Cours n°9 : Le travail n’est-il qu’une contrainte ?
Publié le 14/04/2024
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Cours n°9 : Le travail n’est-il qu’une contrainte ?
Le travail se définit comme une activité de production selon des règles techniques,
qui visent à son efficacité.
Parce qu’il demande de fournir des efforts et d’obéir à des
règles contraignantes, le travail semble opposé aux activités plaisantes en elles-mêmes,
comme les loisirs et les jeux : le mythe biblique de la Chute (pour avoir désobéi à Dieu,
l’homme est condamné au travail de la terre et la femme au travail de l’enfantement) et
l’étymologie du mot (travail vient du latin tripalium, qui désigne un instrument de torture)
illustrent cette immémoriale dépréciation.
Mais peut-on vraiment dire que le travail n’est qu’une contrainte, c’est-à-dire qu’il n’y
a rien de positif en lui ? Ainsi, faut-il considérer que le travail est nécessairement aliénant,
auquel cas la vie idéale serait une vie de jouissance dépourvue de travail, ou bien existe-t-il
des formes de travail qui sont nécessaires à l’individu pour accomplir sa liberté, auquel cas il
serait une contrainte libératrice ?
I/ Le travail, d’un point de vue anthropologique, élève l’homme au-dessus de la
nature.
« En même temps que l’homme agit sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa
propre nature et développe les facultés qui y sommeillent.
» Marx
1/ Spécificité du travail humain par rapport à l’activité animale
Le travail valorise la nature pour l’homme (texte 1, Marx)
- il la rend utile pour sa vie (comme produit de consommation)
« En même temps que l’homme agit sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa
propre nature et développe les facultés qui y sommeillent.
»
2/ le travail inscrit l’homme dans la culture (texte de Hegel, p.
273)
- il stabilise son rapport au temps (rend l’avenir moins incertain) et maîtrise en partie
la nature
- il prend conscience de lui-même et s’inscrit dans l’histoire en faisant des œuvres
durables (outils, ouvrages d’art, etc.)
3/ Le travail force l’individu à s’améliorer (texte 2, Kant)
- Intelligence : travailler permet de résoudre des problèmes et d’inventer de règles
techniques
- Volonté : il apprend à persévérer et à ne pas céder à l’impulsion de nos désirs
- Estime de soi : il permet de se reconnaître dans son produit, et d’être reconnu par les
autres
Transition :
- le travail permet de conquérir sa liberté.
II/ Le travail, d’un point de vue social, est généralement source d’asservissement
A/ La division du travail est à l’origine de l’asservissement
1
1) Arguments de Rousseau [Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de
l’inégalité]
- quand les individus est autosuffisant, ses relations avec les autres sont pacifiques et
ludiques ; il règne une égalité puisque les possessions et la force sont naturellement
limitées
- quand on divise le travail, on augmente la productivité, et donc les richesses, et on
fait naître la possibilité des inégalités ; la société se divise en maître et en esclave (en
propriétaire et en travailleurs asservis)
2) critique
- on ne peut être autosuffisant que dans des conditions écologiques très
favorables (ex : indiens d’Amazonie étudiés par Pierre Clastres, dans La société contre
l’Etat, manuel p.
279) ; la plupart du temps, la division du travail est nécessaire dans
la lutte contre la nature.
- ce n’est pas la division du travail en métiers (division horizontale) qui est
directement responsable de l’asservissement, mais la division du travail entre
propriétaires jouisseurs et travailleurs exploités (division verticale)
B) L’esclavage, le travail ouvrier : travail aliéné (texte 3, Marx ou texte p.
277)
Etre aliéné : être dépossédé de soi-même, être étranger à soi-même ; ce qui suppose qu’il
existe un soi-même véritable, essentiel
a) esclavage : c’est la situation juridique qui est aliénante (un autre est propriétaire de
moi)
b) travail ouvrier, caractérisé par la division technique du travail (morcellement des
tâches et hyperspécialisation) en système capitaliste : ce sont les conditions de travail
qui sont aliénantes par essence.
