Le servage
Publié le 18/05/2020
Extrait du document
«
M}\TÉRIELLEMENT
TRES LOURD,
MORALEMENT
INFAMANT
Le terme «servage» provient d'un
mot du langage populaire médiéval,
•serf•, lui-même issu du latin
servus qui désignait l'esclave dans
l'Antiquité.
Comme le soulignait le
grand médiéviste Georges Duby,
«l'étymologie traduit effectivement
la réalité d'une évolution sociale :
dans les sociétés de l'Europe
occidentale, le servage s'est
lentement substitué à l'esclavage
entre le vu!' et le Xl' siècle•, c'est-à
dire au cours de ce que l'on appelle
le haut Moyen Âge.
n'attaque
pas de front l'esclavage :
il ne le condamne pas
explicitement; de plus, l'Église
utilise la main-d'œuvre servile
dans ses propres domaines.
� + en proclamant l'égalité de
tous les êtres humains devant Dieu, -
iii iiii
---- 11e
christianisme fait peu à peu
admettre que les esclaves sont
l:!tUJWJII� eux
aussi des personnes et qu'ils -••••• ..
,., détiennent
de ce fait certains droits;
L'HhJTAGE aoMAJN
ainsi, depuis l'empereur romain
La civilisation romaine opère une
Constantin le Grand {306-337), il est
distinction juridique essentielle interdit, au moins dans les
entre deux catégories d'individus : domaines impériaux, de séparer
les libres et les tsclllvts.
Si les
les familles serviles en arrachant
premiers relèvent de la loi et des
institutions publiques, les seconds
sont la propriété privée d'un maitre,
qui peut se servir d'eux à sa guise,
notamment en les revendant.
Les
esclaves sont ainsi considérés
comme des instruments de
production parm i d'autres.
les tribus germaniques qui
envahissent l'Empire romain dès la
fin de l'Antiquité pratiquent elles
aussi l'esclavage et vont donc fort
bien s'en accommoder.
LE LENT IECUL DE L'ESCLAVAGE
� cela explique que l'esclavage
soit encore très présent en Europe
au début du Moyen Âge.
Les textes
des temps mérovingiens attestent
ainsi le maintien, au sein de grands
domaines, de véritables troupeaux
d'esclaves chargés de travailler
la terre pour le compte de leur
maître.
À l'époque carolingienne,
les mentions de l'esclavage sont
toutefois moins nombreuses,
surtout dans la partie nord du
continent (alors qu'il parait
persister plus fortement en Europe
méridionale).
La tendance générale semble ainsi
être au fléchissement progressif du
nombre des esclaves dans le
courant du haut Moyen Âge.
les
enfants aux parents ou les
époux l'un à l'autre.
Par ailleurs,
l'Église encourage les
affranchissements des esclaves
(souvent dans les testaments)
comme acte de piété.
L'tMUGENCE DU SElVAGE
La disparition de l'esclavage à
l'antique (auquel va se substituer
progressivement le servage)
s'explique également par des
changements d'ordre économique
et social.
D'une part, les sources
d'approvisionnement en esclaves
se tarissent peu à peu.
Si la traite
continue, en provenance
notamment des pays slaves à partir
du Vll' siècle (� tel point que le
terme «slave» finit par désigner
l'esclave en général), la plupart
des esclaves ne font désormais que
transiter par l'Europe, car les
mondes musulman et byzantin
offrent des débouchés plus lucratifs
à ce commerce humain.
D'autre part, aux difficultés de
renouvellement de la m11in·
ajouter la faiblesse de la circulation
monétaire qui, à l'époque, interdit de
substituer au travail gratuit de
l'esclave celui que pourraient
effectuer des travailleurs salariés.
Ces différents éléments sont à
l'origine d'une profonde
modification de la situation
économique des non-libres à
travers tout l'Occident.
Ainsi, dès
le début du haut Moyen Âge, les
esclaves tendent de plus en plus à
vivre dans le cadre d'un grand
domaine auquel ils deviennent
attachés, où ils possèdent leur
propre maison (casa) et où on leur
laisse cultiver leur propre lopin de
terre.
On parle alors de
«casernent» ou «chasement».
Cette attache sera, plus tard,
considérée comme un signe
d'absence de liberté.
Mais, tout au
long du haut Moyen Âge, elle est
perçue comme l'expression d'un
statut très amélioré par rapport à
celui des anciens esclaves, une
situation qui garantit le pain
quotidien et la certitude de ne plus
être vendu ou transplanté.
L'esclave
« chasé » est en effet tenté de
produire davantage, car le surplus
des revenus qu'il tire de sa parcelle
lui revient, une fois les redevances
payées.
C'est aussi une bonne opération
économique pour le maître :
l'esclave« chasé » ne doit plus être
nourri et logé, mais il continue, par
les corvées auxq uelles il est
as tr e int, à mettre en valeur la
réserve, c'est-à-dire la portion du
domaine cultivée directement par
le maître.
