Le plaisir du texte ne réside-t-il que dans les mensonges du héros ?
Publié le 08/01/2025
Extrait du document
«
Dissertation rédigée
Le plaisir du texte ne réside-t-il que dans les mensonges
du héros ?
Le valet Cliton clôt la comédie Le Menteur par la savoureuse contre-morale « Par un si
rare exemple apprenez à mentir.
» Cette fin quelque peu inattendue de la part de Corneille en
démontre néanmoins l’originalité.
Écrite et jouée par la troupe du Marais en 1644, cette œuvre
intègre son répertoire après quelques grandes tragédies.
Texte baroque, à la fois comédie
d’intrigue et galante, il correspond aux attentes d’un nouveau public raffiné qui, évoluant dans
des temps troubles et angoissants, est en quête de plaisir et de délectation.
Cette intrigue
d’inspiration espagnole met en scène Dorante, un menteur éloquent, orgueilleux et amusant
qui cherche à séduire une belle tout en trouvant sa place dans la sphère mondaine parisienne.
L’intrigue, qui semble ne se construire qu’autour de ses affabulations, conduit à se demander
si le plaisir du texte ne réside que dans le mensonge.
Le plaisir rappelle ici une fonction précise
attendue au théâtre : celle d’un moment divertissant.
Le mensonge, acte volontaire de la feinte
allant à l’encontre de la vérité caractérise Dorante, personnage principal.
Aussi, les mensonges
de Dorante sont-ils les seuls ressorts dramaturgiques capables de distraire et d’amuser ? Pour
ce faire, il s’agira tout d’abord de montrer que les affabulations du héros construisent la
dynamique agréable de l’ensemble avant de considérer les autres thèmes et ressorts qui
amplifient l’intrigue et le plaisir.
Enfin, il sera intéressant de souligner que le plaisir ne réside
pas uniquement dans l’amusement mais dans les questionnements engendrés par l’œuvre.
Force est de constater que les mensonges de Dorante construisent toute une dynamique
particulièrement agréable de l’ensemble.
En effet, ses affabulations permettent d’élaborer une
intrigue galvanisante pleine de rebondissements qui stimule les spectateurs.
À ce titre, les
mensonges de Dorante siéent parfaitement aux genres dans lesquels s’inscrit la pièce.
C’est
d’une part une comédie galante qui met en scène des personnages élégants au ton rieur.
Dorante
appartient à cette classe et le plaisir de son vice conduit une forme de jovialité dans le texte.
D’autre part Le Menteur appartient au genre de la comédie d’intrigue qui repose sur le
foisonnement des actions et imbroglios qui permettent ici les mensonges.
Chaque improvisation
donne lieu à un quiproquo qui donne un souffle autre à l’intrigue et nécessite un mensonge
supplémentaire.
Par exemple, lorsque Dorante trompe son père en inventant une fausse union
dans la scène 5 de l’acte II, cela crée un quiproquo dans l’esprit de Clarice qui se sent dupée et
provoque son stratagème.
Dorante passe son temps à orchestrer soit des mensonges, soit leurs
suites.
Il dit à ce propos dans son récit fictif « il fallut composer ».
Le terme « composer » s’entend
de deux façons : dans l’action à proprement parler et dans la suite du mensonge.
Ce jeu
provoqué par Dorante est une grande source de plaisir pour le public et le lecteur.
En outre, la pièce propose une véritable esthétique de la variété par les multiples
tonalités dues au talent oratoire du jeune héros.
Cela donne du rythme et une vivacité à
l’ensemble qui échappe à un discours monocorde.
Les différents mensonges sont des
improvisations et les registres mis en œuvre dépendent du contexte.
Il y a donc autant de
registres que de mensonges.
Dorante se fait par exemple passer pour un héros de la Guerre de
Trente Ans encore en vigueur.
Il cherche à susciter l’admiration en mettant en avant ses
prouesses et manie ainsi le registre épique, reconnaissable par le lexique du combat, le rythme
vif et les verbes d’action : « Et durant ces quatre ans / Il ne s’est fait combats, ni sièges
importants, / Nos armes n’ont jamais remporté de victoire, / Où cette main n’ait eu bonne part
à la gloire » (I, 3).
Par ailleurs, il montre une certaine maîtrise des codes d’honneur par l’emploi
du lexique de l’héroïsme moral (II, 5) ou encore un art du langage lyrique lorsqu’il tente de
séduire Clarice (III, 5).
Le spectateur est de fait toujours porté par cette variété et ces
changements et outre le fait d’être stimulé, il éprouve une forme d’admiration face à cette
rhétorique.
Par ailleurs, un des grands plaisirs du théâtre est d’être bercé par l’effet de l’illusion, du
mirage de la fiction et les mensonges de Dorante sont à ce titre de vrais vecteurs d’illusion et
des incarnations du jeu théâtral en général.
La parole théâtrale est intrinsèquement
mensongère puisque faire du théâtre renvoie à « jouer la comédie », donc produire de l’illusion.
Lorsque Dorante ment, à l’intérieur de l’intrigue, il joue également la comédie, ce qui produit
une mise en abyme du genre théâtral.
Dorante est tour à tour auteur, acteur, metteur en scène
et jouit de la présence de deux publics : les autres personnages, dupes ou complices et les
spectateurs par l’effet de la double-énonciation propre au jeu dramaturgique.
Il est l’hypocritos
– comédien en grec ancien – au sens propre comme au sens figuré.
Certains de ses mensonges
sont créés pour une cause vraie, le sentiment amoureux, et poussent ainsi à démêler le vrai du
faux, le bien et du mal face à la cause.
