du cœur) De ce fait, le narrateur va jouer avec ces sens, insister sur certains : et il n'est pas toujours évident de faire la différence entre l'un et l'autre sens. 1.

Le cœur émotion (sens abstrait) Dès le début du texte, l'ambiguïté semble de mise.

Une multiplicité d'expressions mettent en parallèle l'émotionnel et le physiologique. ➢ L'accumulation (l.

5) semble bien mélanger les deux sens « ce qu'est ce cœur, ce qui l'a fait bondir, vomir, grossir (etc) » : cependant, elle renvoie à des expressions qui toutes évoquent les répercussions physiques de certains états émotionnels : le cœur qui fait des bonds, avoir des hauts le cœur (vomir), avoir le cœur gros (être triste).

La mise en relief avec le tiret « -l'amour » montre alors qu'il s'agit bien des répercussions précises de ce sentiment fondamental (et lié d'ailleurs au cœur, dont la représentation stylisée représente.... »

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