Ce dernier trouve par
ailleurs dans la progéniture des
esclaves ainsi établis une pépinière
de m11in·d'œuvre domestique
dans laquelle il peut largement
puiser.
Ainsi se trouve résolu le
problème du renouvellement de
la population servile.
De tels changements modifient ainsi
considérablement les rapports
entre le maître et l'esclave.
Ce dernier obtient une part
d'indépendance économique et
une réelle reconnaissance de ses
droits familiaux.
Signe des temps :
les mariages mixtes entre libres
et esclaves ne sont pas rares, les
enfants suivant en général le statut
de leur mère.
� cela contribue à brouiller un
peu plus le statut de la condition
servile et le visage social de
l'esclavage.
Insensiblement, et sans changement
formel de vocabulaire et de règles
juridiques, l'esclave, à la fin du haut
Moyen Âge, est progressivement
devenu un «serf».
LES CARACTÉRISTIQUES
DU SERVAGE
LE STATUT DU SUF
Les serfs des XJ' et xu• siècles
sont donc, pour une part, les
descendants directs des esclaves
du haut Moyen Âge, et leur statut
se situe dans le prolongement de
celui de leurs ancêtres.
Ainsi, même
s'il représente une amélioration
comparée au statut de l'esclavage
à l'antique, le servage n'en est
pas moins une condition
matériellement très lourde et
moralement infamante.
Cette condition se transmet
héréditairement (par les femmes),
et le maitre dispose à sa guise des
enfants de la serve.
Par ailleurs,
un serf ne peut se marier sans
l'autorisation de son maitre.
Le statut du serf se caractérise
fondamentalement par l'absence
de liberté.
Dès sa naissance ou son
acquisition, il est l'cc homme de
corps» de son maitre, qui peut le
vendre ou le léguer.
JI est tenu
d'ob�ir à tous ses ordres et ne
peut quitter le domaine sans son
autorisation.
Son «service» ne
connaît aucune limite ni (en
principe) aucune rétribution.
Le pouvoir du maitre s'étend à tout
ce qu'il peut posséder.
Un serf ne
peut disposer librement de ses
biens, ni les aliéner de son propre
chef, et, lorsqu'il meurt, son
héritage revient à son maitre.
Ne pouvant avoir deux maîtres,
l'entrée dans les ordres religieux
est refusée au serf.
De façon plus
générale, son statut l'exclut de la
communauté des hommes libres:
les institutions publiques l'ignorent,
il ne peut paraître dans les
assemblées de justice ni témoigner contre
un homme libre; son maître
est responsable de ses actes devant
les tribunaux et peut le chalier à sa
guise.
De plus, le serf ne participe
pas aux expéditions militaires, à
la défense du village ou de la
seigneurie.
Le terme de «serf» tend, à partir
du xli' siècle, à s'effacer devant
d'autres expressions désignant les
non-libres : hommes de corps,
hommes propres, questaux,
couchants et levants, manants et
vilains, pour ce qui est de la France;
ou encore Horig (attaché au sol),
Leibigen (homme propre de son
corps) ou vil/ain, utilisés en
Allemagne et en Angleterre pour
désigner des états de dépendance
mouvants et sensiblement
différents.
CHARGES SERVILES
Le statut de dépendance des serfs
en fait l'objet d'une exploitation
qui revêt diverses formes.
Le chevage
Le serf acquitte ainsi certaines
taxes, à commencer par le
chevage : chaque année, à date fixe,
il doit apporter à son maitre, en un
lieu précis, une petite pièce de
monnaie, symbole de sa
dépendance personnelle.
La mainmorte
Comme on l'a vu, le serf ne peut
rien posséder, rien tenir en propre :
sa main est «morte».
Même s'il a
réussi à accumuler quelques biens,
ils n'appartiennent pas à lui, mais à
son maître.
Ce dernier, en tant que
premier héritier, prélève ainsi sa
part sur la succession : c'est ce que
l'on appelle la «mainmorte».
Les
modalités diffèrent toutefois selon
les régions.
En Angleterre et en Allemagne
centrale triomphe le système de
l'«échoite» : soit le seigneur
renonce à ses droits s'il y a une
descendance dire cte, so it, dan s
le cas contraire, il s'empare de
l'héritage.
Ailleurs {Allemagne du
Nord, France du Sud, Pays-Bas),
le maitre se contente d'une partie
de l'héritage ou d'une pièce de
choix, le« meilleur catel »(c'est-à
dire la plus belle pièce de bétail).
Le formariage
Si le serf veut se marier en dehors
du groupe des dépendants de son
propriétaire (qui peut se voir ainsi
privé de ses droits sur les futurs
enfants de son serf), il lui faut payer
en guise de dédommagement une
taxe (relativement élevée) :le
«formariage».
La taille ill merd
À ces charges, outre les brimades et
les humiliations (par exemple, être.
»
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