Dans la scène 3 de l’acte I, l’exagération mensongère du
récit de Dorante à Clarice de la rencontre s’en trouve acceptable par la réalité d’une émotion
naissante qui finit par rendre crédible le propos : « Vaincre dans les combats, commander dans
l’armée, / De mille exploits fameux enfler ma renommée, / Et tous ces nobles soins qui m’avaient
su ravir, / Cédèrent aussitôt à ceux de vous servir ».
Par cette liberté prise avec une vérité
sourde à l’époque, la guerre, les jeux d’illusion offrent un divertissement qui permet de rire un
peu d’une réalité en la faisant passer au second plan.
Les mensonges de Dorante orchestrent bel et bien les ressorts d’une intrigue vive et
rebondissante qui tient le public en haleine tout en l’amusant.
Mais d’autres paramètres
nourrissent le plaisir procuré par cette comédie.
Pour autant, l’intrigue est construite par différents thèmes et par divers ressorts portés
par d’autres personnages de la pièce ou émanant du cadre.
Dorante n’est pas le seul à composer
cette intrigue, d’autres personnages participent aux multiples rebondissements, voire
réalimentent un quiproquo déjà bien noué.
En ce sens, l’imbroglio avec Clarice est renforcé par
le mensonge de la fausse union, lui-même provoqué par le désir absolu de Géronte de voir son
fils marié.
Poussé par ces codes d’honneur, le père cherche à établir un cadre contraire à la soif
de liberté de Dorante qui n’a de souhait que la fuite.
L’autre grande force dramaturgique est
celle posée par Clarice et Lucrèce qui, ignorant la confusion des prénoms dans l’esprit de
Dorante, le dupent en voulant l’éprouver.
Dans la scène 5 de l’acte III, alors qu’il est sincère, il
crée une confusion dans l’esprit des jeunes femmes qui pensent être séduites l’une et l’autre.
C’est ainsi que Clarice dit à Lucrèce « Chère amie, il en conte à chacune à son tour », laquelle
ajoute « Il aime à promener sa fourbe et son amour.
» Cela donne par ailleurs un rôle plus actif
aux personnages féminins.
Les femmes sont respectées selon l’usage courtois et précieux et
leurs stratégies montrent leur volonté de n’être pas des jocrisses dans l’élaboration des unions.
Ceci s’ajoute au vent de liberté et d’ouverture de la comédie.
De plus, la part romanesque de l’intrigue produit un plaisir et un véritable effet d’attente.
Plaisir par le jeu de séduction, les mensonges et la jalousie ainsi que l’effet d’attente suscité par
le souhait de voir si ses histoires d’amour vont se concrétiser.
La jalousie d’Alcippe, amant de
Clarice, exacerbée par les fables du rival, le pousse à le provoquer en duel.
Ce décalage et le
ridicule du gentilhomme sont ici assez amusants.
Le mensonge sert certes l’entreprise de
séduction de Dorante mais le sentiment éprouvé semble sincère.
En outre, les craintes de
Lucrèce sont également sincères lorsqu’elle réalise qu’elle éprouve des sentiments à l’égard d’un
menteur, Dorante.
Lucrèce est au départ un personnage très effacé ; elle est le type de la femme
douce et obéissante qu’il convient de protéger.
C’est pour cela que Clarice tentera de la
raisonner.
Pour évoquer ces diverses émotions, Corneille emploie ce qu’il nomme lui-même un
style « naïf » dans son épître liminaire.
Cette écriture simple et naturelle permet d’accéder à
l’intériorité des personnages, de les rendre plus accessibles et crédibles aux yeux du public,
comme le montrent ces propos de Lucrèce qui se défend de ses sentiments pourtant visibles aux
yeux des autres : « C’en est trop ; et tu dois seulement présumer / Que je penche à croire, et non
pas à l’aimer.
» (IV, 9).
Cette simplicité adoucit l’ensemble et rend appréciable ce rapport à un....
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- commentaire de texte: Supposons que quelqu’un affirme, en parlant de son penchant au plaisir - Kant
- Le critique Sainte-Beuve a écrit (Nouveaux Lundis, tome IX, 7 décembre 1864) : « Où est-il le temps... où l'impression de la lecture venait doucement vous prendre et vous saisir?... Heureux âge, où est-il? et que rien n'y ressemble moins que d'être toujours sur les épines comme aujourd'hui en lisant, que de prendre garde à chaque pas, de se questionner sans cesse, de se demander si c'est le bon texte, s'il n'y a pas d'altération, si l'auteur qu'on goûte n'a pas pris cela ailleurs, s'il
- Lors d'un entretien, Ahmadou KOUROUMA soutient : « Ce qui compte c'est le plaisir d'un texte. Il faut que les lecteurs trouvent dans la littérature autre chose que ce qu'ils lisent tous les jours dans l'exercice de leur vie professionnelle : elle doit leur donner un plaisir et leur permettre de rêver. » Après avoir expliqué, vous discuterez à l'aide des exemples précis cette opinion de KOUROUMA sur la littérature.
- Expliquez et discutez ces réflexions sur la tragédie française de Giraudoux : « Qu'est-ce que la tragédie ? C'est l'affirmation d'un lien horrible entre l'humanité et un destin plus grand que le destin humain… Qu'est-ce que la France ? C'est l'affirmation d'une vérité humaine et qui ne comporte aucune adhérence avec les sur-vérités et les super-mensonges. Qu'est-ce que le héros tragique ? C'est un être particulièrement résigné à la cohabitation avec toutes les form
- Epicure et le plaisir - Explication de texte