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Le Tintoret

Publié le 16/05/2020

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« Le Tintoret A l'époque de la Renaissance, les peintres de Venise, le Titien, Véronèse, Paris Bordone, Palma, et bien d'autres,veulent, dans leurs toiles où chantent les pourpres, les ors et les azurs, glorifier le faste et l'opulence de la grandemétropole mercantile.

Le Tintoret, lui, se sépare nettement d'eux.

Ils sont avant tout des coloristes ; lui, après avoirprouvé qu'il pouvait rivaliser avec eux, se contente d'une palette restreinte, et porte le plus clair de son effort sur ledessin et la composition.

Ils sont des voluptueux, qui s'appliquent à dénombrer tout ce qui peut flatter les sens,tout ce qui peut éveiller et délecter les désirs charnels.

Lui, profondément et sincèrement croyant, veut retracer lesscènes de l'Écriture sainte et de la Légende dorée telles que les imagine son âme de visionnaire, avec un réalismeque transfigure un puissant lyrisme. Né à Venise en 1518, il y meurt en 1594.

Son existence, que n'assombrit que la mort de sa fille bien aimée Marietta,est celle d'un grand travailleur.

Il semble avoir vécu pour sa famille et un petit cercle d'amis, ne se délassant de sonprodigieux labeur que par la musique.

Il s'appelait de son nom véritable Giacomo, ou Jacopo, Robusti, et prit sonsurnom, il Tintoretto, du métier de son père qui était teinturier. A dix-sept ans, il entre dans l'atelier du Titien, de trente-cinq ans plus âgé que lui, mais en sort au bout de peu detemps.

Pendant dix ans, il travaille avec son camarade Schiavone.

Très frappé par des dessins d'après les Michel-Ange de la chapelle des Médicis, qu'avait apportés à Venise Daniel de Volterre, il en fait venir des moulages et lesdessine sans relâche, ainsi que des antiques, aussi bien à la lampe qu'à la lumière du jour.

Impatient de créer et decouvrir de vastes surfaces, il ne refuse aucune commande.

En 1548, il exécute son fameux Miracle de saint Marc, undes sommets de la peinture, et une toile où il se révèle un coloriste aussi savant que le Titien et Véronèse.

A partirde ce moment-là, on fait sans cesse appel à lui.

En 1560, il commence à travailler pour la Scuola, ou Confrérie, deSan Rocco, dont il couvre les murs de tableaux.

En 1574, son beau-père lui achète, non loin de la Madonna dell'Ortoqu'il avait décorée, un petit palais où s'écouleront ses vingt dernières années.

Après la mort de sa fille Marietta en1590, il peint pour le palais des Doges son immense toile du Paradis, achève les décorations de la Scuola di SanRocco, et meurt, âgé de soixante-quinze ans. Pour le Tintoret, les divers éléments du tableau, le dessin, la couleur, l'exécution, la composition, devaient être misen œuvre pour le résultat qu'est l'expression du sujet.

Jamais il n'a peint ce qu'on appelle un beau morceau depeinture, un fragment qui soit traité pour lui-même et que l'on peut isoler.

Les moyens artistiques sont pour luil'équivalent de ce que sont les divers instruments de l'orchestre pour le compositeur de musique.

Le Tintoret atoujours conçu un tableau symphoniquement, et n'a jamais laissé la parole à un soliste.

Mis en présence d'un sujet,sacré ou profane, il se donne pour tâche essentielle de le traiter ; et tout, dans sa toile, devra concourir à ce but.Rien ne fait mieux comprendre cela que la comparaison entre les deux tableaux ou le Titien et le Tintoret ont abordéle même sujet, la Présentation de la Vierge au Temple.

Le Titien a brossé une fort belle toile, où le sujet n'est qu'unprétexte, et où une vieille paysanne avec son panier d'œufs attire toute l'attention du spectateur.

Le Tintoret, aucontraire, par l'invention de cet escalier circulaire qui s'élève face au spectateur et de ce grand pan d'ombre qui leflanque à gauche, par la convergence de toutes les lignes vers cette petite fille qui se silhouette sur le ciel au piedde la haute stature du grand-prêtre, nous fait saisir l'importance de cette enfant. Plus on étudie l'œuvre du Tintoret, plus on s'assure qu'il n'y a jamais eu un artiste qui ait autant que lui approfondiles ressources de la composition, et qui ait su en tirer des effets aussi saisissants.

Il est très rare qu'il ait utilisé lasymétrie, cette forme élémentaire de la composition.

Le plus souvent, il établit des masses en porte-à-faux,construit son tableau sur une armature de lignes de force qui mettent en valeur l'idée centrale du sujet qu'il traite.Ainsi, la savante et souple arabesque dont le rythme relie entre eux les divers groupes du Miracle de saint Marc, lescercles concentriques, les tourbillons furieux du Massacre des Innocents, les grandes courbes sur lesquelless'agence le Moïse frappant le rocher ; ou bien les deux obliques contrariées de la Montée au Calvaire.

Dans d'autrestoiles, il en arrive à équilibrer des pleins par des vides ; ainsi dans L'Annonciation, dans la Crucifixion de SanCassiano où une diagonale divise la toile en deux, et surtout dans la Fuite en Egypte, où le groupe de Joseph et deMarie n'occupe que la moitié gauche du tableau. La façon dont le Tintoret a utilisé, pour varier la composition de ses œuvres, toutes les ressources de laperspective, prouve combien cette science, tant dédaignée aujourd'hui, peut fournir au peintre une infinité desolutions plastiques, lui permettre d'organiser les volumes dans l'espace.

Il y a là un domaine où fort peu d'artistes-Piero della Francesca, Raphaël, le Tintoret, Vermeer, Degas se sont aventurés. Cette ordonnance que le Tintoret établit dans son tableau, elle est rarement statique, et le plus souvent, elle a pourbut de nous exprimer le mouvement.

Il y a peu de toiles du Tintoret où les personnages soient immobiles.

Elles nousproposent presque toujours un déplacement, une mise en marche des éléments qui les composent.

Dans cet art, lapeinture, qui semble par son essence même destinée à être l'art de l'espace et non l'art du temps, le Tintoret réussità nous donner la notion de la durée, en nous suggérant le mouvement.

Il y parvient, non pas seulement en nousmontrant des personnages en action, mais en marquant des lignes de force, en accentuant les gestes et lesattitudes.

Ainsi, dans L'Ascension, les volutes des nuages et les lignes claires des ailes des anges vues par latranche, contrastant avec le calme des apôtres dans le bas de la toile, nous donnent l'idée de la montée graduelledu Christ vers le ciel. Tous ces moyens plastiques qu'invente le Tintoret et dont il tire un parti si remarquable, il les met au service de sa. »

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