- certes, l’ouvrier a le choix de son travail (s’engage par contrat), mais :
-
-
aliénation dans l’acte de travail : physique (fatigue, mécanisation du corps) et
intellectuelle (appauvrissement)
aliénation dans le résultat du travail : (i) matérielle (on vole une partie de la richesse
créée) ; argument : seul le travail est créateur de richesse, le capital (argent, machine,
matières premières) n’est rien s’il n’est pas transformé ; (ii) spirituelle : l’ouvrier ne
peut se reconnaître dans ce qu’il fait
aliénation hors du travail : renversement de la valeur des activités : les activités
vitales (manger, dormir, se reposer, se distraire, etc.) deviennent essentielles, les
activités humaines, proprement spirituelles, sont méprisées
C/ C’est l’injustice de la division du travail qui est source d’aliénation
Deux modèles économiques cherchent à répondre à l’injustice du modèle esclavagiste et du
modèle capitaliste :
a) le communisme : mettre en commun les moyens de production et redistribuer
l’intégralité des richesses (égalité stricte, ou égalité proportionnelle au besoin).
Limite : difficulté de motiver les travailleurs ; difficulté de planifier l’économie.
2
b) le capitalisme régulé par l’Etat providence : est efficace (motivation par l’intérêt
personnel, existence d’un marché où les producteur sont en concurrence va diminuer
les coûts de production) ; protège les travailleurs en leur accordant des droits
sociaux :
-
conditions de travail décentes (limitation des accidents du travail, du temps de
travail, congés payés) ; progrès technique permet de décharger l’individu des tâches
le plus pénibles
rémunérations encadrées par la loi, et inégalités atténuées par l’impôt, droits
syndicaux pour négocier avec le patronat
assurance chômage, retraite
III/ Les sociétés capitalistes modernes dénaturent le sens du travail et du loisir
A/ Le travail social est uniquement au service d’une croissance économique aveugle
1/ Le dogme de la croissance matérielle est aveugle à la réflexion sur la qualité de vie
2/ La logique de la consommation détruit la valeur des œuvres humaines.
L’homme perd son
sens historique, du temps long, pour vivre dans l’immédiat.
(Texte n° 4, Arendt)
OPPOSITION TRAVAIL /OEUVRE
- usure
- obsolescence
- gaspillage
3/ Le travailleur est au service des puissances de l’argent (c’est-à-dire du capital)
- concurrence généralisée et individualisme : dissolution du lien social
- management déshumanisant : les travailleurs sont considérés comme des ressources
humaines interchangeables (texte n°5, Dejours)
- la sphère de la finance ne sert plus à dynamiser l’économie réelle, mais la vampirise
B) Les loisirs sont exploités (économiquement) et aliénés (spirituellement) (texte n°6,
Schauder)
Le temps des loisirs reproduit les contraintes mentales de l’économie (Argument de Hannah
Arendt)
- Standardisation
- Rentabilité
- Passivité
C/ Le loisir véritable est un travail sur soi, celui de la culture.
(Texte n°7, Sénèque)
Texte 1 : Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l'homme et la nature.
L'homme y joue lui-même vis à vis de la nature le rôle d'une puissance naturelle.
Les forces
dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de
s'assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie.
En même temps qu'il agit
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par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et
développe les facultés qui y sommeillent.
Nous ne nous arrêterons pas à cet état primordial
du travail où il n'a pas encore dépouillé son mode purement instinctif.
Notre point de départ
c'est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l'homme.
Une araignée fait
des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de
ses cellules de cire l'habilité de plus d'un architecte.
Mais ce qui distingue dès l'abord le plus
mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête
avant de la construire dans la ruche.
Le résultat auquel le travail aboutit préexiste
idéalement dans l'imagination du travailleur.
Ce n'est pas qu'il opère seulement un
changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but
dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d'action, et auquel il doit
subordonner sa volonté.
MARX, Le Capital, 1867
Texte 2 : La nature a voulu que l’homme tire entièrement de lui-même tout ce qui dépasse
l’agencement mécanique de son existence animale et qu’il ne participe à aucun autre
bonheur ou à aucune autre perfection que ceux qu’il s’est créés lui-même, libre de l’instinct,
par sa propre raison.
La nature, en effet, ne fait rien en vain et n’est pas prodigue dans l’usage des moyens qui lui
permettent de parvenir à ses fins.
Donner à l’homme la raison et la liberté du vouloir qui se
fonde sur cette raison, c’est déjà une indication claire de son dessein en ce qui concerne la
dotation de l’homme.
L’homme ne doit donc pas être dirigé par l’instinct; ce n’est pas une
connaissance innée qui doit assurer son instruction, il doit bien plutôt tirer tout de luimême.
La découverte d’aliments, l’invention des moyens de se couvrir et de pourvoir à sa
sécurité et à sa défense (pour cela....
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