Le personnage de CÉLIMÈNE de Molière le Misanthrope
Publié le 18/05/2020
Extrait du document
«
,
'
CEUMENE.
Personnage de la comédie de
Molière le Misanthrope • ( 1666).
Célimène est
une jeune veuve de vin�t ans dont la beauté,
l'esprit et l'élégance atttrent autour d'elle de
nombreux soupirants.
Elle tient un salon où se
presse tout ce que la ville compte de beaux
esprits, de médisants et de snobs.
Au milieu
des petits marquis et des précieuses rompus à
tous les jeux de la société du temps, Alceste •,
soupirant attitré de Célimène, compose une
étrange figure d'amoureux atrabilaire, dont la
hargne et la maladresse accusenJ encore la
grâce et l'aisance de sa maîtresse.
Emue,
croit
on, par cet amour sincère, Célimène ne peut
toutefois se résoudre à choisir entre la vie
brillante qu'elle mène en son salon et l'exis
tence austere que lui propose Alceste.
Ses hési
tations déterminent la progression de
l'intrigue
et mettent en lumière les caractères opposés
des amants.
A mesure que se révèle la sédui·
sante cruauté de Célimene, on voit croître la
misanthropie d'Alceste, et ce double mouve·
ment psychologique aboutit à la crise du ye
acte : Alceste, poussé à bout et« trahi de toutes
parts», repousse Célimène, déjà humiliée par
le départ de tous ses soupirants.
Célimène représente un type nuancé de
coquette.
Mue par le besoin impérieux de
séduire, elle accueille avec la même légèreté les
hommages d'Acaste •, d'Oronte • et de Cli
tandre •, et ceux d'Alceste.
On a pu l'accuser
de malhonnêteté, on peut aussi bien la taxer
d'inconscience ou d'ingénuité.
Dans son com
portement n'interviennent ni calcul ni pru
dence.
Elle vit dans l'instant; ses sincérités
sont successives et contradictoires.
Elle est
parfaitement accordée à· cette société mon
daine où l'on joue des sentiments sans les
vivre, où la galanterie tient lieu d'amour, et où
sa beauté et sa jeunesse lui valent une place de
choix.
Elle connaît ses privilèges et redoute de
les perdre.
EUe est �oïste avec naturel, mais
l'amour d'Alceste qw la flattait sans l'émou
voir, semble un instant la troubler.
Or le
renoncement qui lui est demandé serait pour
elle une sorte de suicideeA hors des salons, elle
perdrait sa raison de vivre, les hommages et les
jeux de la galanterie lui sont sa nourriture
essentielle: « Cest, dit-elle, un merveilleux
assaisonnement aux plaisirs que l'on goûte,
que la présence des gens qu'on aime.» Elle ne
peut vivre sans témoins.
Elle se préfère à tout,
et l'on devine qu'elle surmontera facilement le
désarroi dans lequel l'ont )etée la brève décou·
verte d'un amour different, sa provisoire
défaite mondaine, et le mépris que lui témoi
gne soudain Alceste.
E.
V.
T
..
Le rôle fut créé par Armande Béjan
( 1642-1700) qui avait alors près de vin�t-cinq
ans, et très certainement écrit par Mobère en
profonde connaissance de ses dons d'actrice.
Moins imposante que Du Parc, moins régu ...
lièrement belle, mats infmiment plus vivante,
possédant un charme à la fois tendre et mali
cieux, elle fut de ces actrices dont tout le par
terre est amoureux, et qui lancent les modes.
Elle semble avoir poussé le don du persifla1e
jusqu'aux imitations réussies et la scene pénl ...
leuse des portraits devait être pour elle un
étincelant morceau de bravoure.
Elle exerçait
tout naturellement cette séduction souveraine
qui caractérise le personnage, sans avoir à se
guindereA épigrammatique sans fiel, et coquette
sans calcul, par fatalité de nature.
Peu d'inter·
prètes notoires au XVIIf s.
Les grandes actrices
sont des tragédiennes ou des soubrettes.
Aussi
bien la coquetterie régnait uniformément dans
tous les rôles, et certains délicats reprochaient
à celui de Célimène un ton qui par endroits
sentait son vieux temps (on continuait de jouer
Molière en costumes « modernes » ).
Louise
Contat ( 1760-1813), créatrice de Suzanne • du
Mariage de Figaro (•) en 1784, a laissé le sou
venir d'une Célimene
particulièrement brit ..
Jante et spirituelle, malheureusement très vite
alourdie par un précoce embonpoint.
M1Je Mars
(1779·1847) lui succéda vers 1809, après
avoir
joué d'abord les ingénues -Agnès t en 1799
- alors que la trentaine avait enfin étoffé sa
silhouette jugée jusque-là trop mai�e.
Brune,
avec de beaux traits à la fois reguliers et
mobiles, une voix enchanteresse, une diction
ciselée, elle régna sur la mode du Premier
Empire en offrant aux parvenus -glorieux ou
affairistes -un précieux reflet des élégances
aristocratiques de 1' Ancien Régime.
Elle per
pétua sa perfection que nous trouverions peut
être, comme le firent les romantiques, un peu
trop minutieuse, jusqu'à soixante ans �ssés
(retraite en 1841 ).
Vers 1815, les comédiens
soucieux de vérité décidèrent de jouer Molière
en costumes Louis XIV -mais Mars n'en
voulut rien faire et continua d'arborer, parmi
leurs habits du XVI� s., les turbans, les bérets à
oiseau de paradis et les tailles hautes de la
dernière mode parisienne.
Au cours du XIxc s., le personnage se dés
humanise peu à peu, pour devenir une sorte
d'idole étincelante, personnifiant non plus seu ...
lement la séduction féminine, mais la reine de
salon mondain où Alceste fera figure de pro·
vincial mal adapté.
Cette conception devait
s'accentuer, à travers Arnould-Plessy ( 1819-
1897) et Marie·Louise Marsy
et surtout Croi
zette (1847-190 1) pour se déformer
jusqu
'au
mythe pendant les trente ans de la carrière
classique de Cécile Sorel (née en 1873 -
Comédie-Française de 1901 à 1930).
Beauté
décorative, à la fois rayonnante et autoritaire,
faite pour les costumes de l'opéra de
Rameau,
et les imposant avec une hardiesse
triom
phante -talent étudié, parvenu à force de
travail à une sorte de maîtrise personnelle ...
ressemblance
fugitivement bourbonienne du
visage, désin voiture majestueuse...
la déce
vante fiancée d'Alceste devenait un surprenant
avatar féminin du Roi Soleil.
Même au temps
de son apogée, il y eut réaction eAValentine
Tessier (en 1913) aux côtés de Copeau, au
Vieux-Colombier, fut une Célimène de jeu
nesse radieuse et merveilleusement vi vante.
Et
dans ces dernières années, Madeleine Renaud
a indiqué -un peu tard malheureusement -
une Célimène très proche de ce qu'avait été
celle d' Annande Béjart, celle de Molière -
autorité sans effort, regards limpides, voix
cristalline de l'innocence et toutes tes roueries
innées de la séduction instinctive.
Interpréta
tion qui marque une date et mérite de faire
école.
Be.
D..
»
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